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L’assassinat du maire de Gdańsk, infox en Pologne et en France

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2 février 2019

Temps de lecture : 10 minutes
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L’assassinat du maire de Gdańsk, infox en Pologne et en France

Temps de lecture : 10 minutes

L’agression à l’arme blanche du maire de Gdańsk, le libéral Paweł Adamowicz, sur la scène d’un concert caritatif le 13 janvier 2019 et son décès le lendemain des suites de ses blessures a été l’occasion pour certains médias libéraux-libertaires et de gauche de s’en prendre à un « climat de haine » que les conservateurs du PiS auraient généré depuis leur arrivée au pouvoir il y a trois ans.

Télévision publique accusée par l’opposition

La télévi­sion publique TVP reprise en main par le PiS début 2016 s’est aus­si retrou­vée dans la ligne de mire de ces médias, qu’ils soient polon­ais ou européens. Elle aurait, par ses attaques inces­santes con­tre l’opposition libérale et notam­ment con­tre la Plate­forme civique (PO) et con­tre le maire Paweł Adamow­icz, directe­ment inspiré le tueur. Celui-ci, con­damné à une peine de cinq ans de prison en 2013 pour des hold-ups con­tre plusieurs ban­ques, aurait nour­ri sa haine de la Plate­forme civique alors au pou­voir par les rap­pels inces­sants des affaires de cor­rup­tion de la PO pen­dant les infor­ma­tions de TVP, seule chaîne que les pris­on­niers auraient le droit de regarder. Si le tueur sor­ti de prison en décem­bre 2018 après avoir purgé sa peine était soigné pour des prob­lèmes de schiz­o­phrénie para­noïde, il n’aurait sans doute jamais com­mis son ter­ri­ble geste sans la pro­pa­gande anti-PO de la télévi­sion publique souligne l’opposition polon­aise reprise par cer­tains médias à l’étranger.

Infox de Gazeta Wyborcza reprise en France

Une pré­ci­sion s’impose ici : Paweł Adamow­icz avait sus­pendu son adhé­sion à la PO qui lui avait préféré un autre can­di­dat au pre­mier tour des élec­tions munic­i­pales d’octobre dernier, juste­ment en rai­son des accu­sa­tions de cor­rup­tion qui pesaient sur lui. L’acte d’accusation du par­quet, con­cer­nant des omis­sions impor­tantes sur ses déc­la­ra­tions de pat­ri­moines, date de mars 2015, et donc d’avant l’arrivée au pou­voir du PiS. Deux­ième pré­ci­sion : l’histoire de TVP qui serait la seule chaîne de télévi­sion regardée dans les pris­ons est une fake news lancée sur Twit­ter par un jour­nal­iste du jour­nal libéral-lib­er­taire anti-PiS Gaze­ta Wybor­cza, un cer­tain Woj­ciech Czuch­nows­ki. Ce bobard a été démen­ti dès le lende­main par l’autorité en charge des pris­ons qui a pub­lié la liste des chaînes de télévi­sion acces­si­bles aux pen­sion­naires du cen­tre péni­ten­ti­aire de Mal­bork où était incar­céré le tueur du maire de Gdańsk, et par­mi lesquelles on trou­ve aus­si les chaînes privées anti-PiS Pol­sat et TVN. Ce bobard a été repris par plusieurs médias polon­ais et inter­na­tionaux, comme par exem­ple Le Figaro.

Deux poids deux mesures

Out­re les fauss­es nou­velles accom­pa­g­nant la cou­ver­ture médi­a­tique de cet assas­si­nat par les grands médias, ce qui frappe, c’est le deux poids deux mesures. Pour s’en ren­dre compte, il suf­fit de com­par­er cette nou­velle tragédie au meurtre d’un assis­tant par­lemen­taire du PiS à Łódź en 2010 (voir infra). Alors que les moti­va­tions réelles de Ste­fan W., l’assassin d’Adamowicz, sont encore à con­firmer par les enquê­teurs et alors que l’on sait déjà avec cer­ti­tude qu’il souf­frait de trou­bles men­taux (schiz­o­phrénie para­noïde), le PiS et la télévi­sion publique ont immé­di­ate­ment été ren­dus respon­s­ables par plusieurs médias, soit directe­ment, soit en ten­dant le micro à cer­tains dirigeants de l’opposition libérale qui soute­naient cette thèse. Les exem­ples sont nom­breux, et l’on ne pour­rait les citer tous ici. Par­mi eux, il y a eu le rédac­teur-en-chef de Gaze­ta Wybor­cza, Jarosław Kurs­ki, repris dans l’article du Figaro cité plus haut, qui a pub­lié un édi­to­r­i­al en ce sens le lende­main de la mort du maire, sous le titre « La mort de Paweł Adamow­icz. La haine ense­mencée finit tôt ou tard par don­ner une récolte ». Il y a eu encore la cor­re­spon­dante du jour­nal anglais The Guardian, Aga­ta Pyzik, qui a immé­di­ate­ment qual­i­fié sur Twit­ter ce crime de « pre­mier meurtre d’un politi­cien motivé par une haine idéologique » com­mis par un « gang­ster sym­pa­thisant avec l’extrême droite ». On sup­pose ici que « l’extrême droite », ce serait le PiS, puisqu’aucun lien du tueur avec des groupes nation­al­istes n’a été établi ni même aucune sym­pa­thie par­ti­c­ulière pour ce genre de groupes. C’est con­fir­mé plus loin dans la dis­cus­sion provo­quée par ce tweet, quand la jour­nal­iste par­le de la Pologne comme étant gou­vernée par l’extrême droite.

Par­mi les lead­ers de la Plate­forme civique (PO) qui ont mal­gré tout rapi­de­ment imputé le crime com­mis à Gdańsk au PiS et aux médias publics, il y a eu Elż­bi­eta Bieńkows­ka, anci­enne min­istre de Don­ald Tusk aujourd’hui com­mis­saire européenne pour le Marché intérieur et les ser­vices. Dans un entre­tien avec le média anti-PiS OKO.press, elle a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un meurtre poli­tique causé par l’action du PiS et elle a expliqué avoir dit à ses col­lègues à Brux­elles que cela fai­sait trois ans qu’elle craig­nait qu’une telle chose survi­enne en Pologne. Autre exem­ple : le Finan­cial Times, dans un arti­cle inti­t­ulé « Le meurtre trag­ique de Gdan­sk est un aver­tisse­ment pour l’Europe », a estimé que le PiS, et unique­ment lui, devait chang­er de rhé­torique et que la Pologne d’aujourd’hui serait « un exem­ple par­mi d’autres du fos­sé qui se creuse en Europe entre le libéral­isme tolérant et le nation­al­isme con­ser­va­teur ».

Un libéralisme intolérant

Mais puisqu’il est ques­tion de « pre­mier » meurtre motivé idéologique­ment, Mme Pyzik a vis­i­ble­ment « oublié » le meurtre de Marek Rosi­ak, assis­tant par­lemen­taire du PiS, en 2010, par un tueur dont la respon­s­abil­ité totale au moment des faits et les moti­va­tions pure­ment poli­tiques ont été recon­nues par la jus­tice. Le meur­tri­er, Ryszard Cyba, ancien adhérent de la Plate­forme civique (d’avril 2004 à jan­vi­er 2006) a fait irrup­tion le 19 octo­bre 2010 dans la per­ma­nence de Łódź de Janusz Woj­ciechows­ki, député au Par­lement européen du PiS, avec la volon­té d’y tuer des mem­bres du par­ti au seul motif de leur appar­te­nance poli­tique et faute d’avoir la pos­si­bil­ité de vis­er plus haut : il a ensuite crié aux policiers qui l’embarquaient avoir voulu tuer Jarosław Kaczyńs­ki qu’il haïs­sait. L’enquête a mon­tré qu’il souhaitait aus­si tuer au moins deux autres lead­ers de ce par­ti (Jacek Kurs­ki, l’actuel prési­dent de la télévi­sion publique, et Zbig­niew Zio­bro, actuel min­istre de la Jus­tice, les deux étant à l’époque députés au Par­lement européen). Son attaque a fait un mort à par arme à feu et un blessé grave à l’arme blanche par­mi les per­son­nes présentes à la per­ma­nence de député. Seule l’intervention rapi­de d’un polici­er munic­i­pal alerté par le bruit a per­mis d’éviter un car­nage. La jus­tice polon­aise, en le con­damnant à per­pé­tu­ité en décem­bre 2011, a estimé que le tueur de l’assistant par­lemen­taire Marek Rosi­ak, était pleine­ment respon­s­able de ses actes, qu’il avait agi par haine poli­tique et qu’il avait été influ­encé par les médias (déjà très polar­isés à l’époque, notam­ment dans le con­texte de la cat­a­stro­phe de Smolen­sk dans laque­lle le prési­dent Lech Kaczyńs­ki avait per­du la mort avec 95 autres per­son­nes). À l’époque, Gaze­ta Wybor­cza et les médias libéraux avaient eu plutôt ten­dance à rel­a­tivis­er la moti­va­tion poli­tique du tueur, cher­chant au con­traire à le décrire comme un déséquili­bré qui aurait pu vis­er n’importe qui, comme dans cet arti­cle pub­lié deux jours après l’attentat. Tout le con­traire de l’attitude adop­tée par ces mêmes médias après le meurtre du maire de Gdańsk, donc.

Gazeta Wyborcza et les discours de haine

Et pour cause ! Le jour­nal n’était pas pour rien dans le « cli­mat de haine » dévelop­pé à l’époque con­tre l’opposition con­ser­va­trice. Ain­si, une semaine avant le crime de Ryszard Cyba, voici ce qu’on pou­vait lire sur le leader du PiS, frère jumeau du prési­dent défunt, dans Gaze­ta Wybor­cza, dans un arti­cle inti­t­ulé « Les vrais Polon­ais sont de retour », à pro­pos des man­i­fes­ta­tions de l’opposition devant le Palais prési­den­tiel à Varso­vie con­tre la manière dont était menée l’enquête sur la cat­a­stro­phe de Smolen­sk. En-tête, l’article de Tomasz Wołek est résumé ain­si : « Il ne reste plus à Kaczyński qu’à compter sur une crise, des émeutes, une désta­bil­i­sa­tion, et même la dis­lo­ca­tion de l’État. Sur une sorte de guerre civile. » Suit une descrip­tion du retour des « Vrais Polon­ais » évo­quant une marche de SA du début des années 30 en Alle­magne. L’auteur explique entre autres choses que c’est Jarosław Kaczyńs­ki qui a per­mis aux « Vrais Polon­ais » de sor­tir de l’ombre, où ils res­pi­raient seuls les « vapeurs de leur idéolo­gie empoi­son­née », s’abreuvant de lec­tures anti­sémites, etc. etc. Et les voilà qui, der­rière Kaczyńs­ki, enta­ment une marche tri­om­phale vers le pou­voir. » « Kaczyńs­ki s’est lancé dans un jeu qui fait courir à la Pologne un dan­ger mor­tel », pour­suiv­ait le jour­nal­iste, « il a piét­iné et retourné à 180° les principes élé­men­taires de la poli­tique démoc­ra­tique. (…) Il suit cette voie avec une déter­mi­na­tion enragée, sans pren­dre garde aux con­séquences. Il sem­ble prêt à met­tre le feu à la Pologne pour attein­dre son but. Il est déjà par­venu à divis­er la société, à sus­citer l’agressivité, à faire renaître une ambiance proche de l’atmosphère explo­sive des années 20 et 30. » Etc.

Ces « Vrais Polon­ais » dont par­lait le jour­nal­iste pour com­par­er Kaczyńs­ki à une sorte de nou­v­el Hitler prove­naient d’une phrase imputée quelques jours plus tôt au leader con­ser­va­teur C’est une jour­nal­iste de la télévi­sion TVN (aus­si vio­lem­ment hos­tile au PiS que Gaze­ta Wybor­cza) qui l’avait mis dans la bouche de Jarosław Kaczyńs­ki, pen­dant les infor­ma­tions du soir (les plus regardées). Mais cette phrase était inven­tée de toutes pièces, ce que la télévi­sion TVN avait ensuite expliqué par une erreur due à la mau­vaise qual­ité de l’enregistrement. Avant le démen­ti de TVN cette phrase avait été déjà large­ment com­men­tée et dénon­cée par plusieurs lead­ers de la Plate­forme civique, qui gou­ver­nait alors la Pologne. Après le démen­ti cette expres­sion de « Vrais Polon­ais » a con­tin­ué d’être imputée à Kaczyńs­ki et l’est jusqu’à aujourd’hui. C’était ain­si le cas, par exem­ple, dans l’article de Wołek pub­lié dans Gaze­ta Wybor­cza le 13 octo­bre 2010 alors que le démen­ti de TVN avait déjà été relayé et expliqué dans tous les grands médias, comme ici la veille de l’article de Wołek sur le site de la radio Tok FM (qui appar­tient au même groupe médi­a­tique, Ago­ra, que Gaze­ta Wybor­cza et qui a ses locaux dans le même immeuble).

Entre la télévi­sion publique TVP qui rap­pelait à chaque fois qu’elle le pou­vait, jusqu’à l’exagération, les accu­sa­tions de cor­rup­tion et d’enrichissement indu pesant sur le maire de Gdańsk et les médias Gaze­ta Wybor­cza et TVN qui cher­chaient et cherchent encore à faire pass­er les con­ser­va­teurs du par­ti Droit et Jus­tice, qui se récla­ment de la démoc­ra­tie chré­ti­enne, pour des fas­cistes ou des nazis prêts à met­tre la Pologne à feu et à sang, qui sont donc les prin­ci­paux coupables de ce « cli­mat de haine » sup­posé régn­er aujourd’hui en Pologne ?

La polarisation politique en Pologne

La réponse à cette ques­tion nous est don­née par une étude sur la polar­i­sa­tion poli­tique des Polon­ais con­duite par l’Université de Varso­vie à l’automne 2018. Cette étude mon­tre que les par­ti­sans de l’opposition d’aujourd’hui nour­ris­sent bien davan­tage de haine con­tre les sym­pa­thisants du PiS que ces derniers à leur égard. Le même jour­nal Gaze­ta Wybor­cza a cher­ché à com­pren­dre cette sit­u­a­tion en inter­ro­geant un des auteurs de l’étude. Quand on lui demande si cette ani­mosité n’est pas dûe à un sen­ti­ment d’impuissance lié au fait que le PiS est en ce moment au pou­voir, la psy­cho­logue de l’Université de Varso­vie cite la même étude faite en 2013, qui avait mon­tré qu’à l’époque les gens qui croy­aient à la thèse d’un atten­tat à Smolen­sk le 10 avril 2010 (majori­taire­ment proches du PiS) avaient des sen­ti­ments plus ami­caux vis-à-vis de ceux qui voy­aient en cette thèse une théorie du com­plot (ce qui était le cas de tous les par­ti­sans du gou­verne­ment PO-PSL) que ces derniers à leur égard.

S’ils ren­dent aujourd’hui volon­tiers la télévi­sion publique polon­aise core­spon­s­able du meurtre com­mis con­tre la per­son­ne du maire de Gdańsk, les médias comme Gaze­ta Wybor­cza et TVN devraient donc a for­tiori se con­sid­ér­er comme core­spon­s­ables du meurtre de Marek Rosi­ak en 2010 et de tous les cas de van­dal­ismes et de ten­ta­tives d’incendie con­tre les per­ma­nences du PiS de ces dernières années ? Il sem­blerait qu’ils ne pren­nent pas cette voie.