Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
En Pologne, les médias de gauche lancent une nouvelle campagne contre la pédophilie dans l’Église

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

21 octobre 2018

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | En Pologne, les médias de gauche lancent une nouvelle campagne contre la pédophilie dans l’Église

En Pologne, les médias de gauche lancent une nouvelle campagne contre la pédophilie dans l’Église

Temps de lecture : 7 minutes

Pho­to : « Kler » (Le Clergé), film de fic­tion sor­ti en sep­tem­bre 2018 met­tant en scène trois prêtres et un évêque, tous cor­rom­pus jusqu’à la moelle…

L’Église polonaise n’a jamais connu de scandales pédophiles à l’échelle de ceux qui ont éclaté aux États-Unis et en Irlande, et plus récemment au Chili. S’il y a bien eu des prêtres pédophiles de condamnés, il s’agissait jusqu’ici de cas isolés et, finalement, peu nombreux au regard de l’ensemble des cas de pédophilie. Mais l’opposition polonaise a relancé le sujet et par tous moyens.

Quelques statistiques

En 2013, le site natemat.pl créé par le très libéral-lib­er­taire rédac­teur en chef de l’édition polon­aise de l’hebdomadaire Newsweek, Tomasz Lis, était même bien for­cé de le recon­naître, après avoir pris des con­nais­sances des sta­tis­tiques : « Qui sont les pédophiles polon­ais ? Jusqu’ici, beau­coup pen­saient [y com­pris grâce à Newsweek, NDLR] que c’est par­mi les prêtres catholiques, les enseignants et même les psy­cho­logues pour enfants que l’on en trou­ve le plus. Il s’avère cepen­dant que les sta­tis­tiques du min­istère de la Jus­tice dis­ent tout autre chose. Ce sont le plus sou­vent des gens sans qual­i­fi­ca­tion [ain­si que] des maçons, des ser­ruri­ers et des agricul­teurs. » Plus loin, l’article pré­ci­sait les chiffres con­cer­nant les pédophiles se trou­vant en prison en 2013 pour des faits de pédophilie : « Sur 1468 détenus, pas moins de 900 n’ont aucune qual­i­fi­ca­tion, près de 70 sont des maçons, 40 exerçaient des petits métiers, 30 exerçaient la pro­fes­sion de ser­ruri­er, 30 sont des agricul­teurs et 25 sont des mécani­ciens auto­mo­biles. Seuls quelques-uns exerçaient des métiers comme ingénieur, médecin, enseignant, péd­a­gogue, édu­ca­teur ou mem­bres du clergé catholique ».

Ces sta­tis­tiques avaient été divul­guées par le min­istre de la Jus­tice en réponse à une ques­tion de députés du par­ti Droit et Jus­tice (PiS), alors dans l’opposition puisque le pre­mier min­istre était Don­ald Tusk. C’était après une cam­pagne médi­a­tique accu­sant l’Église de cacher de nom­breux prêtres pédophiles, et notam­ment après une cou­ver­ture de l’hebdomadaire Newsweek qui avait choqué. Présen­tant un jeune garçon vu de dos, debout devant un prêtre le ten­ant par la tête d’une main autour de laque­lle était enroulé un chapelet, le tout avec une dis­po­si­tion sug­gérant une fel­la­tion, la pho­to de Une arbo­rait le titre « L’Église cache la pédophilie ». Les pages intérieures con­te­naient le témoignage invéri­fi­able d’une vic­time anonyme d’un prêtre pédophile, si bien que les doutes sub­sis­tent à ce jour sur l’authenticité du reportage.

Newsweek et Gazeta Wyborcza relancent la question

Mais cette année 2018, c’est le quo­ti­di­en Gaze­ta Wybor­cza qui a le pre­mier relancé la cam­pagne d’accusations à car­ac­tère pédophile con­tre l’Église catholique polon­aise. Comme Newsweek, le jour­nal Gaze­ta Wybor­cza, qui compte un fonds de George Soros par­mi ses action­naires, a fait de la pédophilie dans l’Église un de ses sujets de prédilec­tion depuis le début des années 2000. L’accusation lancée le 7 sep­tem­bre 2017 était toute­fois mal­adroite, elle s’est avérée être basée sur une infox (fake news) : « Les prêtres retirés du reg­istre des pédophiles » (gros titre de la Une du 7 sep­tem­bre). L’accusation fai­sait ressur­gir l’idée de prêtres pédophiles, et elle visait aus­si le gou­verne­ment du PiS, accusé de con­nivence avec l’Église. L’auteur de l’article assur­ait que le gou­verne­ment du PiS, et notam­ment le min­istre de la Jus­tice et son secré­taire d’État Patryk Jaki, can­di­dat à la mairie de Varso­vie pour les élec­tions munic­i­pales du 21 octo­bre 2018, avaient créé un reg­istre pub­lic des pédophiles (qui existe depuis le début de l’année) pour ensuite ne pas y met­tre les prêtres con­damnés de peur de dévoil­er « la véri­ta­ble ampleur de la pédophilie dans l’Église » et « d’exposer le PiS à la colère des hiérar­ques ». Ce que le jour­nal ne pré­ci­sait pas, c’est qu’il existe deux reg­istres : l’un pub­lic, où fig­urent les auteurs des crimes pédophiles les plus graves, et l’autre réservé à la police où fig­urent les pédophiles ayant com­mis des faits de moin­dre grav­ité, la déci­sion de l’inscription au reg­istre pub­lic ou non pub­lic étant prise par les tri­bunaux (et non par le gou­verne­ment) en fonc­tion de chaque cas. Le prêtre don­né en exem­ple par Gaze­ta Wybor­cza à titre de preuve de ses allé­ga­tions se trou­ve être inscrit sur la liste non publique.

Le 17 sep­tem­bre, Gaze­ta Wybor­cza avait du con­cret à se met­tre sous la dent : dans une affaire qui a fait grand bruit en Pologne, qui con­cer­nait une femme kid­nap­pée à l’âge de 13 ans et vio­lée à de nom­breuses repris­es par un prêtre, un tri­bunal de Poz­nań a con­damné en pre­mière instance la Société du Christ, l’ordre religieux du prêtre pédophile, à vers­er à la vic­time un mil­lion de zlo­tys (env­i­ron 230.000 €) ain­si qu’une pen­sion à vie. Pour le juge, c’est son état de prêtre et sa fonc­tion de catéchiste qui a per­mis au pédophile d’enlever sa vic­time, ce qui rend son ordre religieux core­spon­s­able. L’affaire est aujourd’hui en appel.

Un film entre la réalité et la fiction

Mais ce qui a don­né une véri­ta­ble impul­sion à la nou­velle cam­pagne d’accusations de pédophilie con­tre l’Église de Pologne, c’est la sor­tie d’un film de fic­tion, « Kler » (Le Clergé), met­tant en scène trois prêtres et un évêque, tous cor­rom­pus jusqu’à la moelle. La manière dont la presse de gauche, et notam­ment Gaze­ta Wybor­cza et Newsweek, abor­dent ce film est reflétée dans un arti­cle du Monde, parte­naire de Gaze­ta Wybor­cza, inti­t­ulé « Un film dénonçant les péchés de l’Eglise crée un élec­tro­choc en Pologne » avec, en sous-titre, la pré­ci­sion « ‘Kler’, de Woj­cieh Smar­zows­ki, abor­de notam­ment la ques­tion de la pédophilie des prêtres. » Béné­fi­ciant d’un impor­tant rabattage médi­a­tique (n’en déplaise aux cri­tiques du PiS, la Pologne d’aujourd’hui est car­ac­térisée par un grand plu­ral­isme des médias et ce sont les médias de gauche, plutôt hos­tiles à l’Église et aux con­ser­va­teurs, qui y domi­nent), le film bat des records, avec 2,5 mil­lions d’entrées en moins de deux semaines. Voir aus­si à ce pro­pos, sur le site Réin­for­ma­tion TV : « ‘Kler’, film engagé : en Pologne, la gauche inten­si­fie sa cam­pagne con­tre l’Église catholique accusée de pédophilie endémique ».

Pré­cisons, il s’agit d’un film de fic­tion tourné par un réal­isa­teur athée qui se dit lui-même hos­tile à la reli­gion et à l’enseignement du catéchisme à l’école. Mais pour Gaze­ta Wybor­cza et l’hebdomadaire Newsweek, qui ont con­sacré à la pédophilie dans l’Église et au film « Kler » pas moins de trois Unes entre le 3 sep­tem­bre et le 1er octo­bre, ce film doit per­me­t­tre de chang­er l’Église catholique en Pologne et aus­si de « décléri­calis­er l’État », pour repren­dre l’expression util­isée par Tomasz Lis dans son édi­to­r­i­al du numéro du 1er octo­bre, avec en Une : « Kler, et main­tenant quoi ? » Et « Le réal­isa­teur Woj­ciech Smar­zows­ki et des prêtres ordi­naires sur ce que le film ‘Kler’ va chang­er dans l’Église catholique et en Pologne ».

Mais aussi quelques anciens communistes à la manœuvre

Jerzy Urban, attaché de presse du gou­verne­ment com­mu­niste à l’époque de la dic­tature du général Jaruzel­s­ki, et donc chargé à l’époque de coor­don­ner les cam­pagnes de dén­i­gre­ment con­tre l’Église catholique, est aujourd’hui à la tête d’un heb­do­madaire satirique anti­cléri­cal, Nie (Non). Présent à la pre­mière du film « Kler », il voit quant à lui dans ce film l’occasion d’inciter les catholiques à renon­cer à leur foi : « Tous font sem­blant de cri­ti­quer l’Église pour son bien et de rêver que cela aille mieux dans l’Église catholique. Moi, c’est le con­traire, je veux que cela aille le plus mal pos­si­ble. Qu’il n’y ait que des pédophiles, que des tricheurs et que l’Église soit encore plus dégoû­tante ». Mais il voit aus­si dans ce film et dans l’utilisation qui en est faite par les médias de gauche une con­cur­rence dan­gereuse : « Il éveille en moi des sen­ti­ments mit­igés, car je rédi­ge un mag­a­zine forte­ment anti­cléri­cal et un tel film, avec sa pop­u­lar­ité, banalise le sujet et me prive du mono­pole sur les attaques con­tre le clergé. De cette manière, je perds le moteur de mon busi­ness. », a ain­si expliqué l’ancien chef de la pro­pa­gande du général Jaruzel­s­ki. Un busi­ness économique mais aus­si politique.