Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Les banques britanniques expulsent les clients mal-pensants. Parmi eux…

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

21 juillet 2023

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Veille médias | Les banques britanniques expulsent les clients mal-pensants. Parmi eux…

Les banques britanniques expulsent les clients mal-pensants. Parmi eux…

Temps de lecture : 9 minutes

C’est l’homme du Brexit, Nigel Farage, qui a jeté le pavé dans la mare, mais il n’est pas la première victime, ni la dernière d’ailleurs. L’ancien chef du parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), qui anime désormais une émission quotidienne à l’antenne de la chaîne de télévision GB News, révélait le 29 juin que sa banque, où il avait tous ses comptes bancaires privés et professionnels depuis 44 ans, venait de lui clôturer ses comptes sans invoquer d’autre motif que de vagues « raisons commerciales ».

Un animateur à succès qui dérange

Deux jours plus tôt, Farage rece­vait le prix TRIC Awards du Présen­ta­teur de nou­velles de l’année. « Dans une salle rem­plie de cadres et de tal­ents d’institutions médi­a­tiques telles que Sky News, ITV et la BBC, M. Farage a tri­om­phé, à leur grand désar­roi. », peut-on lire sous la vidéo de l’événement pub­liée par la chaîne « anti-woke » GB News.

C’est donc un présen­ta­teur et ani­ma­teur de télévi­sion de pre­mier plan qui est aujourd’hui vic­time de la Can­cel Cul­ture désor­mais déployée par de grandes ban­ques bri­tan­niques à l’encontre de leurs clients exp­ri­mant publique­ment des opin­ions non con­formes. Et cela n’a bien enten­du pas man­qué de faire réa­gir. Le gou­verne­ment de Rishi Sunak s’en est mêlé, promet­tant une inten­si­fi­ca­tion du proces­sus en cours de pas­sage en revue des pra­tiques des ban­ques sous l’angle du respect de la lib­erté d’expression et d’opinion des sujets britanniques.

On pou­vait lire à ce sujet le 3 juil­let dans le Guardian, jour­nal de gauche lui-même adepte de la bien-pen­sance libérale-lib­er­taire et du total­i­tarisme trans : « Le gou­verne­ment a lancé des con­sul­ta­tions sur la lib­erté d’expression et la four­ni­ture de ser­vices de paiement au début de l’année, après avoir été con­tac­té par la Free Speech Union, le groupe de cam­pagne créé par Toby Young, qui s’est dit préoc­cupé par le fait que cer­taines per­son­nes se voy­aient refuser l’accès aux ser­vices financiers. »

Des précédents fâcheux

Comme nous l’avions sig­nalé en octo­bre dans les colonnes de l’Observatoire du Jour­nal­isme, Toby Young et son Union pour la lib­erté d’expression avaient eu leurs comptes Pay­pal blo­qués du jour au lende­main, sans aucune expli­ca­tion, avant que le géant améri­cain ne fasse marche arrière face au scan­dale causé par sa déci­sion au Royaume-Uni.

À l’occasion d’une dis­cus­sion sur GB News le lende­main de l’annonce par Farage de la fer­me­ture de ses comptes ban­caires, Toby Young expli­quait qu’il arrivait régulière­ment aux mem­bres de la Free Speech Union de voir leur compte en banque fer­mé sans expli­ca­tion et même sou­vent sans préavis. Young a même cité le cas d’un mem­bre qui a appris la fer­me­ture de son compte par sa banque quand sa carte ban­caire n’a pas voulu fonc­tion­ner à la caisse d’un supermarché.

Si Nigel Farage n’a pas voulu don­ner d’emblée le nom de sa banque, il est vite apparu qu’il s’agissait de la banque Coutts, une pres­tigieuse enseigne de la NatWest, réservée à ses clients très aisés et qui compte des mem­bres de la famille royale dans sa clien­tèle. Il faut emprunter ou inve­stir un mil­lion de livres ster­ling ou bien dépos­er trois mil­lions de livres ster­ling pour pou­voir ouvrir un compte dans cette banque.

Refus de sept banques d’ouvrir un compte à Nigel Farage

Le média Politi­co, que l’on ne saurait soupçon­ner de sym­pa­thies pour l’homme du Brex­it, indique que les don­nées finan­cières de la société Thorn in the side de Farage affichaient encore un cap­i­tal et des réserves supérieurs à ce seuil de 1 mil­lion de livres ster­ling en octo­bre 2022, c’est-à-dire à la date du dernier dépôt de ses états financiers. Nigel Farage a en out­re assuré s’être adressé à sept autres ban­ques qui auraient toutes refusé de l’avoir comme client.

Le présen­ta­teur de GB News écrivait le 30 juin dans le Tele­graph : « Pour qui cir­cu­lait dans Lon­dres cette semaine, il était impos­si­ble de ne pas remar­quer un sym­bole ornant les locaux de bon nom­bre de nos entre­pris­es, y com­pris de nos ban­ques : le dra­peau mul­ti­col­ore de la Fierté. Nous vivons une époque de poli­ti­sa­tion de notre secteur des entre­pris­es. Mal­heur à vous si vous ne vous con­formez pas à leur vision du monde. J’en ai pris con­science lorsque ma banque m’a récem­ment annon­cé qu’elle fer­mait tous mes comptes sans expli­ca­tion. Il est impos­si­ble de fonc­tion­ner sans compte ban­caire. Tout le monde devrait s’alarmer du fait qu’une banque a le pou­voir de punir ceux qu’elle con­sid­ère comme s’étant détourné du droit chemin. »

Politisation des entreprises

Comme le remar­que Farage, le phénomène ne se lim­ite pas aux ban­ques. Venant con­firmer cette affir­ma­tion, une grande étude con­duite par Pol­i­cy Exchange et dont les résul­tats ont été ren­dus publics en févri­er dernier mon­tre que les Bri­tan­niques com­men­cent à en avoir par-dessus la tête de toutes ces entre­pris­es qui cherchent à impos­er leurs vues poli­tiques et idéologiques à leurs salariés et à leurs clients.

En ce qui con­cerne le secteur ban­caire, Nigel Farage date les débuts de leur évo­lu­tion total­i­taire à 2014, quand le can­di­dat de l’UKIP à une élec­tion par­tielle a vu ses comptes ban­caires fer­més par sa banque. Farage cite un autre exem­ple datant de 2019 où une infir­mière à la retraite orig­i­naire de Malaisie qui venait de se faire élire au Par­lement européen sur la liste du nou­veau Brex­it Par­ty de Farage a eu son compte fer­mé som­maire­ment par sa banque peu après son élec­tion. La banque en ques­tion aurait aus­si fer­mé les comptes du mari et de la fille de l’eurodéputée en ques­tion, Christi­na Jor­dan.

En 2021, la Metro Bank avait de la même manière fer­mé le compte ban­caire de Richard Tice, le leader du Reform Par­ty, une nou­velle mou­ture du Brex­it Par­ty désor­mais con­cen­trée sur la cri­tique des con­fine­ments et restric­tions des lib­ertés face à la pandémie de Covid-19.

Il sem­ble donc que ce soit davan­tage en qual­ité d’ancien leader poli­tique que d’animateur d’émissions de télévi­sion où l’on com­mente l’actualité que Nigel Farage ait lui-même ce genre de prob­lèmes. Il a d’ailleurs déclaré au Tele­graph qu’il était sans doute vic­time de « préjugés fla­grants » de la part d’entreprises privées en rai­son de sa cam­pagne en faveur du Brex­it. Une cam­pagne dont l’intéressé estime que le monde de la grande entre­prise au Roy­aume-Uni ne la lui par­donne pas.

Face au refus des autres ban­ques con­tac­tées de lui offrir leurs ser­vices, Farage a indiqué qu’il pour­rait être for­cé de quit­ter le Roy­aume-Uni, car il ne peut pas vivre et tra­vailler nor­male­ment sans compte bancaire.

Compte fermé pour avoir critiqué le lobby LGBT

Le 1er juil­let, plusieurs jour­naux, comme ici le Dai­ly Mail, citaient encore le cas d’un client de la banque York­shire Build­ing Soci­ety dont le compte ban­caire a été fer­mé qua­tre jours après qu’il eut écrit à sa banque pour cri­ti­quer les mes­sages pub­liés par elle pen­dant le « mois des fiertés » LGBT. Le client en ques­tion est un prêtre angli­can de 62 ans. Il a depuis accusé la York­shire Build­ing Soci­ety d’« intim­i­da­tion » et a déclaré : « Je n’étais même pas con­scient du fait qu’il y avait un prob­lème dans notre rela­tion. Il s’agit d’un étab­lisse­ment financier qui n’est pas là pour faire de l’ingénierie sociale. Je pense qu’ils devraient con­cen­tr­er leurs efforts sur la ges­tion de l’argent, au lieu de pro­mou­voir l’idéologie LGBT. » Et d’ajouter : « Je sais que la cul­ture de l’annulation existe et c’est la pre­mière fois que j’en fais l’expérience. Je ne voudrais pas que ce type d’intimidation arrive » à quelqu’un d’autre ».

Alors que le prêtre angli­can assure que sa cri­tique des mes­sages de la banque sou­tenant ce « mois des Fiertés » et de l’idéologie « trans » était restée polie, la banque, qui compte env­i­ron 3 mil­lions de clients, a répon­du qu’elle a une « approche de tolérance zéro face aux dis­crim­i­na­tions » et que sa rela­tion avec ce client était « irrévo­ca­ble­ment rompue ».

Le Dai­ly Mail indique aus­si à cette occa­sion avoir appris de Nigel Farage la veille que trois mem­bres de sa famille avaient eu leurs comptes ban­caires fer­més récemment.

La Barclays Bank condamnée

Par ailleurs, ain­si qu’on pou­vait le lire le 1er juil­let dans le Tele­graph, en juin dernier, la Bar­clays Bank a été con­trainte de vers­er 20.000 ster­ling de dom­mages-intérêts à des groupes d’évangélisation chré­tiens dont elle avait clô­turé les comptes sous la pres­sion du lob­by LGBT. Le même arti­cle cite d’autres exem­ples, tels ceux-ci : « Hen­rik Over­gaard Nielsen, ancien député européen du Par­ti du Brex­it, a été infor­mé que son compte à la Metro Bank serait fer­mé. Dans un mes­sage pub­lié sur Twit­ter, M. Nielsen a déclaré qu’il avait un revenu sta­ble, qu’il n’avait jamais dû d’argent à Metro Bank et qu’il n’avait aucune dif­fi­culté finan­cière. Sa fille s’est égale­ment vu refuser un prêt hypothé­caire, et M. Nielsen soupçonne que c’est parce qu’il était cau­tion. La baronne Claire Fox, direc­trice du groupe de réflex­ion Acad­e­my of Ideas, a déclaré avoir vécu la même expéri­ence et “soupçon­ner une moti­va­tion poli­tique”. »

D’après le Tele­graph, le Chance­li­er de l’Échiquier, c’est-à-dire le min­istre des finances, serait très préoc­cupé de cette pra­tique de plus en plus fréquente du secteur ban­caire bri­tan­nique. À l’issue de la pub­li­ca­tion du rap­port com­mandé par le gou­verne­ment sur la ques­tion, les ban­ques pour­raient bien­tôt avoir à se con­former à des délais de préavis plus longs avant de fer­mer les comptes d’un client et elles devront sans doute leur fournir de plus amples expli­ca­tions sur leurs motifs. Selon une « source haut placée » citée par le Tele­graph, le gou­verne­ment Sunak est en effet d’avis que « per­son­ne ne devrait se voir refuser la tenue d’un compte ban­caire à cause de sa lib­erté d’expression ».

L’avenir proche nous dira si c’est sincère, mais en atten­dant l’on ne sait tou­jours pas si le meilleur présen­ta­teur de nou­velles de l’année va pou­voir rapi­de­ment rou­vrir un compte ban­caire dans son pro­pre pays. Les ban­ques évo­quent sou­vent une règle sur les « per­son­nes exposées poli­tique­ment », qui requièrent une vig­i­lance plus stricte de leur part, mais comme l’a fait remar­quer Nigel Farage, cette loi cor­re­spond à une direc­tive de l’UE, et après le Brex­it rien n’empêche le Par­lement de West­min­ster de l’abroger rapi­de­ment pour enlever cette excuse à un sys­tème ban­caire de plus en plus « woke ».