Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Hongrie : les félons du Jobbik purgent leurs médias

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

30 juin 2022

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Veille médias | Hongrie : les félons du Jobbik purgent leurs médias

Hongrie : les félons du Jobbik purgent leurs médias

Temps de lecture : 6 minutes

Le Jobbik hongrois était au début des années 2010 sans doute le parti nationaliste le plus radical en Europe. Depuis au moins les élections législatives de 2018 — et totalement aux élections d’avril 2022 — le Jobbik fait partie du front commun anti-Orbán. Suite à l’échec cuisant de cette stratégie d’union contre la coalition Fidesz-KDNP au pouvoir depuis 2010 en Hongrie, le Jobbik vacille. Son président vient d’être limogé et ses médias sont vidés de leurs effectifs. Éclairage sur les médias de ce parti retourné au profit des libéraux pro-UE et quelques rappels utiles sur le paysage médiatique hongrois.

Rappels pour mieux comprendre la situation

Par­mi les griefs adressés à la Hon­grie de Vik­tor Orbán, celui d’atteinte à la lib­erté de la presse et des médias fig­ure en bonne place. Cette cri­tique par­ticipe du malaise que sus­ci­tent les posi­tions et la poli­tique de la Hon­grie dans les milieux pro­gres­sistes occi­den­taux, mais elle procède tout autant d’une incom­préhen­sion de la par­tic­u­lar­ité du secteur des médias en Hon­grie, et plus large­ment dans l’ensemble des pays post-communistes.

En Hon­grie, le paysage médi­a­tique est très polar­isé. Deux blocs irré­c­on­cil­i­ables s’affrontent et pro­posent des visions diver­gentes de l’actualité poli­tique. L’un des deux blocs est pro-gou­verne­men­tal, l’autre anti-Orbán, pro-Brux­elles et libéral lib­er­taire  pro­gres­siste. Le ton avec lequel s’expriment ces deux blocs est très libre et ori­en­té : les médias proches de la coali­tion au pou­voir sont sans arrêt d’une grande dureté avec l’opposition pro-Brux­elles, alors que les médias pro­gres­sistes, qui aiment se qual­i­fi­er d’« indépen­dants », ne ratent jamais une occa­sion d’attaquer frontale­ment la poli­tique gouvernementale.

Jusqu’à son retourne­ment au prof­it des forces pro-UE, le Job­bik représen­tait une troisième voie, et dis­po­sait d’une assise médi­a­tique rel­a­tive pour en faire la pro­mo­tion. Une par­tie de ces médias ont depuis dis­paru, mais cer­tains ont survécu au virage cen­triste du par­ti. Le Job­bik ayant rem­pli sa fonc­tion de voiture-bal­ai des forces libérales à deux repris­es — sans suc­cès —, il risque de pein­er à se posi­tion­ner et à mon­tr­er une quel­conque util­ité dans le paysage poli­tique hon­grois. Ses médias paient déjà les frais de cette décon­fi­ture élec­torale et de tous les renon­ce­ments politiques.

Vague de licenciements chez Alfahír et N1TV

Gérés par une fon­da­tion sous le con­trôle du Job­bik, les rédac­tions du site d’information Alfahír et de la chaîne N1TV seront réduites au min­i­mum syn­di­cal et com­porteront cha­cune qua­tre per­son­nes à l’avenir, alors qu’elles étaient com­posées respec­tive­ment d’une douzaine de salariés aupar­a­vant. Selon les infor­ma­tions du site d’opposition Radio Free Europe, des col­lab­o­ra­teurs des médias proches du Job­bik ont été noti­fiés de leur licen­ciement par SMS, alors que le con­trat de loca­tion des locaux occupés par Alfahír et N1TV ont été résil­iés par ces médias.

L’ancien directeur de la com­mu­ni­ca­tion du Job­bik, Fer­enc Béres, a été chargé de men­er à bien cette tran­si­tion de la fon­da­tion médi­a­tique, un virage offi­cielle­ment pris pour raisons finan­cières. Les finances du par­ti sont pour­tant à l’équilibre et le Job­bik dis­pose de dix députés Job­bik au Par­lement, donc d’une manne à mobilis­er. Bien plus qu’un sim­ple ser­rage de cein­ture, il s’agit en réal­ité plutôt d’une clar­i­fi­ca­tion de la sit­u­a­tion poli­tique du Jobbik.

En Hon­grie, les rap­ports de force médi­a­tiques découlent des rap­ports de force poli­tiques. Le Job­bik ne représente plus aucune per­spec­tive sur l’échiquier poli­tique hon­grois, sa ligne n’est pas iden­ti­fi­able et ses cadres se sont tous com­pro­mis dans leur aven­ture avec la gauche libérale. Il n’a plus d’avenir, et donc, mécanique­ment, ses médias dépéris­sent. L’élection de 2022 a d’ailleurs mod­i­fié les rap­ports de force poli­tique hongrois.

Adieu Jobbik, bonjour Mi Hazánk

Le par­ti nation­al­iste Mi Hazánk (Notre Patrie) est issu d’une scis­sion du Job­bik en 2018. Il a sur bon nom­bre de sujets les mêmes posi­tions que le Job­bik rad­i­cal d’antan ; et il s’est habile­ment posi­tion­né sur la ques­tion san­i­taire, s’opposant aux mesures de restric­tion pris­es par le gouvernement.

Son slo­gan de cam­pagne « Assez de la dic­tature du Covid ! » a fail­li se faire vol­er la vedette par l’importance médi­a­tique prise par la guerre rus­so-ukraini­enne, mais Mi Hazánk a mal­gré tout su franchir la barre des 5% aux élec­tions lég­isla­tives du 3 avril et a envoyé six députés au Par­lement. Indé­ni­able­ment, ce par­ti a le vent en poupe, sa sur­face médi­a­tique aug­mente, ses thèmes sont de plus en plus repris.

À ce stade, dif­fi­cile à dire si cet élan se traduira par un poids poli­tique de Mi Hazánk plus impor­tant à l’avenir (élec­tions munic­i­pales et européennes en 2024). Il est en revanche cer­tain que ses activ­ités médi­a­tiques vont se dévelop­per. Les pre­miers deniers dus à sa présence au Par­lement com­men­cent à tomber, et le par­ti devrait faire fruc­ti­fi­er son média, le site Mag­yar Jelen (Présent hon­grois), et aug­menter la présence de son prési­dent Lás­zló Toroczkai sur les réseaux soci­aux. Logique, mais pas évi­dent. Ayant beau­coup de suc­cès sur YouTube (plusieurs vidéos dépas­sant le demi-mil­lion de vues, énorme pour la Hon­grie), Lás­zló Toroczkai est en revanche ban­ni de Facebook.

Qui est véritablement censuré en Hongrie ?

Cer­taine­ment pas les médias de gauche libérale hos­tiles à Vik­tor Orbán ! Ils sont libres d’agir, et cer­tains d’entre eux sont véhé­ments, tout en étant ouverte­ment liés aux insti­tu­tions européennes et à des grands médias occi­den­taux, d’autres sont lancés sans entrave et à la vitesse éclair et con­tin­u­ent de prospér­er. La cri­tique du gou­verne­ment hon­grois est quo­ti­di­enne et vigoureuse, et il n’existe pas en Hon­grie de volon­té d’étouffer ces voix dis­cor­dantes. Dans son dis­cours à la CPAC Hun­gary en mai 2022, le Pre­mier min­isre hon­grois a d’ailleurs expliqué qu’être l’objet de cri­tiques était une des preuves de la réus­site en politique.

La cen­sure sur les réseaux soci­aux n’a jusqu’à présent jamais touché des con­tenus relayés par des médias et des per­son­nal­ités poli­tiques de l’opposition hon­groise, mais au con­traire peut touch­er des proches du gou­verne­ment. La force poli­tique la plus cen­surée par les GAFAM est de loin le mou­ve­ment Mi Hazánk. Le dernier exem­ple en date étant la sup­pres­sion de sa page Face­book peu de temps avant les élec­tions d’avril 2022, dans le silence général de la bonne con­science médi­a­tique et des officines occi­den­tales si promptes à con­damn­er la Hongrie.

Fait amu­sant : il existe un cas de cen­sure par YouTube d’un média de gauche hon­grois, la chaîne en ligne Par­ti­zan (près de 300 000 abon­nés ; énorme dans un pays de moins de 10 mil­lions d’habitants). Une vidéo de cette chaîne a en effet été cen­surée par le géant améri­cain, non pas pour avoir franchi les lim­ites de la doxa admise par les GAFAM, mais pour avoir dif­fusé des images d’un mou­ve­ment proche de Mi Hazánk, le HVIM (Mou­ve­ment de jeunesse des soix­ante-qua­tre comi­tats), qui avait lui aus­si fait l’objet d’une cen­sure par le passé. La boucle est bouclée.