Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Antisémitisme : une condamnation sélective des médias

27 février 2019

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Veille médias | Antisémitisme : une condamnation sélective des médias

Antisémitisme : une condamnation sélective des médias

Temps de lecture : 6 minutes

On aura beaucoup parlé de l’antisémitisme durant ce mois de février. Des insultes à l’encontre d’Alain Finkielkraut à la manifestation du 19 février en passant par la profanation de certaines tombes, l’actualité n’aura pas été avare en la matière. Pour plusieurs médias, l’indignation semble sélective dans cette condamnation.

Un antisémitisme bien franchouillard

Plusieurs titres de presse ont con­sacré ces derniers jours un dossier à l’antisémitisme et aux récents événements.

L’édition du 21 févri­er de L’Express développe dans un dossier le sujet de « l’antisémitisme et ses com­plices ». Il com­porte un édi­to­r­i­al, une inter­view du pre­mier min­istre, un arti­cle recen­sant des actes anti­sémites récents et un arti­cle de l’historien Claude Sur­reau. Si le jour­nal évoque furtive­ment – en une seule phrase — l’antisémitisme islamique, il s’attarde longue­ment sur les expli­ca­tions pos­si­bles de la « libéra­tion de la parole anti-juive ». Les deux pistes sont une « dérive anti­sémite des gilets jaunes » et « une griffe de grou­pus­cules d’extrême gauche et d’ultra droite ».

Libéra­tion du 20 févri­er titre sur « la République réplique ». Out­re la cou­ver­ture de la man­i­fes­ta­tion de la veille, un arti­cle est con­sacré à la pro­fa­na­tion d’un cimetière israélite près de Stras­bourg. L’article pointe « l’extrême droite » en se bas­ant sur un sigle lais­sé lors d’une pro­fa­na­tion dans un autre vil­lage Alsacien…en 2015. Un his­to­rien con­sacre un long arti­cle aux « leçons de l’histoire ». Ses références sem­blent figées à l’affaire Drey­fus. Une série d’incidents dans la semaine du 9 au 16 févri­er est égrenée : inscrip­tions, insultes, tir à la cara­bine sur une per­son­ne sor­tant d’une syn­a­gogue à Sar­celles. Pas un mot sur les auteurs de ces exac­tions quand ils sont connus.

Aujourd’hui en France con­sacre sa cou­ver­ture le 20 févri­er au « sur­saut répub­li­cain ». C’est encore une fois des croix gam­mées dans le cimetière Quatzen­heim (Bas Rhin) qui sus­ci­tent l’indignation. Une his­to­ri­enne est inter­viewée, elle évoque le fait que c’est en général « l’expression de courants nation­al­istes et extrémistes ». « La haine est bien plus forte à l’encontre d’autres groupes, notam­ment les musul­mans ». L’article le plus court du dossier ne peut pass­er sous silence que l’auteur des insultes à l’encontre d’A. Finkiel­fraut a évolué dans la mou­vance salafiste en 2014.

Sur le site de L’Obs, Syl­vain Courage dédie une tri­bune à « l’antisémitisme en nous ». « La résur­gence de la haine n’est pas acci­den­telle, elle résulte d’une con­struc­tion idéologique bien présente à droite comme à gauche », nous assène-t-il.

« Le mot de la semaine » de l’hebdomadaire Le Point con­cerne l’antisémitisme. Celui-ci « a tou­jours prospéré sur ces deux franges (extrême gauche et extrême droite) de l’échiquier poli­tique ».

Le point com­mun qui ressort de ces arti­cles est que l’antisémitisme serait un phénomène essen­tielle­ment « fran­chouil­lard », pro­fondé­ment ancré dans la cul­ture française, à l’extrême gauche et surtout à l’extrême droite.

Le lende­main de la man­i­fes­ta­tion du 19 févri­er, le Huff­in­g­ton post présente les prin­ci­pales annonces du Prési­dent Macron con­tre l’antisémitisme dévoilées à l’occasion du din­er annuel du Con­seil Représen­tatif des Insti­tu­tions Juives de France : une déf­i­ni­tion pénale de l’antisémitisme élargie à l’antisionisme et la dis­so­lu­tion « des asso­ci­a­tions ou groupe­ments qui par leur com­porte­ment nour­ris­sent la haine, promeu­vent la dis­crim­i­na­tion ou appel­lent à l’ac­tion vio­lente ».

L’édition du 21 févri­er du jour­nal La Croix nous apprend que les groupes visés par le prési­dent de la république sont tous « d’ultra droite ».

Dans les arti­cles retenus, on assiste à un exer­ci­ce de con­tri­tion (l’antisémitisme est pro­fondé­ment ancré dans la société française) et à la désig­na­tion des coupables (cer­tains courants de l’extrême gauche et surtout de l’extrême droite). Les rares fois où l’antisémitisme islamique est évo­qué con­cer­nent l’auteur des insultes proférées à l’encontre d’A. Finkielkraut le 16 février.

Des brevets de moralité décernés à l’occasion de la manifestation contre l’antisémitisme

Dans un précé­dent arti­cle, nous évo­quions la manip­u­la­tion médi­a­tique visant à sor­tir le Rassem­ble­ment nation­al, et dans une moin­dre mesure Debout la France, des par­tis poli­tiques lut­tant con­tre l’antisémitisme.

La France Insoumise (LFI) dirigée par J.L. Mélen­chon a égale­ment été sous les feux de la sus­pi­cion, voire de la cri­tique médi­a­tique à l’occasion de la man­i­fes­ta­tion du 19 février :

BFMTV par­le de « l’am­biguïté de La France insoumise à la suite des récents actes anti­sémites ». Libéra­tion évoque « la sol­i­dar­ité tar­dive de LFI ». Le Télé­gramme men­tionne « la France Insoumise au coeur d’une polémique ».

Il ressort tant des dossiers et arti­cles cités con­sacrés à l’antisémitisme que de la cou­ver­ture de la man­i­fes­ta­tion du 19 févri­er que l’antisémitisme s’inscrirait dans une longue tra­di­tion française. Des sus­pi­cions à l’encontre de deux par­tis, RN et LFI, sont par ailleurs large­ment relayées. Cet exer­ci­ce cri­tique dans les médias s’arrêtera à ces deux par­tis poli­tiques et à des mou­ve­ments poli­tiques « extrêmes ».

Une contextualisation a minima

Pour­tant, la cou­ver­ture médi­a­tique des récents événe­ments à car­ac­tère anti­sémite com­porte de nom­breux biais, silences et rac­cour­cis lapidaires :

- Quand les auteurs de meurtres anti­sémites sont iden­ti­fiés, il ne s’agit pas de « fran­chouil­lards », mais d’individus issus de l’immigration, comme le souligne Damien Rieu :

https://twitter.com/DamienRieu/status/1097534818286530560

- Alors que des procès en « insincérité » dans la lutte con­tre l’antisémitisme sont faits aux par­tis RN et LFI par plusieurs médias, à aucun moment ceux-ci ne par­lent de « ces maires qui cour­tisent l’islamisme ». Ces maires appar­tenant à des par­tis poli­tiques ayant appelé à la man­i­fes­ta­tion du 19 févri­er et qui ont don­né des moyens au développe­ment de l’islamisme dans cer­taines mosquées. Le lecteur pour­ra se reporter à ce sujet au patient tra­vail réal­isé par Joachim Velio­chas depuis quelques années.

- Le lien entre l’islamisme et l’antisémitisme, dans une par­tie gran­dis­sante de la société, est totale­ment passé sous silence. Pour­tant, Hakim El Karoui con­statait dans un rap­port sur l’islam français pub­lié par l’Institut Mon­taigne en 2018 que « l’antisémitisme est ain­si devenu un mar­queur d’appartenance » chez une par­tie des musul­mans (qui représen­teraient selon l’auteur du rap­port 25% d’entre eux).

Cet anti­sémitisme d’extrémistes musul­mans est respon­s­able de la plus grande par­tie des agres­sions anti­sémites en France, comme le souligne un rap­port de l’Eu­ro­pean Union Agency for Fun­da­men­tal Rights cité par le jour­nal­iste du Figaro Alexan­dre Devecchio :

Des ques­tions essen­tielles auront donc été passées sous silence par les médias de grand chemin à l’occasion de cette péri­ode mar­quée par la ques­tion de l’antisémitisme. Comme si un con­sen­sus médi­ati­co-poli­tique exis­tait à surtout ne pas évo­quer cer­tains faits trop gênants.

Crédit pho­to : Patrick Gaudin via Flickr (cc)