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L’Express ou l’anti-journalisme

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1 août 2023

Temps de lecture : 5 minutes
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L’Express ou l’anti-journalisme

Temps de lecture : 5 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 23 févri­er 2023

L’Express a vécu une existence chaotique. Créé par Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1953 sous un autre nom, passé tour à tour entre les mains de Jimmy Goldsmith, de la Compagnie Générale d’Électricité, de Havas, du belge Roularta, de Patrick Drahi, puis enfin d’Alain Weill, l’hebdomadaire est devenu une sorte de version française de The Economist et un contre-exemple parfait de journalisme avec comme couronnement son numéro n°3737 du 16 février 2023 en partenariat avec Franceinfo. Un numéro qui figurera dans tous les écoles de journalisme comme la négation systématique de l’éthique de ce métier ou de ce qu’il en reste.

Voir aus­si : Le nou­v­el Express, un copi­er-coller de The Economist

Comment manipuler l’opinion en démocratie

Le jour­nal­isme de pro­pa­gande a sa tra­di­tion, pop­u­lar­isé par Edward Bernays à tra­vers son ouvrage Pro­pa­gan­da, paru en 1928 et dont le sous-titre est « Com­ment manip­uler l’opinion en démoc­ra­tie ». Il avait déjà mis ses principes en action en inci­tant — à la demande d’American Tobac­co — les améri­caines à fumer, asso­ciant la cig­a­rette à la minceur. Son véri­ta­ble fait d’armes fût aupar­a­vant – et à la demande du Prési­dent Wil­son — de con­va­in­cre l’opinion publique (majori­taire­ment iso­la­tion­niste) de l’obligation de ren­tr­er en guerre en 1917. Il le fera à tra­vers une com­mis­sion ad hoc, la Com­mis­sion Creel, qui répan­dra à tra­vers les médias des cen­taines de mil­liers d’articles bel­li­cistes. Ce n’est pas du jour­nal­isme, direz-vous, c’est de la pro­pa­gande. En effet, exacte­ment comme le numéro de l’Express en question.

Les figures d’autorité selon Bernays

L’utilisation de la fig­ure d’autorité est un des piv­ots des tech­niques de Bernays. Il suf­fit de se deman­der quelles sont les per­son­nes exerçant une influ­ence directe sur l’opinion pour savoir qui manip­uler en pre­mier lieu. Pour con­va­in­cre les améri­caines de fumer, Bernays s’est appuyé sur des médecins qui recom­man­dent la pause cig­a­rette pour éviter de grig­not­er et ain­si maigrir. Il fera de même un peu plus tard en lançant une cam­pagne – à la demande de l’industrie agro-ali­men­taire – pour inciter les améri­cains à pren­dre un petit déje­uner copieux au lieu d’un sim­ple café. Il recrute et rémunère 4500 médecins qui chantent les louanges du petit déje­uner « améri­cain », les ventes de flo­cons d’avoine et de bacon s’envolent.

Voir aus­si : L’Express, info­gra­phie

Les figures d’autorité de L’Express

L’hebdomadaire utilise exacte­ment les mêmes recettes, les pseu­do-fig­ures d’autorité, qui vont con­seiller non pas la cig­a­rette ou les flo­cons d’avoine mais la guerre, comme Bernays l’avait fait en 1917. Tout le numéro de L’Express est un morceau de pro­pa­gande à tra­vers des fig­ures d’autorité ou con­sid­érées comme telles. Regar­dons quelques-unes d’entre elles d’un peu plus près.

Anne Apple­baum fait par­tie des « six grands témoins » et signe un papi­er apoc­a­lyp­tique sous le titre « Si la Russie l’avait emporté… ». Apple­baum, jour­nal­iste au Wash­ing­ton Post (pro­priété depuis 2013 de Jeff Bezos, le patron d’Amazon) est mem­bre du think tank néo con­ser­va­teur améri­cain, Amer­i­can Insti­tute Enter­prise (AIE) qui a active­ment soutenu l’invasion de l’Irak sous la prési­dence Bush. Son mari est le polon­ais Rudoslaw Siko­rs­ki, min­istre des affaires étrangères de la Plate-forme civique (gauche) entre 2008 et 2014. Député européen, il twitte le 27/09/2022 après le sab­o­tage du gazo­duc Nord­stream « Thank you USA ». On ne peut mieux dire.

Un poli­tique, il nous faut un poli­tique. Ce sera Syl­vain Fort. L’ami Syl­vain fut en 2018/2019 con­seiller puis respon­s­able de la com­mu­ni­ca­tion d’Emmanuel Macron. Surtout, il fût mem­bre entre mars 2020 et mars 2022 du cab­i­net Avisa Part­ners, spé­cial­isé dans la dif­fu­sion rémunérée d’informations sur mesure. Il signe une cri­tique favor­able du dernier nanard ciné­matographique de BHL, que l’on ne présente plus. Deux orfèvres.

Un mil­i­taire, scrogneugneu il nous faut une culotte de peau. Pourquoi pas un général, ça fait tou­jours bien un général, le képi, l’allure mar­tiale. Prenons le général qua­tre étoiles, Michel Yakovl­eff, il fait par­tie, dit l’hebdomadaire, des « généraux qui crèvent l’écran ». Le fringant Michel, après une hon­or­able car­rière dans l’armée française, rejoint en 2014 l’état-major de l’OTAN. Il devien­dra chef d’état-major du « Supreme Head­quar­ters Allied Pow­ers Europe », le SHAPE. Le rôle du SHAPE, situé à Mons en Bel­gique, est « la plan­i­fi­ca­tion et l’exécution des opéra­tions mil­i­taires de l’OTAN ». Le brave général est de fac­to sino de jure, un employé supérieur améri­cain. Qui s’étonnera qu’il vienne péror­er avec quelques cama­rades du même acabit sur LCI ou BFM. L’article qui les cite con­clut en pâmoi­son : « Comme des jour­nal­istes, les étoiles en plus ». Par esprit de char­ité nous tairons le nom du mal­heureux sig­nataire pâmé.

Le reste est à l’avenant, des témoignages d’Ukrainiens (ils sont pour l’Otan, oui mer­ci), un repris de jus­tice russe (Mikhaïl Khodor­ovs­ki), manque un raton laveur. Cer­tains pour­raient dire « cela sent les sub­sides du départe­ment d’État améri­cains ou de la CIA ». Nous n’irons pas jusque-là, les idiots utiles sont gra­tu­its, comme dis­ait Michel Audi­ard, c’est même à ça qu’on les reconnaît.

Voir aus­si : L’Express, par­fait exem­ple de pro­pa­gande de guerre