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Tentative de censure de Médiapart et dérives possibles

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2 décembre 2022

Temps de lecture : 4 minutes
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Tentative de censure de Médiapart et dérives possibles

Temps de lecture : 4 minutes

Selon les historiens du dimanche, la monarchie aurait été le règne de l’arbitraire, où les libertés étaient foulées au pied, tandis que la République, dès son avènement, aurait garanti un certain nombre d’entre elles. Parmi ces libertés, celle de la presse occupe une place de choix, garantie depuis la loi sur la presse de 1881. Si celle-ci est régulièrement écornée, comme nous le chroniquons dans nos articles, l’affaire qui a opposé Mediapart à Gaël Perdriau, maire des Républicains de Saint-Étienne, aurait pu créer un précédent dangereux.

Feuilleton politique et sex-tape

Le feuil­leton débute au mois d’août 2022. Ant­ton Rouget, jour­nal­iste à Medi­a­part, révèle les pra­tiques dou­teuses du maire de Saint-Éti­enne et de son entourage, qui s’adon­neraient au chan­tage poli­tique sur un adjoint, Gilles Artigues, au moyen d’une sex­tape. Si l’af­faire peut cho­quer, elle n’a, admet­tons-le, rien de nou­veau. Le chan­tage est une pra­tique vieille comme le monde, et qu’un élu s’y adonne n’est pas vrai­ment pour sur­pren­dre. Mais révéler ces pra­tiques illé­gales et immorales relève de l’intérêt général. Cepen­dant, ce n’é­tait pas l’avis de maître Ingrain, avo­cat du maire de Saint-Éti­enne qui pre­nait l’offensive pour blo­quer toute nou­velle révélation.

Chantage contre Laurent Wauquiez

L’af­faire prend une autre tour­nure il y a quelques semaines. Au cours de ses inves­ti­ga­tions, Rouget décou­vre une petite bombe : Per­dri­au aurait voulu faire chanter Lau­rent Wauquiez, prési­dent de la région Auvergne-Rhônes-Alpes, ancien prési­dent des Répub­li­cains et poten­tiel prési­den­tiable. Il ne s’ag­it plus d’un chan­tage local, mais de faire pres­sion sur le prési­dent d’une des plus grandes régions de France et cadre poli­tique d’en­ver­gure nationale en l’accusant de pédophilie. Lau­rent Wauquiez a de suite porté plainte en apprenant cette calom­nie, pure inven­tion pour nuire à un con­cur­rent du même par­ti et de la même région.

Ces révéla­tions ont été obtenues par le jour­nal­iste de Medi­a­part à tra­vers la con­sul­ta­tion d’en­reg­istrements, effec­tués par Gilles Artigues afin de prou­ver le chan­tage dont il a été victime.

Interdiction de publication

Le 18 novem­bre 2022, alors que le site tenu par Edwy Plenel se pré­pare à révéler le nou­veau volet de ce qui est devenu l’af­faire Per­dri­au, le tri­bunal judi­ci­aire de Paris envoie un huissier dans les locaux de la rédac­tion. Il est por­teur d’une ordon­nance qui inter­dit au site d’in­ves­ti­ga­tion la pub­li­ca­tion de l’en­reg­istrement obtenu par Rouget, qui est l’ap­pui cen­tral de son enquête, sous peine d’être sanc­tion­né de 10 000 euros par extrait pub­lié. La requête fait suite à une demande de Christophe Ingrain, avo­cat de Gaël Per­dri­au. Selon l’av­o­cat pénal­iste, cet enreg­istrement est illicite et sa pub­li­ca­tion représente une vio­la­tion de la vie privée.

Un précédent dangereux pour l’avenir

L’af­faire crée un précé­dent : la jus­tice ordonne la cen­sure d’un titre de presse  sur sim­ple avis de la défense sans même con­sul­ter la par­tie adverse. Les men­aces finan­cières rap­pel­lent celles de l’af­faire Avisa Part­ners. Dans les deux cas, le dilemme est : pub­li­er ou accepter les risques financiers. Néan­moins, dans la pre­mière affaire, la requête émanait d’un avo­cat et pas de la jus­tice, du min­istère pub­lic. Dans cette affaire, c’est la jus­tice de la République qui empêche la pub­li­ca­tion de révéla­tions met­tant en cause l’un de ses élus. C’est ce qui, finale­ment, pose le plus prob­lème et non l’action de Maître Ingrain qui n’a jamais fait que son tra­vail en essayant d’empêcher la pub­li­ca­tion d’un papi­er incrim­i­nant son client.

Dérives potentielles

Comme le relate Mar­i­anne, Plenel et ses avo­cats devant la juge s’in­quiè­tent des dérives poten­tielles qu’ou­vre cette déci­sion. Se bas­ant sur ce précé­dent, qu’est-ce qui empêcherait un député, un séna­teur ou un min­istre de faire cen­sur­er une enquête de presse lui nuisant ? Afin d’éviter ces dérives, la séna­trice cen­triste Nathalie Goulet a rédigé une propo­si­tion de loi qui vient pré­cis­er la loi de 1881 sur la lib­erté de la presse. Celle-ci vient pré­cis­er l’ar­ti­cle 5 en y ajoutant qu’une cen­sure préal­able est pos­si­ble, à la con­di­tion que les deux par­ties aient été con­sultés ; dans le cas présent c’est un blanc-seing qui était don­né à l’av­o­cat de Perdriau.

Levée de l’interdiction de publier

Dans l’ensem­ble de la presse, les réac­tions ont été vives et beau­coup pointaient un nou­veau recul poten­tiel de la lib­erté de la presse. Si l’idée du tri­bunal de Paris et de l’av­o­cat du maire de Saint-Éti­enne était de met­tre l’af­faire sous le bois­seau, c’est loupé. De nom­breux titres de presse, Libéra­tion, Mar­i­anne, Atlanti­co, ou l’Hu­man­ité pro­po­saient de pub­li­er l’af­faire si la cen­sure était main­tenue. Au total nous por­tons un juge­ment sévère (voir infra) sur Médi­a­part, mais nous nous sommes asso­ciés à cette protes­ta­tion con­tre une cen­sure de plus. In fine la cen­sure a été lev­ée par le tri­bunal mer­cre­di 30 novem­bre 2022 et l’article, acca­blant pour le maire de Saint-Eti­enne, a été pub­lié. En atten­dant peut-être d’autres épisodes.

Voir aus­si : La méth­ode Médi­a­part, vue par Pierre Péan dans Le Monde diplomatique