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Terrorisme et immigration selon Le Monde : pas d’huile sur le feu et pas d’amalgame

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18 novembre 2020

Temps de lecture : 6 minutes
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Terrorisme et immigration selon Le Monde : pas d’huile sur le feu et pas d’amalgame

Temps de lecture : 6 minutes

Y a‑t-il un lien entre terrorisme et immigration ? Le quotidien Le Monde s’est posé cette grave question dans un article publié le 12 novembre 2020. En appelant à la rescousse plusieurs spécialistes patentés ou désignés d’office, le journal entend mettre ce lien « à l’épreuve des faits ». Ses arguments sont loin d’être convaincants.

Tu parles d’où, camarade ?

Dans les années 1960 et 1970, lorsqu’un inter­venant pre­nait la parole dans une Assem­blée Générale dans une salle de cours enfumée d’une uni­ver­sité, il était très fréquent qu’on lui demande : « Tu par­les d’où, cama­rade ? », afin de con­naitre le courant idéologique qu’il représen­tait. À la même péri­ode, le quo­ti­di­en Le Monde béné­fi­ci­ait aux yeux de cer­tains de la répu­ta­tion de « quo­ti­di­en de référence ». S’il s’agit d’une autre époque, bien loin­taine, il est tou­jours utile de savoir dans quel courant de pen­sée s’inscrit un jour­nal­iste avant de lire son article.

La jour­nal­iste Julia Pas­cual écrit de nom­breux arti­cles sur l’immigration dans le quo­ti­di­en du soir. Leur point com­mun : présen­ter les migrants comme des vic­times et les moyens con­sid­érables que déploie l’État français pour leur accueil comme insuff­isants. C’est une opin­ion que l’on peut ne pas partager mais qui est respectable. Il est néan­moins utile de l’avoir à l’esprit lorsqu’on lit un arti­cle de la journaliste.

Le lien entre terrorisme et immigration : un véritable tabou

La jour­nal­iste donne comme exem­ples de ceux qui étab­lis­sent un lien entre immi­gra­tion et ter­ror­isme des lead­ers de par­tis à la droite de l’échiquier poli­tique et des populistes.

« Ces pro­pos sus­ci­tent un cer­tain malaise, notam­ment au sein du secteur asso­ci­atif ». En employ­ant une telle for­mu­la­tion, Julia Pas­cual se focalise sur ceux qui rejet­tent ce lien réel ou sup­posé. Sont-ils nom­breux ? Elle aurait pu égale­ment rap­pel­er qu’un sondage de l’IFOP réal­isé en 2018 fait ressor­tir qu’une majorité de Français estime que l’immigration « max­imise le risque terroriste ».

Un panel bien choisi

Pour ten­ter de répon­dre à la ques­tion, la jour­nal­iste inter­roge un respon­s­able d’une asso­ci­a­tion aidant les migrants, un uni­ver­si­taire qui a ten­té de cern­er le pro­fil des ter­ror­istes, un représen­tant du Cen­tre d’analyse du ter­ror­isme (CAT) et le directeur du Cen­tre migra­tions et citoyen­netés de l’In­sti­tut français des rela­tions internationales.

Leurs témoignages vont essen­tielle­ment dans le même sens : cer­tains dis­cours feraient un lien abusif entre les deux phénomènes.

Julia Pas­cual rap­pelle les pro­pos du min­istre de l’intérieur : « Sur les 30 derniers ter­ror­istes con­fon­dus pour des actes com­mis sur notre sol, 22 étaient français, 8 seule­ment étrangers ».

Le représen­tant du CAT estime que « nous sommes face à un ter­ror­isme essen­tielle­ment endogène, conçu et exé­cuté dans le pays d’o­rig­ine ».

On monte d’un cran avec les pro­pos du directeur du Cen­tre migra­tions et citoyen­netés de l’In­sti­tut français des rela­tions inter­na­tionales : « la prob­lé­ma­tique est davan­tage que la société française pro­duit cette vio­lence » (sic).

Pour parachev­er le tout, la parole est don­née au directeur des études migra­toires du think tank lib­er­tarien améri­cain CATO qui estime que le ter­ror­isme est un « phénomène rare » et qu’il n’y a pas d’« asso­ci­a­tion sig­ni­fica­tive entre la part des migrants dans un pays et une activ­ité ter­ror­iste ». Il est utile de pré­cis­er que le think tank améri­cain est un fer­vent défenseur de l’immigration, comme en témoignent les nom­breux arti­cles à ce sujet sur son site internet.

Par­mi les per­son­nes inter­rogées sur le sujet, aucun n’établit donc de lien direct entre ter­ror­isme et immi­gra­tion. Par respect du plu­ral­isme et du con­tra­dic­toire, la jour­nal­iste aurait pu con­fron­ter ces posi­tions à celles d’autres spé­cial­istes de la ques­tion. Comme celle de Thibault de Mont­br­i­al par exem­ple. Le Prési­dent du Cen­tre de réflex­ion sur la sécu­rité intérieure affirme dans un récent essai que « si l’islamisme découle de l’immigration, le ter­ror­isme est le résul­tat de l’islamisme ». Mais pos­er le débat dans ces ter­mes aurait peut-être fait vac­iller des cer­ti­tudes solide­ment pro-immigration…

Les informations que vous ne trouverez pas dans l’article du Monde

À ce stade, face à cette avalanche de chiffres, le lecteur du Monde ne peut que se ral­li­er à la thèse selon laque­lle, non, il ne peut pas être établi de lien entre ter­ror­isme et immi­gra­tion. Pour­tant, d’autres infor­ma­tions toutes aus­si « sérieuses » méri­tent d’être mentionnées :

  • Le think tank Fon­dapol a mis en avant dans un rap­port pub­lié en novem­bre 2019 que « La France a été le pays le plus touché de toute l’Union européenne, avec 71 atten­tats islamistes com­mis sur son sol entre 1979 et 2019. Ces atten­tats ont fait au moins 317 morts ». Le fait que la France ait la com­mu­nauté musul­mane la plus impor­tante d’Europe n’est pas men­tion­né dans le rap­port. Ce n’est d’ailleurs pas son pro­pos. Par­mi cette com­mu­nauté, on peut trou­ver des islamistes à vel­léités ter­ror­istes. Cha­cun est libre d’établir les cor­réla­tions qu’il souhaite.
  • Le ter­ror­isme ayant causé des morts dans notre pays dans les dernières années est exclu­sive­ment à moti­va­tion islamiste. Pour rap­pel, 263 Français ont péri en 5 ans pour ce motif. Le jour­nal le Monde aurait été bien inspiré de rap­pel­er que cette forme de ter­ror­isme n’existait pas il y a quelques décen­nies. La mul­ti­pli­ca­tion des actes ter­ror­istes islamistes en France est étroite­ment liée à la prop­a­ga­tion de l’islamisme, qui s’est lui-même dévelop­pé avec l’immigration extra-européenne mas­sive organ­isée et subie depuis les années 1960. Le ter­ror­isme islamiste dit « endogène » con­cerne très majori­taire­ment des jeunes d’origine immi­grée de la deux­ième génération.
  • Un inter­naute, Pont d’Arcole, a fait un minu­tieux recense­ment des islamistes ayant com­mis un atten­tat ter­ror­iste durant les cinq dernières années. Le résul­tat de son tra­vail fig­ure sur Twit­ter.
    On y con­state que sur les 45 ter­ror­istes ayant organ­isé des atten­tats depuis 2015, seuls 5 sont des français con­ver­tis. Les autres sont soit des étrangers, soit, beau­coup plus rarement, des français d’origine étrangère (sou­vent maghrébine).
  • Un autre inter­naute Walk­er, a recen­sé « quelques déséquili­brés ayant tué en France ces 25 dernières années. Si vous trou­vez leur point com­mun, mer­ci de me le dire en com­men­taire », écrit-il, de façon espiègle…

Déni du réel

Le déni du réel n’est pas nou­veau. En 2015, de nom­breux médias dénonçaient déjà en bloc le « fan­tasme de l’infiltration ter­ror­iste », avant de rétropé­daler laborieuse­ment. Entre la général­i­sa­tion hâtive et le déni, il y a un espace que n’a pas exploré le Monde. Désor­mais, c’est en niant le car­ac­tère exogène du ter­ror­isme islamiste et son lien avec l’immigration que « pas d’huile sur le feu » et « pas d’amalgame » sont bran­dis à l’opinion publique. Il n’est pas sûr que même les lecteurs du Monde croient encore à ces sornettes.