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Quand le politiquement correct s’affiche dans les médias, revue de presse

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27 avril 2019

Temps de lecture : 8 minutes
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Quand le politiquement correct s’affiche dans les médias, revue de presse

Temps de lecture : 8 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 15/03/2019

Autant le préciser d’emblée, le politiquement correct, qui distingue ce qu’il convient de dire et de ne pas dire, n’est pas une nouveauté dans la vie intellectuelle française. Depuis longtemps, les convictions de certains faiseurs d’opinion ont été le support d’un climat d’intimidation. Loin de disparaitre, un nouveau « discours intimidant » a fait son apparition dans certaines universités, dont les médias sont à la fois le témoin plus ou moins engagé et l’amplificateur. Nous en avons fait une revue de presse commentée.

Qu’est-ce que le politiquement correct ?

Dans une tri­bune parue en août 2017 dans Slate, Flo­ri­an Bar­dou esti­mait que « le poli­tique­ment cor­rect per­met d’interroger con­stam­ment le sens et le bien fondé du vocab­u­laire employé pour désign­er les minorités ou de leur représen­ta­tion ». Le soci­o­logue Math­ieu Bock-Coté en don­nait en juin 2018 dans Le Figaro une déf­i­ni­tion sévère et plus large : « le poli­tique­ment cor­rect est un dis­posi­tif inhib­i­teur instal­lé au cœur de l’espace pub­lic qui a pour objec­tif de refouler dans ses marges ceux qui affichent leur dis­si­dence ».

Ini­tiale­ment des­tiné à n’offenser ni dén­i­gr­er aucune minorité, le « poli­tique­ment cor­rect » est devenu une expres­sion util­isée pour qual­i­fi­er ce qu’il est pos­si­ble de dire et d’écrire au regard de normes « morales ». Une façon de penser et de s’exprimer sou­vent si chère aux médias de grand chemin.

Quand le politiquement correct utilise un discours intimidant

Pris dans son sens large, le poli­tique­ment cor­rect vise à écarter du cer­cle de la nor­mal­ité ceux qui s’en éloignent. Il sévit à l’université comme dans le reste de la société. Les médias sont par­fois util­isés pour con­damn­er et dis­qual­i­fi­er plutôt que débat­tre. Les dif­férentes con­tro­ver­s­es que nous présen­tons en témoignent.

L’écrivain Kamel Daoud en a fait les frais, à l’occasion de son inter­pré­ta­tion des vio­lences sex­uelles com­mis­es fin 2015 par des migrants à Cologne. Rompant avec le con­sen­sus ambiant, celui-ci a dans une tri­bune parue dans le quo­ti­di­en ital­ien La Repub­bli­ca, puis en févri­er 2016 dans le jour­nal Le Monde pointé les caus­es cul­turelles des vio­lences sex­uelles com­mis­es par des migrants lors du pas­sage au nou­v­el an à Cologne. Il s’interrogeait égale­ment sur l’absence de valeurs com­munes des migrants ayant com­mis ces actes avec celles des européens. La réac­tion de plusieurs uni­ver­si­taires ne s’est pas fait atten­dre : dans l’édition du 11 févri­er 2016 du Monde, un col­lec­tif d’universitaires et d’intellectuels s’en prend aux « fan­tasmes de Kamel Daoud » et le qual­i­fie d’islamophobe.

Com­men­tant cette tri­bune, l’écrivain soulig­nait dans Mar­i­anne que « le ver­dict d’is­lam­o­pho­bie sert aujour­d’hui d’in­qui­si­tion ». « Nous vivons désor­mais une époque de som­ma­tions. Si on n’est pas d’un côté, on est de l’autre ».

Le 9 octo­bre 2018, c’est l’auteur du livre « la ruée vers l’Europe », Stephen Smith, qui est sous les feux de la cri­tique. Alors que celui-ci souhaitait débat­tre avec le démo­graphe François Héran sur les périls migra­toires et démo­graphiques aux­quels l’Europe est con­fron­tée, la tri­bune pub­liée par celui-ci dans Libéra­tion le dis­qual­i­fie dès son titre : « La « ruée » d’Africains vers l’Europe, une thèse sans valeur sci­en­tifique ».

Ce qui lui est reproché : ne pas avoir présen­té à une revue sci­en­tifique dont le comité de rédac­tion est com­posé d’universitaires « une con­tre-analyse fondée sur de meilleures don­nées ou une meilleure méth­ode. C’est la règle dans nos dis­ci­plines ». Crime de lèse-majesté, Stephen Smith a préféré « s’exprimer dans les colonnes du Figaro ». Le plus grave serait selon François Héran, le démo­graphe préféré de France cul­ture, que « ces pré­dic­tions (nour­ris­sent) le fan­tasme de l’envahissement du Nord par le Sud ». On le voit, ne pas souscrire au mythe de l’ouverture heureuse des fron­tières, c’est s’exposer à une dis­qual­i­fi­ca­tion médi­a­tique expresse.

Le 14 octo­bre 2018, trois uni­ver­si­taires s’interrogent grave­ment dans une tri­bune parue dans Libéra­tion : « Peut-on débat­tre avec Christophe Guil­luy ? ». S’il est tout à fait légitime d’être en désac­cord avec les thès­es du géo­graphe, les reproches qui sont fait à S. Guil­luy ne con­cer­nent pas exclu­sive­ment les thèmes de ses livres. Ses détracteurs affir­ment : « Il invite à ne pas écouter «les médias » et « le monde académique ». Il n’aurait égale­ment pas une démarche sci­en­tifique rigoureuse. Les uni­ver­si­taires repren­nent à leur compte l’accusation d’un autre géo­graphe, Pierre Levy, qui a affir­mé lors d’une émis­sion sur France cul­ture : « «Je ne veux pas dire qu’il (S. Guil­luy NDLR) serait man­daté par le RN. Mais sa vision de la France et de la société cor­re­spond à celle de l’électorat du par­ti ». Pour para­phras­er Math­ieu Bock-Côté, en asso­ciant Christophe Guil­luy à l’électorat du Rassem­ble­ment nation­al, celui-ci est selon ces censeurs dis­qual­i­fié et refoulé dans les marges du débat uni­ver­si­taire. Nous avions analysé cet arti­cle le 22 octo­bre 2018.

Le 13 novem­bre 2018, un pro­fesseur d’université devait inter­venir à l’université Jean-Jau­rès de Toulouse dans le cadre de la pré­pa­ra­tion à l’agrégation. Sous la pres­sion d’un col­lec­tif LGBT, son inter­ven­tion a été annulée. La rai­son ? La Dépêche nous informe que sa «  venue (est) perçue comme un affront par les étu­di­ants LGBT de l’université », « Ils reprochent en effet à ce spé­cial­iste de la pen­sée de Hegel d’avoir par­ticipé en tant que con­férenci­er à la troisième uni­ver­sité d’été de la Manif pour tous en 2015 ».

Le point com­mun entre ces qua­tre « affaires » : les médias ser­vent de tri­bune à une dis­qual­i­fi­ca­tion en règle. Les motifs sont var­iés : islam­o­pho­bie, vision cat­a­strophiste, prox­im­ité à un par­ti jugé non fréquentable, prox­im­ité à la manif pour tous.

Le politiquement correct à l’assaut du mâle blanc hétérosexuel

Le poli­tique­ment cor­rect con­cerne aus­si la « défense » des minorités raciales et sex­uelles. Il y a quelques mois, l’OJIM con­sacrait un arti­cle au « mâle blanc », qui n’a pas bonne presse ces derniers temps. Le « décolo­nial­isme », en lutte con­tre le « racisme sys­témique », et les mou­ve­ments « inter­sec­tion­nels », des­tinés à défendre ceux qui subis­sent « plusieurs dom­i­na­tions » sont en plein essor à l’université. C’est encore et tou­jours le mâle blanc qui est coupable de tous les maux. On ne compte plus les arti­cles de presse rela­tant sans s’offusquer les réu­nions et camps d’été « non mixtes » (traduire : inter­dits aux blancs), dans Slate, le Monde, Libéra­tion etc.

Dernier avatar de ces théories vic­ti­maires, Le Figaro nous informe le 1er févri­er 2019 qu’un pro­fesseur de l’université de Toulouse a été écarté de son lab­o­ra­toire fin novem­bre, « après avoir dénon­cé l’in­flu­ence des théories décolo­niales dans son uni­ver­sité ». Il s’agit une nou­velle fois de cul­pa­bilis­er ceux qui béné­ficieraient de priv­ilèges indus et font preuve – sou­vent sans le savoir — d’oppression et ont un dis­cours « de dom­i­na­tion » à l’égard des minorités.

Un début de résis­tance au poli­tique­ment correct 

Cette pro­gres­sion des idées « décolo­niales » et « inter­sec­tion­nelles » à l’université et dans la société provoque un début de réac­tions dans cer­tains médias dom­i­nants. Par­mi celles-ci :

Le 28 novem­bre 2018, 80 intel­lectuels dénon­cent dans un appel paru dans Le Point « le « décolo­nial­isme », une stratégie hégé­monique ». L’appel énumère les nom­breuses ten­ta­tives de mis­es à l’écart d’his­to­riens, de philosophes, de poli­tistes, de soci­o­logues, d’é­con­o­mistes, de géo­graphes, de démo­graphes, d’écrivains, d’essayistes et de spé­cial­istes de lit­téra­ture et de théâtre ! La liste est impressionnante.

Le 13 décem­bre 2018 dans Le Figaro, Alexan­dre Devec­chio inter­viewe l’universitaire Lau­rent Bou­vet, que l’on ne peut pas qual­i­fi­er d’intellectuel con­ser­va­teur. Il estime qu’avec la mon­tée en puis­sance des théories décolo­niales, on peut par­ler « d’une forme de mac­carthysme intel­lectuel » au sein de cer­tains milieux universitaires.

Le 21 décem­bre 2018, Eugénie Bastié con­sacre dans le Figaro un arti­cle à « ces intel­lectuels vic­times du poli­tique­ment cor­rect ». La jour­nal­iste iden­ti­fie le point com­mun de ces « dis­grâces », « avoir touché à la thé­ma­tique iden­ti­taire — dans un sens n’allant pas vers celui d’un mul­ti­cul­tur­al­isme heureux ». Elle démonte égale­ment le tra­vail de décon­struc­tion qui est à l’œuvre.

Dans l’édition du 1er févri­er 2019 de Mar­i­anne, un uni­ver­si­taire, Manuel Mouch­er, dénonce « cette gauche dev­enue malade la race ». « Au nom d’un réflexe mémoriel cul­pa­bil­isa­teur, les minorités (raciales ou sex­uelles) sont dev­enues les damnés de la terre. Ce courant de pen­sée se répand comme une trainée de poudre dans le milieu uni­ver­si­taire et dans l’intelligentsia de gauche ».

Le 1er mars, c’est le philosophe Matthew Craw­ford qui développe dans Le Figaro la thèse selon laque­lle « la lutte con­tre le mâle blanc hétéro­sex­uel (est dev­enue) le ciment du pro­gres­sisme ». On con­state à la lec­ture de son inter­view qu’aux Etats Unis égale­ment, le mâle blanc hétéro­sex­uel est respon­s­able de tous les maux et qu’il y a à gauche une con­cur­rence effrénée dans la victimisation.

Le point com­mun à toutes ces con­tro­ver­s­es qui ont dépassé les portes de l’université pour s’exposer dans les médias ? Elles révè­lent le con­formisme d’une par­tie du monde uni­ver­si­taire, entretenu par le sys­tème de coop­ta­tion des enseignants et le rôle piv­ot des « man­darins ». Elles met­tent aus­si en lumière le fait que le débat d’idée laisse sou­vent place à l’anathème. Une illus­tra­tion s’il en fal­lait, du dis­cours intim­i­dant décrit par Lau­rent Fidés dans un récent livre : «  un dis­cours cul­pa­bil­isant, qui dia­bolise, crim­i­nalise, anathémise, déshon­ore toute pen­sée non-con­forme en la désig­nant comme fas­ciste, néga­tion­niste, mon­strueuse et pathologique ». Ce qui amène à s’interroger sur qui sont ceux qui font effec­tive­ment preuve de l’intolérance tant reprochée. Pen­dant ce temps, dans les médias, on compte les points.