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Liberté et pluralisme des médias : la Commission veut encore notre bien

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11 juillet 2023

Temps de lecture : 6 minutes
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Liberté et pluralisme des médias : la Commission veut encore notre bien

Temps de lecture : 6 minutes

Le 5 juillet, la Commission européenne rendait son quatrième rapport sur l’État de droit dans les pays membres de l’Union européenne. Ce rapport de trente-cinq pages, accompagné de recommandations pour chaque État membre, se structure en quatre piliers : les systèmes de justice nationaux, les cadres de lutte contre la corruption, le pluralisme des médias et d’autres questions institutionnelles en lien avec l’équilibre des pouvoirs. Un document incontournable pour comprendre la conception que Bruxelles se fait de la presse.

Jean Quatremer furax

L’illustre cor­re­spon­dant de presse à Brux­elles Jean Qua­tremer a tenu à faire mon­tre de son agace­ment au moment de la pub­li­ca­tion de ce rap­port. Ayant plus de con­nais­sances lin­guis­tiques que Jean Qua­tremer, les équipes de l’Ojim ont pu se pencher en détail sur ce doc­u­ment pub­lié seule­ment en anglais.

La France, mauvais élève

L’an passé, la Com­mis­sion avait recom­mandé à la France de faire des pro­grès en matière de « trans­parence de la pro­priété des médias, en par­ti­c­uli­er en ce qui con­cerne les struc­tures d’ac­tion­nar­i­at com­plex­es, en s’ap­puyant sur les garanties juridiques existantes. »

Elle con­state aujourd’hui que rien n’a été fait en ce sens et adresse aux autorités français­es mot pour mot la même recom­man­da­tion qu’en 2022. Que la sit­u­a­tion n’ait pas changé en ter­mes de con­cen­tra­tion et de trans­parence, c’est une évi­dence. D’ailleurs, le gou­verne­ment français sem­ble le recon­naître en frisant le style humoris­tique dans son doc­u­ment envoyé à la Com­mis­sion sur les mesures pris­es depuis 2022 :

« Des réflex­ions ont été engagées au niveau nation­al con­cer­nant le sujet de la con­cen­tra­tion et de la trans­parence de laction­nar­i­at des médias ; elles se pour­suiv­ent en ten­ant compte de la propo­si­tion de lég­is­la­tion sur la lib­erté des médias qui abor­de aus­si ces thématiques. »

Où sont les campagnes de presse internationales contre la France de Macron ?

La lec­ture de ce rap­port per­met de com­pren­dre qu’il existe selon la Com­mis­sion des prob­lèmes de lib­erté de la presse dans qua­si­ment tous les pays de l’Union européenne. Il n’y a guère pour­tant que deux États qui fassent l’objet d’une cabale per­ma­nente de la part des insti­tu­tions européenne : la Hon­grie et la Pologne, qui sont sous le coup d’une procé­dure prévue par l’article 7 du Traité sur l’UE pour vio­la­tion des valeurs communes.

Lire aus­si : Hon­grie : la délé­ga­tion CONT ose tout, c’est à ça qu’on la reconnaît

Lorsqu’on est béné­fi­ci­aire au bud­get et qui plus est poli­tique­ment incor­rect, les reproches de la Com­mis­sion se trans­for­ment en cam­pagne de dén­i­gre­ment orchestrée par les médias de grand chemin inter­na­tionaux. Il y aurait pour­tant assez de matière pour en faire de même avec d’autres pays de l’UE. À titre d’exemples, la Roumanie et la Bul­gar­ie sont rangées par la Com­mis­sion dans la même caté­gorie que la Pologne et la Hon­grie, celles des pays où le risque sur la lib­erté de la presse serait « très élevé ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que Bucarest et Sofia ne font absol­u­ment pas l’objet de la même atten­tion que Budapest et Varsovie.

Une méthodologie orientée

Cette clas­si­fi­ca­tion opérée par la Com­mis­sion est en soi prob­lé­ma­tique. Elle provient de l’outil « Media Plu­ral­ism Mon­i­tor », une « source d’information impor­tante » pour la con­fec­tion du rap­port annuel sur l’État de droit. Voici com­ment il est présen­té par les rédac­teurs du rapport :

« Il s’ag­it d’un out­il sci­en­tifique holis­tique qui doc­u­mente la san­té des cadres médi­a­tiques, en détail­lant les men­aces qui pèsent sur le plu­ral­isme et la lib­erté des médias dans les États mem­bres et dans cer­tains pays can­di­dats. Il est cofi­nancé par l’UE et est réal­isée, de manière indépen­dante et régulière, par le Cen­tre pour le plu­ral­isme et la lib­erté des médias, depuis 2013–2014. »

Cet out­il est donc dévelop­pé par l’European Cen­tre for Press and Media Free­dom, un think-thank que finance la Com­mis­sion européenne et qui avait été lancé avec l’appui de Mar­tin Schulz (Social­istes et démoc­rates), Elmar Brok (Par­ti pop­u­laire européen) et Alexan­der Graf Lamb­s­dorff (ALDE, Alliance des libéraux-démoc­rates). Qu’attendre d’une organ­i­sa­tion finan­cière­ment dépen­dante de la Com­mis­sion européenne sinon qu’elle donne une cau­tion pseu­do-sci­en­tifique à l’agenda poli­tique de Bruxelles ?

D’autres organisation suspectes

Pour class­er les pays mem­bres de l’UE, la Com­mis­sion s’est aus­si appuyée sur l’index de lib­erté de la presse établi par Reporters sans fron­tières, dont la méthodolo­gie est égale­ment cri­ti­quable sous bien des aspects, alors que l’indépendance de cette ONG n’est que légende.

Et que dire des autres organ­i­sa­tions con­sultées pour la rédac­tion de ce rap­port annuel ? On retrou­ve la crème des sus­pects habituels : Trans­paren­cy Inter­na­tion­al, Amnesty Inter­na­tion­al, Human Rights Watch, Nether­lands Helsin­ki Com­mit­tee, Open Soci­ety Euro­pean Pol­i­cy Insti­tute, etc. Un véri­ta­ble fes­ti­val de fausse objec­tiv­ité et de vraie mal­hon­nêteté que s’attelle à démas­quer l’Ojim depuis plus d’une décennie.

Lire aus­si : Amnesty Inter­na­tion­al : qui paie ? Troisième partie

Un deux poids deux mesures permanent

Le prob­lème n’est pas tant au niveau du con­tenu du rap­port, mais se pose en rai­son du battage politi­co-médi­a­tique biaisé sur lequel il débouche. Alors que de nom­breux États mem­bres sont pointés du doigt dans le rap­port, certes timide­ment, seules la Hon­grie et la Pologne font l’objet d’une chas­se aux sorcières.

L’Union Européenne a ceci d’intéressant qu’elle se car­ac­térise par une nom­bre crois­sant de cas de vio­la­tions de ses pro­pres règles. Ain­si, en ren­dant des rap­ports peinant à dis­simuler un biais poli­tique et claire­ment des­tiné à jeter l’opprobre sur quelques pays en par­ti­c­uli­er, la Com­mis­sion se met en déli­catesse par rap­port à l’article 4 alinéa 2 du Traité sur l’UE selon lequel « L’U­nion respecte l’é­gal­ité des États mem­bres devant les traités ain­si que leur iden­tité nationale, inhérente à leurs struc­tures fon­da­men­tales poli­tiques et con­sti­tu­tion­nelles, y com­pris en ce qui con­cerne l’au­tonomie locale et régionale. »

Peu impor­tent les résul­tats d’élections dans les États mem­bres, les dis­po­si­tions et les tra­di­tions con­sti­tu­tion­nelles, l’héritage his­torique et cul­turel (expli­quant par exem­ple la spé­ci­ficité d’un marché des médias), etc. La Com­mis­sion veut faire table rase de cela pour tout liss­er selon ses pro­pres critères.

Une opération de chantage ?

L’Ojim l’évoquait déjà en jan­vi­er à pro­pos du Media Free­dom Act : la Com­mis­sion européenne est en train de franchir un nou­veau cap, elle mul­ti­plie les critères pseu­do-objec­tifs (embal­lés dans le con­cept d’État de droit) pour faire chanter poli­tique­ment et finan­cière­ment cer­tains États mem­bres. En Hon­grie et en Pologne, cette évo­lu­tion est bien con­nue et les forces pro-gou­verne­men­tales n’hésitent pas à nom­mer crû­ment les choses.

Atti­la Kovács, en charge des études européennes au Cen­tre pour les droits fon­da­men­taux à Budapest, a qual­i­fié cette édi­tion 2023 du rap­port sur l’État de droit de manœu­vre con­sis­tant à vouloir faire pli­er la Hon­grie, pays dans le col­li­ma­teur de Brux­elles en rai­son de ses posi­tions sur le lob­by LBGT, la guerre rus­so-ukraini­enne et l’immigration illé­gale. Selon Kovács, Brux­elles ne parvient tou­jours pas à sor­tir de l’idée selon laque­lle seule une presse libérale peut être qual­i­fiée d’indépendante. Le reste étant invari­able­ment rangé dans le camp du Mal.

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