Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
L’affaire Méric II : les remous d’une imposture

15 juillet 2013

Temps de lecture : 11 minutes
Accueil | Dossiers | L’affaire Méric II : les remous d’une imposture

L’affaire Méric II : les remous d’une imposture

Temps de lecture : 11 minutes

D’abord instruments d’une récupération politique, les médias ont fini par opérer une prudente volte-face devant l’affaire Méric, à deux ou trois journaux près, pour qui le réel, comme en ex-URSS, n’a de valeur que s’il démontre la doxa.

Quand le pou­voir médi­a­tique est devenu glob­ale­ment uni­voque, ses réac­tions trahissent presque tou­jours le même élan col­lec­tif, et l’on assiste, pour le moins intrigué, à de grands emballe­ments proches de l’hystérie de masse, puis à de subits revire­ments un peu hon­teux. C’est en tout cas très claire­ment l’impression que notre classe médi­a­tique a don­née au sujet de l’affaire Méric. Ce qui ne laisse pas d’inquiéter, d’abord pour la dimen­sion chao­tique et friv­o­le que cela traduit de son tra­vail, et ensuite parce que cela témoigne d’une démoc­ra­tie en très mau­vais état de fonc­tion­nement. En effet, dans une démoc­ra­tie saine, ou dans n’importe quel régime « bien tem­péré », les médias n’auraient pas été aus­si grossière­ment manip­ulés par un pou­voir aux abois comme nous le démon­tri­ons dans le précé­dent dossier, et étant don­né les élé­ments que tous avaient sous les yeux, si l’on tenait absol­u­ment à faire sor­tir l’affaire du champ des faits-divers, on aurait dû avoir droit à des éclairages con­tra­dic­toires. Une telle atti­tude ne récla­mait même pas des qual­ités par­ti­c­ulières, mais seule­ment la déon­tolo­gie min­i­male de pro­fes­sion­nels de l’information. L’évolution de l’histoire eût du moins paru moins calami­teuse… Or donc, après la furie ini­tiale, la désig­na­tion tous azimuts des respon­s­ables de la mort d’un enfant, la mar­ty­rolo­gie spon­tanée et le chant des par­ti­sans enton­né place Saint Michel, nous avons assisté, notam­ment après les révéla­tions d’RTL au sujet des films de vidéo sur­veil­lance ayant enreg­istré la rixe entre Skins et Antifas, à un étrange et soudain retourne­ment de sit­u­a­tion

Une « nouvelle version » ?

Les images de vidéo sur­veil­lance et le procès-ver­bal des vig­iles acca­blent les “Antifas” et con­fir­ment les allé­ga­tions d’Esteban Moril­lo et de ses acolytes : les Antifas auraient bien rem­pli la fonc­tion qui est la leur, c’est-à-dire « chas­s­er du Skin » et Clé­ment Méric, s’il était le plus faible du groupe, aurait égale­ment été le plus vir­u­lent. Attaquant dans le dos un adver­saire déjà con­fron­té à deux hommes, le futur mar­tyr, ini­ti­a­teur de la con­fronta­tion, ne s’encombrait vis­i­ble­ment pas de principes chevaleresques. Après la révéla­tion choc d’RTL le 25 juin, les autres médias la repren­nent, sans le moin­dre mea cul­pa, mais comme s’il s’agissait, au fond, d’un rebondisse­ment inat­ten­du. Le Figaro du lende­main racon­te com­ment la vidéo de sur­veil­lance mon­tre l’affaire « sous un jour nou­veau ». Dans la presse locale, on trou­ve le même genre d’expression : « l’autre ver­sion », titrent Le Bien Pub­lic, Les Dernières Nou­velles d’Alsace comme Le Dauphiné libéré. Pourquoi, l’autre ver­sion ? Avant cette vidéo, nous mon­tri­ons ici com­ment les élé­ments con­nus et divul­gués par ces mêmes jour­naux tendaient bien tous vers cette inter­pré­ta­tion des faits. Les révéla­tions de la radio RTL n’ont fait que con­firmer ce qui était déjà con­nu à pro­pos des élé­ments con­crets, et insis­ter encore sur le fait que la vic­time était bien l’agresseur originel.

Chute de fièvre

S’il y a eu une autre ver­sion, une ver­sion sec­onde, super­posée à la pre­mière, c’est celle fomen­tée par les “Antifas”, d’abord, qui jouent aux loups tigrés rouge et noir sur leurs blogs, et aux agneaux immac­ulés s’ils tombent dans la rue. C’est surtout, essen­tielle­ment, celle des poli­tiques qui se sont gal­vanisés d’un lyrisme hal­lu­ci­na­toire en dépit des faits, et ont inven­té de toutes pièces la thèse de l’assassinat poli­tique. La fièvre déli­rante est retombée avec cette piqûre de rap­pel, et on est sim­ple­ment revenu à la pre­mière ver­sion, la seule véri­ta­ble­ment établie, et qu’avait d’ailleurs retenue le juge d’instruction lequel, au con­traire des poli­tiques et des médias, avait gardé la tête froide et inculpé Moril­lo au vu des faits con­nus, c’est-à-dire de « vio­lences volon­taires ayant entraîné la mort sans inten­tion de la don­ner. » Les édi­to­ri­al­istes, les mil­i­tants asso­ci­at­ifs, la plu­part des poli­tiques et les ados cama­rades de classe de Méric n’ayant pas assisté à la rixe ont pu scan­der leur réc­it en boucle, les fonde­ments de ce réc­it ne ten­ant, pour les derniers, qu’à leur désir légitime d’auréoler leur ami per­du, pour les autres, qu’à leur désir de désign­er leurs opposants à la vin­dicte publique par n’importe quel raccourci.

Retour critique

À la suite de ce dégrise­ment, de ce brusque démen­ti, quelques voix, dans la pro­fes­sion, ont tout de même com­mencé de point­er ce qui peut s’apparenter à une faute col­lec­tive. « La récupéra­tion poli­tique de ce fait-divers n’a échap­pé à per­son­ne. Vous avez tous jugé ces jeunes, mais avez-vous jugé le gou­verne­ment ? » s’interrogeait ain­si M. Vleir­ick dans Nord Lit­toral, le lende­main des révéla­tions d’RTL. « Avez-vous jugé les médias qui ont joué le jeu de cette récupéra­tion poli­tique avec autant de zèle ? », auri­ons-nous envie d’ajouter. « A en juger par les réac­tions que ces révéla­tions ont sus­citées hier sur la Toile et les sites des jour­naux – de droite ou de gauche – on peut penser que la polémique sur cette affaire un peu trop vite qual­i­fiée de « crime fas­ciste » ne fait que com­mencer », lisait-on dans 24 heures. Si elle ne fait que com­mencer, elle avait déjà été ini­tiée en amont par l’OJIM… « Avec les « révéla­tions » d’RTL hier matin, puis les « con­tre-révéla­tions » de Libéra­tion, la mort de Clé­ment Méric, pour trag­ique qu’elle soit, est retombée dans la chronique des faits-divers. Son classe­ment en rubrique poli­tique était d’ailleurs un peu pré­maturé », remar­quait le Cour­ri­er Picard. C’est le moins que l’on puisse dire. Et cette vérité va même être énon­cée avec davan­tage de force par… Lau­rent Ruquier, le 29 juin dernier, sur France 2, dans son émis­sion On n’est pas couché. L’animateur évoque en effet l’affaire dans la rubrique « Top flops » et, après l’avoir résumée à une rixe entre ban­des rivales, il enjoint ses con­frères à une extrême pru­dence, taclant leur emballe­ment qui venait de s’avérer si grotesque.

Libé, l’Huma, ou la vérité au goulag

Mais il y a égale­ment des jour­nal­istes qui, dans cette pathé­tique his­toire, n’ont jamais pris la fièvre, ou alors chez qui la fièvre idéologique est la grille naturelle d’analyse du réel. Seule pos­si­bil­ité, sans doute, pour ces mil­i­tants, de main­tenir une méth­ode d’approche du monde totale­ment périmée : périmer le monde lui-même. On trou­ve alors chez eux le déni le plus par­faite­ment décom­plexé. Pour L’Humanité : « Clé­ment Méric passe de vic­time à agresseur par la grâce de RTL ». La pos­si­bil­ité qu’un agresseur puisse finir vic­time du con­flit qu’il a déclenché sem­ble une propo­si­tion sans doute beau­coup trop com­plexe et alam­biquée pour ren­tr­er dans les cas­es bien définies de la doc­trine du jour­nal com­mu­niste. Et l’on remar­quera que ce ne sont pas les faits qui sont en cause, ni les vidéos qui les retran­scrivent, mais la radio qui les rap­porte. De la même manière, sans doute, que la vio­lence des ban­lieues français­es est une créa­tion de TF1. « Grâce » est le terme juste à employ­er, dans ce cas de fig­ure, et quoi qu’il paraisse si dis­so­nant sous la plume des ten­ants du matéri­al­isme athée. En effet, il faut vrai­ment une rup­ture de l’ordre rationnel pour que le mes­sager inter­vi­enne sur la réal­ité qu’il rap­porte et en soit tenu pour respon­s­able. Une super­sti­tion, du reste, archaïque. Mais on trou­ve aus­si d’autres inter­pré­ta­tions qui sont moins mag­iques que sim­ple­ment d’une mau­vaise foi débiles : « Selon les écoutes de la police, Este­ban Moril­lo aurait été appelé en ren­fort par sa copine et serait donc venu avec l’in­ten­tion claire d’en découdre. » S’il a été appelé en ren­fort, c’est donc qu’il est venu défendre sa copine qui se sen­tait men­acée… Le ren­verse­ment de l’initiative d’agression se résout ici dés­espéré­ment par un sim­ple abus de langage.

Touche pas mon icône

Mais le sum­mum de la gauche religieuse, qui emploie le lan­gage de la mys­tique pour mieux éviter le réel, a été atteint dans cette affaire par Libéra­tion. C’est ce jour­nal qui a sanc­ti­fié Méric sur sa cou­ver­ture le jour suiv­ant son décès et qui est allé le plus loin dans la mys­ti­fi­ca­tion. « Clé­ment Méric, antifa devenu icône », titre le jour­nal le lende­main des révéla­tions d’RTL. Pour le coup, Méric n’est devenu icône que par la grâce de Libé, que par la proféra­tion auto-réal­isatrice de ses jour­nal­istes. Il sem­ble en effet peu prob­a­ble que le vis­age poupin de l’étudiant de Sci­ences-Po rivalise demain avec celui bar­bu du Che, sur les tee-shirts des fils de bobos. Néan­moins, cet argu­ment, fût-il illu­soire, est car­di­nal dans la vision des choses exposée par Libéra­tion. Il con­di­tionne tout le reste. Si Méric est une icône, il n’a pas à être traité comme un citoyen ordi­naire. Aus­si Fab­rice Rous­selot, dans son édi­to, peut-il tran­quille­ment affirmer : « On pour­rait ali­menter la polémique vaine de savoir « qui a com­mencé ». Qui a don­né le pre­mier coup, qui a insulté un peu plus ou un peu moins, qui voulait la bagarre. » Eh bien, oui ! Pourquoi faire un procès équitable ? Pourquoi s’intéresser aux faits ? Pourquoi vouloir savoir ce qui s’est réelle­ment pro­duit ? Pourquoi vouloir juger en con­nais­sance de cause ? Puisqu’on vous dit que Méric est une icône. Or, une icône, on l’encense ou on ferme sa gueule. Toute autre atti­tude est déplacée. « Les fas­cistes sont une men­ace pour la démoc­ra­tie, pas ceux qui les com­bat­tent. » Donc ? Doit-on en con­clure que Libé donne son blanc-seing à l’extermination à vue des fas­cistes ? Ceux qui com­bat­tent leurs adver­saires poli­tiques par la traque, la dénon­ci­a­tion, l’appel au meurtre et la vio­lence seraient donc des démoc­rates exemplaires ?

La dissolution du réel

Mais le point sur lequel Libéra­tion n’a pas tort, c’est quand il note que la vidéo, con­traire­ment à ce qu’affirme la majorité des médias après le 25 juin, n’apporte en effet pas d’élément fon­da­men­tale­ment neuf au dossier, et, comme nous le remar­quions plus haut, qu’il n’y a pas lieu de par­ler de « nou­velle ver­sion », for­mule qui trahit surtout un cafouil­lage du relais médi­a­tique. L’attitude de Libé a le mérite, si ce n’est de la jus­tice, du moins de la cohérence. On nous dit en somme que bien sûr, les faits ne plaident pas en faveur de la thèse d’une vic­time inno­cente assas­s­inée gra­tu­ite­ment, que non, Méric n’a pas été lynché au sol et qu’il est cer­tain qu’il était belliqueux, mais qu’au fond le prob­lème n’est pas là. Que les faits n’ont en eux-mêmes stricte­ment aucune impor­tance. Ce qui compte, c’est qu’en tant qu’Antifa, Méric était ontologique­ment pur, quelle que soit la manière dont il ait pu se com­porter, en con­séquence de quoi, remet­tre en cause son statut de mar­tyr et d’icône relève du blas­phème. C’est en fonc­tion de cette méta­physique de poster de cham­bre d’ado que nous sommes cen­sés juger des choses, point. Le réel est un domaine réservé aux ergo­teurs funestes et demeure tou­jours sus­pect de ne pas col­la­bor­er à ce que Philippe Muray appelait « L’Empire du Bien. » Votons sa dissolution.

Le lieu du scandale

« Quant à l’in­for­ma­tion de RTL pré­cisant que le mil­i­tant antifa n’a pas été « lynché une fois par terre », tout le monde le savait, les témoins, la PJ et le pro­cureur de Paris l’ayant bien expliqué », pré­cise donc encore Rous­selot. Cela est juste et cepen­dant, si cette non-infor­ma­tion a été rap­portée de cette manière, c’est bien parce que l’affabulation d’un lyn­chage avait cir­culé, et si elle avait cir­culé, c’est parce que des faits sem­blables auraient cor­re­spon­du à la rhé­torique pré­cisé­ment employée par des jour­naux comme Libéra­tion, sans quoi Libé se retrou­ve avec un mar­tyr dépourvu de son auréole. Non, le pau­vre étu­di­ant n’a pas été lynché et sa mort, si elle est trag­ique, ne tient pas du scan­dale poli­tique. En revanche, si la plu­part des médias sont donc revenus piteuse­ment de ce faux scan­dale, il est éton­nant que n’ait été nulle part désigné le vrai scan­dale : com­ment ce fait-divers a été manip­ulé par le gou­verne­ment pour organ­is­er un lyn­chage sym­bol­ique de ses opposants, ceux-ci tenus implicite­ment pour respon­s­ables de la mort d’un ado­les­cent et de la résur­rec­tion du nazisme par une chaîne de syl­lo­gismes pro­pre­ment aber­rante. Que les médias, abusés avec autant de facil­ité, aient par­ticipé à l’organisation de ce lyn­chage, voilà qui aurait mérité toutes les épithètes accolées hâtive­ment à l’événement : « lâche » et « odieux », par exem­ple. Et voilà ce qui ressor­tit bien, en effet, au scan­dale politique.

M.D.

Voir aussi

Vidéos à la une

Derniers portraits ajoutés