Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Pologne : les médias francophones ne couvrent que les manifestations qui les arrangent

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

20 février 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Accueil | Veille médias | Pologne : les médias francophones ne couvrent que les manifestations qui les arrangent

Pologne : les médias francophones ne couvrent que les manifestations qui les arrangent

Temps de lecture : 5 minutes

Après plus de quatre ans de gouvernements de Droit et Justice (PiS) en Pologne (reconduits par les élections législatives du 13 octobre 2019), ce n’est un secret pour personne que les grands médias francophones sont plutôt critiques vis-à-vis des réformes menées par le parti de Jarosław Kaczyński, notamment en ce qui concerne l’institution judiciaire. Si l’on en doutait encore, il suffit pour s’en convaincre d’observer comment sont couvertes les différentes manifestations qui se déroulent en Pologne.

Manifestations pro PiS passées sous silence

Alors que jusqu’ici ne man­i­fes­taient que les citoyens polon­ais hos­tiles aux réformes du PiS, et que les par­ti­sans de ces réformes se con­tentaient pour leur part de gliss­er leur bul­letin de vote dans l’urne le jour venu, une impor­tante man­i­fes­ta­tion en faveur des réformes de la jus­tice réal­isées par le PiS, avait lieu le 8 févri­er 2020 à Varso­vie, devant le bâti­ment du Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel. On peut en voir ici les images retrans­mis­es par la télévi­sion publique TVP (pro-gou­verne­men­tale) et par la télévi­sion TVN (hos­tile au PiS). Par­mi les organ­isa­teurs de cette man­i­fes­ta­tion, l’ancien dis­si­dent Adam Borows­ki expli­quait aux per­son­nes présentes : « Pourquoi n’étions-nous pas dans la rue ? Pourquoi ne voit-on dans la rue que ceux qui sont con­tre cette réforme ? Nous leur avons don­né [au PiS] aux élec­tions un man­dat pour men­er à bien la réforme du sys­tème judi­ci­aire ». Avec entre dix et vingt mille per­son­nes, cette man­i­fes­ta­tion était plus impor­tante que la plu­part des man­i­fes­ta­tions anti-PiS de ces dernières années, qui n’ont plus jamais atteint la taille de celle du 7 mai 2016 (env­i­ron quar­ante-cinq mille man­i­fes­tants) pour laque­lle le nom­bre de man­i­fes­tants avait été si grossière­ment gon­flé par l’AFP ain­si que par les médias français affil­iés à cette agence de presse qui ne porte pas dans son cœur les gou­verne­ments con­ser­va­teurs du PiS.

Silence ou un Euronews partisan

Et pour­tant, c’est silence radio qua­si total dans les médias français à pro­pos de cette dernière man­i­fes­ta­tion du 8 févri­er. Une recherche avec les mots « man­i­fes­ta­tion » et « Varso­vie » sur le ser­vice Google Actu­al­ités pour la semaine écoulée ne per­met de tomber que sur une très courte brève du site de la télévi­sion Euronews, qui plus est inti­t­ulée « Pologne : man­i­fes­ta­tion en faveur de la réforme de la jus­tice cri­tiquée par Brux­elles ». Le même Adam Borows­ki y est d’ailleurs présen­té unique­ment comme « édi­teur » et « par­ti­san du pou­voir con­ser­va­teur », sa qual­ité d’ancien opposant au régime com­mu­niste et mem­bre du Syn­di­cat Sol­i­dar­ité dès 1980 étant passée sous silence. Pire encore, pour Euronews, « la man­i­fes­ta­tion inter­vient qua­tre jours après que le prési­dent Andrzej Duda ait pro­mul­gué la loi qui per­met au pou­voir lég­is­latif de sanc­tion­ner ou ren­voy­er des juges dont les actions sont con­sid­érées comme nuis­i­bles. ». Pour être plus pré­cis, la loi en ques­tion aggrave les sanc­tions dis­ci­plinaires, qui doivent toute­fois être pronon­cées par d’autres juges et en dernier recours par la Cham­bre dis­ci­plinaire près la Cour suprême, à l’encontre des juges qui con­tes­tent la légitim­ité d’autres juges (ce que cer­tains font en ce moment pour pro­test­er con­tre les réformes du PiS) ou affichent leur mil­i­tan­tisme poli­tique dans les médias (ce que la con­sti­tu­tion polon­aise inter­dit nor­male­ment aux juges). Ceci, Euronews ne le pré­cise toute­fois pas, préférant résumer ces deux cas de fig­ures en qua­tre mots : « actions con­sid­érées comme nuis­i­bles » (sous-enten­du par le pou­voir exé­cu­tif, bien entendu).

Manifestation contre le PiS ? l’AFP reprend

Pour trou­ver des arti­cles en français sur les man­i­fes­ta­tions se déroulant en Pologne à pro­pos des réformes du sys­tème judi­ci­aire con­duites par le PiS, il faut donc remon­ter plus loin dans le temps dans le ser­vice Google Actu­al­ités. C’est ain­si que la man­i­fes­ta­tion orchestrée le 11 janvier2020 par plusieurs cen­taines de juges polon­ais a ren­con­tré un large écho. « Plusieurs cen­taines de juges polon­ais por­tant leur robe noire, rejoints par des juges d’autres pays européens, ont défilé same­di à Varso­vie pour pro­test­er con­tre un pro­jet de loi qui per­me­t­trait de sanc­tion­ner les mag­is­trats opposés aux réformes judi­ci­aires du par­ti Droit et Jus­tice (PiS) au pou­voir », écrivait ain­si Le Point le 11 jan­vi­er dernier, une fois de plus sur la base d’une dépêche de l’AFP. « Pologne : man­i­fes­ta­tion à Varso­vie con­tre la loi qui sanc­tionne les juges », titrait le même jour le jour­nal La Croix. « Pologne. Une man­i­fes­ta­tion à Varso­vie con­tre la loi qui sanc­tionne les juges », pou­vait-on lire dans Ouest-France. « Varso­vie: une marche des “1000 toges” con­tre “la loi muselière” », réson­nait le titre de la radio-télévi­sion belge RTBF, en écho au quo­ti­di­en belge en langue française La Libre Bel­gique et son titre « La “marche des mille toges” à Varso­vie: l’état de droit se bat pour sa survie ». Cette « marche des mille toges » avait la par­tic­u­lar­ité de se dérouler autour de quelques cen­taines de juges soutenus par des con­frères d’autres pays de l’Union européenne.

Quand, début décem­bre 2019, « à Varso­vie, deux mille per­son­nes sont venues les soutenir devant le min­istère de la Jus­tice » (dix­it RFI dans l’article « Pologne: man­i­fes­ta­tion de sou­tien aux juges, vic­times des pres­sions du pou­voir » pub­lié le 2 décem­bre), les médias fran­coph­o­nes avaient aus­si par­lé de cette très mod­este man­i­fes­ta­tion. C’était la même chose quand, à la mi-décem­bre, « des mil­liers de Polon­ais ont man­i­festé mer­cre­di soir dans une cen­taine de villes con­tre un pro­jet de loi des­tiné à sanc­tion­ner les juges con­tes­tant les réformes judi­ci­aires con­tro­ver­sées en cours » (dix­it Le Figaro dans l’article « Pologne: man­i­fes­ta­tions con­tre un pro­jet de loi visant les juges cri­tiques des réformes judi­ci­aires » pub­lié le 18 décem­bre sur la base tou­jours d’un com­mu­niqué de l’AFP).

Pourquoi donc dans ces con­di­tions ne pas avoir évo­qué aus­si la man­i­fes­ta­tion du 8 févri­er 2020 en faveur des réformes de la jus­tice et des lois votées par le PiS ? Parce que l’AFP n’a pas voulu en par­ler ? La plu­part des grands jour­naux ont des cor­re­spon­dants sur place et ne dépen­dent pas que de l’AFP, mais leurs cor­re­spon­dants dans l’ensemble sont favor­ables à l’opposition libérale lib­er­taire. CQFD.