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Minute victime d’acharnement judiciaire ?

28 septembre 2014

Temps de lecture : 6 minutes
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Minute victime d’acharnement judiciaire ?

Temps de lecture : 6 minutes

François Hollande va-t-il réussir là où ses prédécesseurs avaient échoué ? Du général de Gaulle à Sarkozy en passant par Giscard, Mitterrand et Chirac, aucun président n’a jamais réussi à tuer l’hebdomadaire satirique, insolent et anticonformiste qui a toujours fait office de poil à gratter dans le milieu de la presse. Mais la guerre à mort que lui a déclarée le pouvoir en place, et la succession de procès qui en découle, pourrait bien changer la donne…

Minute com­para­is­sait ain­si le 24 sep­tem­bre dernier devant la 17ème cham­bre du tri­bunal cor­rec­tion­nel de Paris pour sa Une sur Taubi­ra datée du 13 novem­bre 2013 et titrée : « Maligne comme un singe. Taubi­ra retrou­ve la banane ». Qua­tre asso­ci­a­tions (financées par nos impôts) s’étaient portées par­ties civiles… dont le Bureau nation­al de vig­i­lance con­tre l’antisémitisme !

L’affaire est révéla­trice de la guerre d’usure que le pou­voir a déclarée à l’hebdomadaire. Les pour­suites ont en effet été engagées sur dénon­ci­a­tion auprès du pro­cureur général de Jean-Marc Ayrault, alors Pre­mier Min­istre… Elle est aus­si révéla­trice d’un drôle de mélange des gen­res. Com­ment ren­dre une jus­tice sere­ine quand la vic­time se trou­ve être la min­istre de la Jus­tice, c’est à dire la min­istre de tutelle du tri­bunal et la supérieure hiérar­chique du par­quet ? « Quand la poli­tique entre dans le pré­toire, la jus­tice en sort », a ain­si affir­mé l’avocat du dessi­na­teur David Miège, lui aus­si attaqué pour un dessin paru quinze jours plus tôt. On y voy­ait un petit singe pleur­nichant à côté d’un avo­cat, lequel expli­quait que son client por­tait plainte pour avoir été odieuse­ment car­i­caturé en Chris­tiane Taubi­ra… Une blague à la Desprog­es (le titre de la chronique heb­do­madaire du dessi­na­teur – « La Minute néces­saire de Miège » – est du reste une allu­sion directe à la « Minute néces­saire de mon­sieur Cyclopède ») et une vieille tra­di­tion de la car­i­ca­ture qui remonte aux fabli­aux médié­vaux et à La Fontaine… qui n’a pour­tant pas plu au tribunal.

Trois mois de prison avec sur­sis et 10 000 euros d’amende ont ain­si été req­uis con­tre le directeur de la pub­li­ca­tion de Minute, Jean-Marie Moli­tor, pour la Une sur Taubi­ra, plus un mois avec sur­sis et 5000 euros pour le dessin de Miège. Con­tre le dessi­na­teur, le pro­cureur Aurore Chau­velot a req­uis 2000 euros d’amende dont la moitié avec sur­sis. Le tri­bunal a mis sa déci­sion en délibéré au 30 octobre.

Pour mémoire, rap­pelons qu’en novem­bre 2011, l’animateur Lau­rent Ruquier avait exhibé dans son émis­sion « On n’est pas couché » deux dessins de Char­lie Heb­do. L’un représen­tait l’arbre généalogique de Marine Le Pen sous la forme d’une croix gam­mée avec le vis­age de la prési­dente du Front nation­al au cen­tre ; l’autre représen­tant une affiche de cam­pagne avec un étron fumant et la légende : « Marine Le Pen, la can­di­date qui vous ressem­ble ».

Minute victime d’acharnement judiciaire ?

Minute vic­time d’acharnement judiciaire ?

Mais le pro­cureur de la même cham­bre avait alors estimé que Ruquier n’avait pas injurié Marine Le Pen, son émis­sion étant « une émis­sion humoris­tique ». Pour la jus­tice, il est donc insul­tant, raciste et sérieux de car­i­ca­tur­er Chris­tine Taubi­ra en petit singe mais amu­sant, flat­teur et humoris­tique de représen­ter Marine Le Pen en nazi ou en déjection.

Idem pour Chris­tine Lagarde car­i­caturé en chien sur Canal+ par un Nico­las Dom­e­n­ach hilare, le même Dom­e­n­ach qui estime que com­par­er Taubi­ra à un singe revient à « nier son human­ité » (voir ce petit mon­tage élo­quent).

Mais le plus drôle (si l’on peut dire), c’est qu’au moment même où Miège pub­li­ait son dessin dans Minute (octo­bre 2013), Char­lie-Heb­do en pub­li­ait un autre, signé du directeur de la pub­li­ca­tion Charb en per­son­ne, lequel représen­tait Taubi­ra… en singe !

Per­son­ne n’ayant songé à atta­quer le jour­nal gauchiste, et celui-ci ayant vigoureuse­ment et courageuse­ment con­damné Minute, aucune pour­suite n’a jamais été engagée con­tre lui.

Si les réqui­si­tions du pro­cureur étaient suiv­ies, les 15 000 euros d’amende s’ajouteraient à une autre amende récem­ment infligé à Minute, ce qui, selon nos infor­ma­tions, pour­rait met­tre l’hebdomadaire en dan­ger de mort. En juil­let 2012, Minute titrait en effet, à pro­pos de la loi sur le « mariage pour tous » : « Bien­tôt, ils pour­ront s’enfiler… la bague au doigt ». Pour cette blague potache, d’un goût que l’on est certes pas obligé de partager, le jour­nal a été som­mé de vers­er 3000 euros de dom­mages et intérêts à SOS Homo­pho­bie, plus 4000 euros d’amende pour « inci­ta­tion à la haine en rai­son de l’orientation sex­uelle ». Dans un mag­nifique réflexe orwellien, SOS Homo­pho­bie avait présen­té sa vic­toire judi­ci­aire comme une vic­toire… de la lib­erté d’expression. « La con­damna­tion de l’hebdomadaire représente aujourd’hui une vic­toire pour une lib­erté d’expression respectueuse de tou-te‑s », avait en effet écrit ce lob­by agrée par l’éducation nationale.

Les adver­saires de Minute se sen­tent à présent si forts qu’ils ne récla­ment même plus des pour­suites, mais directe­ment des con­damna­tions. C’est le cas de Jean-Christophe Cam­badélis (con­damné à deux repris­es pour « recel d’abus de con­fi­ance » et « recel d’abus de biens soci­aux ») qui affir­mait, à pro­pos de la Une sur Najat Val­laud-Belka­cem la présen­tant comme « maro­caine » et « musul­mane » (autre procès en cours) : « La Une de Minute est une inci­ta­tion à la haine. Elle doit être juridique­ment con­damné ». Prochaine étape : la let­tre de cachet ?

Ain­si, si l’on résume ain­si la situation :

  • Lorsque Minute s’oppose au mariage des homo­sex­uels, le jour­nal écope d’un procès (qu’il perd).
  • Lorsque Minute s’affirme comme l’adversaire numéro 1 de l’icône Taubi­ra, le jour­nal écope d’un procès (qu’il perd).
  • Lorsque Minute se moque de la bien-pen­sance antiraciste, le jour­nal écope d’un procès (qu’il perd).
  • Lorsque Minute dénonce la dou­ble nation­al­ité par le biais de Najat Val­laud-Belka­cem, le jour­nal écope d’un procès (qu’il perdra ?)

On peut bien enten­du ne pas être d’accord avec les pris­es de posi­tions de Minute, voire même être en désac­cord pro­fond avec ses idées. Il n’empêche que Minute doit avoir le droit de s’exprimer et que le vrai scan­dale réside dans cet acharne­ment poli­tique à tuer un journal.

Pour soutenir Minute et la lib­erté d’expression, c’est ici : www.soutien-minute.fr

Crédit pho­to : mrs­mar­shah via SXC

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