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Amanda Gorman, Le Monde au Congo

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9 mars 2021

Temps de lecture : 8 minutes
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Amanda Gorman, Le Monde au Congo

Temps de lecture : 8 minutes

Une jeune poète afro-américaine prononçant un poème « engagé », politiquement correct à souhait, le jour de l’investiture du nouveau président des États-Unis Joe Biden : cela avait ému la planète des médias de grand-chemin, et en particulier Le Monde. Mais voilà qu’une européenne veut le traduire. Au scandale des milieux décoloniaux hollandais.

Le 20 jan­vi­er 2021, sous l’œil atten­dri de Joe Biden, soucieux de don­ner des gages à une gauche du par­ti démoc­rate avide d’en découdre au plus vite sur les ver­sants de la can­cel cul­ture, autrement dit de l’effacement du réel, du déboulon­nage des stat­ues ou de la pro­mo­tion des minorités mil­i­tantes, la jeune poète Aman­da Gor­man, 22 ans, prononçait « The Hill We Climb », « La colline que nous escal­adons », lors de la céré­monie d’investiture du nou­veau prési­dent, âgé, des États-Unis d’Amérique. Une sorte de sym­bole : le vieux mâle blanc hétéro­sex­uel un peu gâteux, réputé pour ne pas dédaign­er une main aux fess­es par-ci par-là, s’effaçant devant la jeune noire.

Le poème vaut son pesant de bien-pensance

C’est dans le con­texte de sa tra­duc­tion que ce poème a provo­qué une polémique fin févri­er 2021, aux Pays-Bas. Vous trou­verez la tra­duc­tion com­plète en fin d’article.

Il est dif­fi­cile de faire plus dans l’air dom­i­nant du temps. Un air dom­i­nant qui fait sen­tir sa petite musique quand il s’agit de traduire ce poème. C’est ain­si qu’aux Pays-Bas….

L’anti-racisme devenu racisme, le tout sous l’œil aguerri du Monde

Le 26 févri­er 2021, l’écrivain Marieke Lucas Rijn­eveld, choisie par l’éditeur néer­landais du poème d’Amanda Gor­man, sous la pres­sion renonçait à le traduire. Depuis, mil­i­tants, intel­lectuels bien vus et milieux cul­turels débat­tent, à con­di­tion que cela reste cir­con­scrit dans des salons de gauche.

Une personne blanche peut-elle retranscrire la voix dune Afro-Américaine ?

Cela pour­rait sem­bler ris­i­ble si le fait ne tradui­sait pas la trans­for­ma­tion de nos sociétés en un univers que même George Orwell n’imaginait pas, la réal­ité dépas­sant sou­vent la fiction.

Reprenons Le Monde, quo­ti­di­en de référence de l’anti-racisme devenu racisme : joyeuse, le 23 févri­er, d’avoir été choisie pour la tra­duc­tion, l’écrivain néer­landaise de 29 ans, récom­pen­sée en 2020 par l’International Book­er Prize (ce qui induit d’être forte­ment inté­grée dans un écosys­tème qu’elle risque de regarder à présent d’un tout autre œil), a forte­ment déchan­té trois jours plus tard tant la polémique est dev­enue déli­rante. Il s’avère que Marieke Lucas Rijn­eveld est blanche, une den­rée qui devient rare en milieu urbain aux Pays-Bas diront les mau­vais­es langues. Or, en 2021, la poésie sem­ble dépen­dre de la couleur de la peau du poète.

Marieke Lucas Rijn­eveld avait même été adoubée par Aman­da Gor­man, l’écrivain hol­landaise incar­nant (sans quoi elle n’obtiendrait pas le même suc­cès de librairie) une autre minorité, se récla­mant de « la minorité sex­uelle non binaire. »

Halte là ! Ce n’est pas (ou plus) si simple !

L’écrivain hol­landaise a renon­cé. La polémique était trop forte, son édi­teur rece­vant des tombereaux de reproches et d’insultes pour avoir désigné « une per­son­ne blanche ». D’après Le Monde, d’autres élé­ments seraient entrés en ligne de compte : « Son par­cours per­son­nel, ses références cul­turelles, son absence de con­nais­sance du slam, sa maîtrise jugée insuff­isante de langlais mais, surtout, le fait que sa désig­na­tion traduise « le sur­plomb de la pen­sée blanche », comme la écrit sa con­sœur néerlandaise Olave Nduwan­je ». Cette dernière étant une autre femme écrivain de nation­al­ité néer­landaise, dont le nom laisse enten­dre les exo­tiques orig­ines. D’autres voix se sont élevées pour réclamer que soit retenue « une jeune femme slameuse et fière­ment noire ». 

La ques­tion ne se posera pas en France où le poème doit être traduit chez Fayard. La tra­duc­trice a déjà été choisie. Elle s’appelle Marie-Pier­ra Kako­ma et est Bel­go-Con­go­laise. Il ne devrait pas y avoir de souci. Quoi que… Peut-être une polémique naî­tra-t-elle du fait que Kako­ma a con­servé la dou­ble nation­al­ité, étant aus­si belge que con­go­laise. Ne risque-t-elle pas de pass­er pour un élé­ment d’héritage de la coloni­sa­tion blanche ? Et de toutes les hor­reurs afférentes faites aux femmes (noires)

La colline que nous gravis­sonsAman­da Gorman

Quand le jour arrive, nous nous deman­dons où pou­vons-nous trou­ver de la lumière dans cette ombre qui n’en finit plus ?
La peine que nous por­tons, une mer dans laque­lle nous devons patauger.
Nous avons bravé le ven­tre de la bête.
Nous avons appris que la tran­quil­lité n’est pas tou­jours la paix,
et que les normes et notions de ce qui est juste ne sont pas tou­jours justice.
Et pour­tant, l’aube est nôtre avant que nous le sachions.
D’une cer­taine manière, nous le savons.
D’une cer­taine manière, nous avons sur­mon­té et été témoins d’une nation qui n’est pas brisée,
mais sim­ple­ment inachevée.
Nous, les héri­tiers d’un pays et d’une époque où une jeune fille noire, mai­gre, descen­dante d’esclaves et élevée par une mère céli­bataire peut rêver de devenir prési­dente, sim­ple­ment en se retrou­vant à réciter pour lui.
Et oui, nous sommes loin d’être liss­es, loin d’être irréprochables,
mais cela ne veut pas dire que nous aspirons à for­mer une union parfaite.
Nous aspirons à forg­er une union d’intention.
A com­pos­er un pays engagé en toutes ses cul­tures, couleurs, per­son­nal­ités et con­di­tions humaines.
Et donc nous lev­ons nos regards non pas sur ce qui se dresse entre nous, mais sur ce qui se dresse devant nous.
Nous comblons le fos­sé car nous savons que, pour faire pass­er notre futur en pre­mier, nous devons pass­er out­re nos différences.
Nous déposons nos armes pour pou­voir se ten­dre les bras les uns aux autres.
Nous ne cher­chons la nui­sance d’aucun, l’harmonie de tous.
Lais­sons le monde entier, rien de moins, dire que ceci est vrai :
que même dans notre deuil, nous grandissons
que même dans notre douleur, nous espérons
que même dans notre fatigue, nous essayons
que nous serons liés à jamais, victorieux.
Non pas car nous ne con­naîtrons jamais plus la défaite, mais car nous nous ne sèmerons jamais plus la division.
L’Ecriture nous enseigne d’envisager que cha­cun s’assoira sous ses pro­pres vigne et figu­ier, et que per­son­ne ne l’effrayera.
Si nous voulons être à la hau­teur de notre temps, alors la vic­toire ne passera pas par la lame, mais par les ponts que nous créons.
C’est la promesse de la clair­ière, la colline que nous gravis­sons, seule­ment si nous l’osons.
C’est parce qu’être Améri­cain représente plus que la fierté dont nous héritons.
C’est le passé que nous pénétrons et notre manière de le réparer.
Nous avons vu une force qui ferait vol­er en éclats notre nation plutôt que la partager,
qui détru­irait notre pays si cela retar­dait la démocratie.
Cette ten­ta­tive a presque réussi.
Même si la démoc­ra­tie peut être péri­odique­ment retardée,
elle ne peut jamais être vaincue.
En cette vérité, en cette foi, nous croyons,
car tant que nous gar­dons les yeux sur le futur, l’histoire nous garde à l’œil.
Voici l’époque de la rédemption.
Nous la craignions à ses débuts.
Nous ne nous sen­tions pas prêts à être les héri­tiers d’une heure aus­si ter­ri­fi­ante, mais en son sein, nous avons trou­vé la force d’être auteurs d’un nou­veau chapitre, de s’offrir l’espoir et les rires.
Alors qu’une fois nous nous deman­dions « Com­ment pour­rons-nous tri­om­pher d’une telle cat­a­stro­phe ? », main­tenant nous affir­mons : « Com­ment une telle cat­a­stro­phe pour­rait-elle tri­om­pher de nous ? »
Nous ne défilerons pas pour le passé, mais avancerons vers ce qui pour­ra être:
Un pays qui est meur­tri mais entier, bien­veil­lant mais téméraire, féroce et libre.
Nous ne serons pas retournés ni inter­rom­pus par des intim­i­da­tions car nous savons que notre inac­tion et notre iner­tie seront l’héritage de la généra­tion future.
Nos bévues devi­en­nent leurs fardeaux.
Mais une chose est sûre :
Si nous fusion­nons mis­éri­corde avec puis­sance, et puis­sance avec droit, alors l’amour devient notre legs et le change­ment, le droit de nais­sance de nos enfants.
Alors lais­sons der­rière nous un pays meilleur que celui qui nous a été laissé.
A chaque souf­fle de ma poitrine martelée de bronze, nous relèverons ce monde blessé pour en faire une merveille.
Nous nous lèverons des collines mor­dorées de l’Ouest.
Nous nous lèverons du Nord-Est bal­ayé par les vents où nos aïeux ont réal­isé la révolution.
Nous nous lèverons des villes bor­dées de lacs dans les États du Midwest.
Nous nous lèverons du Sud baigné par le soleil.
Nous recon­stru­irons, réc­on­cilierons, et récupérerons.
Dans chaque recoin con­nu de notre nation, dans chaque coin appelé notre pays, notre peu­ple, diver­si­fié et beau, émerg­era mal­mené et beau.
Quand le jour arrive, nous sor­tons de l’ombre, enflam­més et résolus.
L’aube nou­velle éclot quand nous la libérons.
Car il y a tou­jours la lumière,
si seule­ment nous sommes assez braves pour la voir.
Si seule­ment nous sommes assez braves pour l’être.

Sur la pensée décoloniale voir notre vidéo sur la pseudo-affaire Obono Valeurs actuelles