Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Accueil | Veille médias | Au Royaume-Uni, la chaîne anti-woke GB News confirme son succès après des débuts difficiles

L’article que vous allez lire est gratuit. Le mois de décembre est le plus important pour nous, celui où nos lecteurs peuvent nous aider par un don avec un reçu fiscal pour 2023 de 66% de leur don. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

15 février 2023

Temps de lecture : 8 minutes
Accueil | Veille médias | Au Royaume-Uni, la chaîne anti-woke GB News confirme son succès après des débuts difficiles

Au Royaume-Uni, la chaîne anti-woke GB News confirme son succès après des débuts difficiles

Temps de lecture : 8 minutes

Les émissions de la nouvelle chaîne d’info en continu GB News (gbnews.uk), qui a commencé d’émettre en juin 2021, font désormais souvent mieux que celles de ses principales concurrentes bien plus anciennes : BBC News et Sky News.

Campagne de boycott inefficace et retour de Farage

Après des débuts chao­tiques, mar­qués par d’incessants prob­lèmes tech­niques, un ama­teurisme qui crevait l’écran, et une cam­pagne de boy­cott pub­lic­i­taire lancée par l’extrême gauche, puis le départ au bout de seule­ment trois mois de son PDG Andrew Neil qui refu­sait la direc­tion prise par la chaîne la faisant selon lui trop ressem­bler à l’Américain Fox News, la nou­velle chaîne « de droite », « pop­uliste », « poli­tique­ment incor­recte », « pro-Brex­it » et « anti-woke » GB News s’est pro­fes­sion­nal­isée et a su com­penser les nom­breux départs de jour­nal­istes en atti­rant de grands noms du paysage poli­tique et médi­a­tique bri­tan­nique, à com­mencer par Nigel Farage qui avait été remer­cié par la radio LBC en 2020 pour avoir reproché au mou­ve­ment Black Lives Mat­ters son idéolo­gie ouverte­ment marx­iste et avoir com­paré BLM aux Tal­ibans. L’homme à l’origine du Brex­it avec son Par­ti pour l’indépendance du Roy­aume-Uni (UKIP) qui avait poussé le pre­mier min­istre « con­ser­va­teur » David Cameron à organ­is­er un référen­dum sur la ques­tion (dans le but de lui couper l’herbe sous les pieds) a ain­si tous les soirs sur les ondes de GB News une émis­sion de con­ver­sa­tion poli­tique dont le suc­cès ne se dément pas. En décem­bre 2021, Farage a notam­ment obtenu en exclu­siv­ité pour GB News la pre­mière inter­view de Don­ald Trump pour un média étranger après son départ de la Mai­son blanche.

Des conservateurs plus conservateurs

Tout récem­ment, à la fin du mois de jan­vi­er, c’était l’arrivée d’un des prin­ci­paux représen­tants de l’aile réelle­ment con­ser­va­trice (dont le cen­triste David Cameron, créa­teur du « mariage gay » à l’anglaise, ne fai­sait assuré­ment pas par­tie) du Par­ti con­ser­va­teur qui était annon­cée : le député Tory Jacob Rees-Mogg va lui aus­si avoir sa pro­pre émis­sion sur GB News. Rees-Mogg, un libéral-con­ser­va­teur au car­ac­tère bien trem­pé qui n’a pas peur d’exprimer son hos­til­ité à l’avortement dans un pays où le sujet, quand il ne s’agit pas de banalis­er cette pra­tique, est devenu aus­si tabou que de ce côté-ci de la Manche, était secré­taire d’État en charge des « oppor­tu­nités offertes par le Brex­it » dans le gou­verne­ment de Boris Joh­son, puis briève­ment min­istre des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie indus­trielle dans le gou­verne­ment de Liz Truss. Il a expliqué ain­si les motifs qui l’ont poussé à rejoin­dre GB News :

« GB News est un bas­tion de la lib­erté d’expression qui a claire­ment le doigt sur le pouls de l’opinion publique et ne prend pas de haut ses téléspec­ta­teurs et ses audi­teurs. J’ai été impres­sion­né par l’indépendance d’esprit de la chaîne et sa déter­mi­na­tion à par­ler à des per­son­nes ayant des points de vue très dif­férents, ce qui est exacte­ment ce que je ferai dans mon émis­sion. »

Hors establishment

Dans un arti­cle pub­lié le 28 octo­bre dernier, le Tele­graph écrivait à pro­pos de la nou­velle chaîne que, sur ce marché, « le dernier entrant – en 1988 – était Sky News, alors con­sid­éré comme un per­tur­ba­teur du duo­p­o­le douil­let de la BBC et d’ITN. Mais le ton de la pro­duc­tion de Sky ne se dis­tingue plus du reste des médias tra­di­tion­nels ; GB News, en revanche, s’est don­né pour mis­sion de se démar­quer de l’establishment en offrant une tri­bune aux voix que les autres dif­fuseurs évi­tent. » L’article en ques­tion por­tait un titre pointant du doigt un obsta­cle majeur que devra toute­fois encore franchir GB News : « Le com­plot con­tre GB News : nous avons été annulés avant d’être lancés ». « Annulés », c’est-à-dire « can­celled » en anglais (« can­celed » en anglais améri­cain), terme désig­nant le fait d’être la cible d’une gauche bien-pen­sante qui cherche à tuer sociale­ment – et économique­ment – toute per­son­ne ou entre­prise qui ose exprimer ou laiss­er s’exprimer des points de vue non con­formes à la pen­sée unique que cette gauche souhait­erait impos­er à l’ensemble de la société.

Peu de publicités de marques

« Les mil­i­tants s’appellent Stop Fund­ing Hate (SFH) », expli­quait alors le Tele­graph, « et leur cible ini­tiale était le Dai­ly Mail. Mais le Mail est une entre­prise solide et bien établie, avec un lec­torat que les annon­ceurs esti­ment devoir attein­dre, de sorte que la cam­pagne n’a eu qu’un suc­cès lim­ité. GB News, qui en est encore à ses débuts, est peut-être une cible plus facile. La jus­ti­fi­ca­tion est exposée sur le site Web de SFH : “Depuis son lance­ment, GB News a été cri­tiqué pour avoir dif­fusé des mes­sages prob­lé­ma­tiques sur le change­ment cli­ma­tique et le Covid-19 et pour avoir dia­bolisé les per­son­nes trans à chaque occa­sion. Au cours de l’année écoulée, les bénév­oles de Stop Fund­ing Hate ont donc tra­vail­lé à l’identification des annon­ceurs de GB News. Nous voyons main­tenant très peu de mar­ques de pre­mier plan appa­raître sur la chaîne”. »

Et il est vrai que quand on regarde la télévi­sion GB News ou que l’on écoute la sta­tion GB News Radio lancée en jan­vi­er 2022 (et qui trans­met exacte­ment les mêmes émis­sions au même moment, mais sans l’image), les seules pub­lic­ités sont générale­ment celles de la chaîne elle-même, pour van­ter ses pro­pres émis­sions. Pour­tant, les audi­ences de la chaîne de télévi­sion et de la sta­tion de radio se comptent en cen­taines de mil­liers et font jeu égal, voire sou­vent mieux, que les autres chaînes et sta­tions instal­lées sur le créneau de l’information en con­tinu, dont la nou­velle chaîne Talk­TV (TTV) lancée en 2022 par le mag­nat des médias Rup­pert Murdoch.

Mal­gré une rédac­tion comp­tant près de 200 per­son­nes, GB News ne dis­pose pour­tant pas des mêmes moyens que Talk­TV mais a l’avantage d’avoir été la pre­mière sur le créneau des télévi­sions d’information « de droite ». Les médias de Mur­doch ont en revanche l’avantage de pou­voir compter sur les annon­ceurs pub­lic­i­taires car la puis­sance de l’empire médi­a­tique du per­son­nage en fait une cible net­te­ment moins facile pour les enne­mis de la lib­erté d’expression.

Un greco-britannique à la tête

« Nous sommes juste une petite entre­prise de Padding­ton [quarti­er du cen­tre de Lon­dres, ndlr] avec le loy­er le moins cher qu’il soit pos­si­ble de trou­ver », expli­quait en octo­bre dernier l’homme qui a pris la direc­tion de la chaîne après le départ d’Andrew Neil. Il s’agit d’Angelos Fran­gopou­los, un Grec qui a passé deux décen­nies à la tête de Sky News Aus­tralia, une chaîne d’info appar­tenant au même Mur­doch et qui est un peu le Fox News aus­tralien. Fran­gopou­los sem­ble bien décidé à rester en Angleterre main­tenant qu’il dirige GB News puisqu’il a demandé la nation­al­ité britannique.

Après Jacob Rees-Mogg, c’est l’arrivée prochaine du célèbre acteur John Cleese qui a été annon­cée en ce mois de févri­er. La rota­tion est élevée, tant il est de fortes per­son­nal­ités à la rédac­tion de GB News, et les attaques d’une gauche hos­tile à la lib­erté d’expression se pour­suiv­ent, y com­pris avec des accu­sa­tions d’antisémitisme très tirées par les cheveux mais volon­tiers relayées par les médias de la gauche pro­gres­siste comme le Guardian. Fran­gopou­los veut main­tenant péren­nis­er la chaîne en la ren­dant prof­itable, et les jour­nal­istes vont tous devoir suiv­re une for­ma­tion aux règles de l’Ofcom, le CSA bri­tan­nique. La chaîne démarche active­ment les annon­ceurs mais la tâche est ardue car, comme le déclarait Fran­gopou­los en octo­bre au Tele­graph :

« Mais com­ment traduire [le suc­cès d’audience] en suc­cès com­mer­cial, voilà la grande énigme (…) Tout le monde est très poli, mais un indice de ce qui se passe a été fourni par un cer­tain James Wilde, asso­cié directeur de Wave­mak­er UK, l’agence média mon­di­ale. L’année dernière, alors que la nou­velle du boy­cott pub­lic­i­taire de GBN com­mençait à faire mouche, Wilde a écrit dans le mag­a­zine de l’industrie pub­lic­i­taire : “Du peu que nous sachions à ce jour, GB news est toutes les choses suiv­antes :  pro-Brex­it, anti-élite mét­ro­pol­i­taine, et non cen­trée sur Lon­dres. Des posi­tions qui sont toutes l’antithèse du col­lab­o­ra­teur moyen d’une agence média. Et donc, nous voyons des plan­i­fi­ca­teurs médias encour­ager les mar­ques à boy­cotter la chaîne, alors qu’elle n’a que quelques mois d’existence… La prin­ci­pale moti­va­tion des agences et des mar­ques pour boy­cotter la chaîne est qu’elles n’aiment tout sim­ple­ment pas ce qu’elle dif­fuse et le pub­lic qu’elle représente.” En d’autres ter­mes, Stop Fund­ing Hate a trou­vé un écho dans les préjugés du type de per­son­nes qui com­posent le per­son­nel de l’agence de pub­lic­ité moyenne. Comme dans cer­taines par­ties des médias eux-mêmes, comme dans les uni­ver­sités, les hautes sphères de la fonc­tion publique, comme dans toutes les insti­tu­tions influ­entes du pays, il sem­ble qu’une pen­sée de groupe pré­vale, dic­tant un cer­tain ensem­ble d’attitudes “pro­gres­sistes”. »

Deux mécènes en soutien

Si GB News a pu se dévelop­per mal­gré tout jusqu’ici, c’est grâce au sou­tien de deux investis­seurs qui ont mis ensem­ble quelque 120 mil­lions de livres ster­ling dans l’affaire : Sir Paul Mar­shall, un riche homme d’affaires égale­ment à l’origine du site Unherd, et la société d’investissement Lega­tum Ven­tures, basée à Dubaï et appar­tenant à un entre­pre­neur néo-zélandais. Il y a donc des investis­seurs pour croire au suc­cès d’une chaîne d’info réelle­ment de droite dans le monde anglo-sax­on et le suc­cès de Fox News aux États-Unis est d’ailleurs là pour prou­ver qu’il est pos­si­ble de bris­er le qua­si-mono­pole de la pen­sée libérale-lib­er­taire sur le paysage audio-visuel dans ce monde-là.

Néan­moins, il s’agit d’un monde cap­i­tal­iste et le PDG de GB News doit main­tenant prou­ver que le suc­cès d’audience d’une chaîne de droite au Roy­aume-Uni peut se traduire en revenus pub­lic­i­taires, sinon les investis­seurs finiront par désert­er la chaîne et le paysage télévi­suel bri­tan­nique risque de rede­venir presque aus­si uni­forme que son équiv­a­lent français.