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Jeremy Cohen, une victime de plus des contre-feux médiatiques

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9 avril 2022

Temps de lecture : 6 minutes
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Jeremy Cohen, une victime de plus des contre-feux médiatiques

Temps de lecture : 6 minutes

Mercredi 16 février 2022, un jeune homme dénommé Jeremy Cohen a été mortellement heurté par un tramway à Bobigny. Ce que les médias et la police ont un peu trop rapidement qualifié d’accident serait tombé dans l’oubli si la famille de la victime n’avait pas fait preuve d’opiniâtreté pour que toute la lumière soit apportée sur les circonstances du décès de Jeremy. Dans cette affaire, les réseaux sociaux ont par leur rôle de caisse de résonance donné à cet événement un retentissement inespéré. Mais, à quelques jours de l’élection présidentielle, cette médiatisation n’a pas été du goût de tout le monde, au point de faire oublier tous les enseignements qui auraient pu être tirés de ce qu’il faut bien qualifier un lynchage…

Un nouveau fait divers

Le 16 févri­er, les médias qui ont relaté le décès de Jere­my Cohen étaient unanimes. Ain­si, selon Actu.fr, nous sommes en présence d’un « dra­ma­tique acci­dent » : « un pié­ton a été mortelle­ment per­cuté par une rame du tramway T1 à Bobigny ».

Le Parisien est tout aus­si caté­gorique : à Bobigny, « un pié­ton décède après avoir été heurté par un tramway ». Comme nous l’apprend Le Figaro dans un arti­cle du 6 avril qui relate l’enchaînement des événe­ments, « l’enquête est rapi­de­ment classée ».

L’enquête menée par la famille

Mais la famille de Jere­my Cohen, un jeune homme de 31 ans souf­frant d’un léger hand­i­cap physique et men­tal, ne se résout pas à l’explication d’un banal acci­dent de la cir­cu­la­tion. Comme le père de Jere­my l’exprime sur une vidéo mise en ligne par Éric Zem­mour, « il y a quelque chose qui clochait ».

Les frères de Jere­my ont à force de battage réus­si à met­tre la main sur une vidéo enreg­istrée par un touriste. Celle-ci, rapi­de­ment dif­fusée sur Twit­ter, mon­tre assez peu dis­tincte­ment Jere­my Cohen se faire vio­lem­ment agress­er par une bande de voy­ous, l’un par­lant en arabe, puis s’enfuir vers un tramway qui le percute.

À par­tir de cet événe­ment, les ver­sions diver­gent. Pour Le Figaro le 6 avril, la trans­mis­sion de la vidéo au Par­quet de Bobigny amène celui-ci à ouvrir une infor­ma­tion judi­ci­aire le 29 mars.

Arthur de Watri­g­ant estime pour sa part sur CNews le 5 avril qu’ «il a fal­lu que le père de Jere­my Cohen appelle Éric Zem­mour et que le site Fdes­ouche et la “fachos­phère” comme les appel­lent cer­tains, fassent du bruit pour que cette affaire sorte, pour qu’elle ne soit pas étouf­fée ».

Les pro­pos du père de Jere­my Cohen sur BFM TV le 4 avril cor­ro­borent cette ver­sion des faits :

« On s’est retrou­vé dans une sit­u­a­tion dif­fi­cile, dans le vide juridique. J’ai demandé de l’aide à Éric Zem­mour dans le cadre de l’enquête pour ne pas qu’elle soit étouf­fée. Je l’en remer­cie».

Il ajoute sur Zem­mour TV :

« On ne s’en sor­tait pas et la pre­mière per­son­ne à qui on a écrit, c’est Éric Zem­mour. Il nous a énor­mé­ment aidés parce que c’est un homme bien qui défend courageuse­ment les caus­es comme la nôtre ».

L’enquête relancée

Quelles que soient les expli­ca­tions de la relance de l’enquête, celle-ci per­me­t­tra peut-être d’établir des respon­s­abil­ités. On ne peut que s’en réjouir tant le taux d’élucidation des innom­brables agres­sions qui ont lieu chaque jour en France est faible.

Bruno Attal souligne néan­moins sur Twit­ter à par­tir de doc­u­ments qui ont fuité du Par­quet que « le pro­cureur indique dans l’affaire Jere­my Cohen que la police a reçu la vidéo des vio­lences le 10 mars. Hors l’ouverture de l’information judi­ci­aire n’a eu lieu que le 29 Mars soit 19 jours après??? Que s’est-il passé pen­dant ces 19 jours?  ».

Les contre-feux ne tardent pas

Mais rapi­de­ment, l’élément cen­tral de cette affaire, un jeune homme lynché par une bande de voy­ous, laisse la place à l’accusation de « récupéra­tion » politique.

Sans doute piqué au vif pour ne pas avoir été sol­lic­ité par la famille de la vic­time, et bien que la police ait ini­tiale­ment rapi­de­ment classé sans suite l’affaire, le prési­dent de la république sor­tant donne la charge : le 4 avril, il déclare que ce drame ne doit pas don­ner lieu à des « manip­u­la­tions poli­tiques », nous informe CNews.

Le jour­nal L’Opinion embraye rapi­de­ment : « l’affaire Jere­my Cohen com­porte des « zones d’ombres prop­ices à la récupéra­tion poli­tique ».

Libéra­tion n’est évidem­ment pas en reste : « Éric Zem­mour (est) en pleine récupéra­tion ».

Le Monde y va de sa théorie du com­plot : « L’extrême droite tente de faire de la mort de Jérémie Cohen un « scan­dale d’État ».

Téléra­ma s’insurge con­tre « l’instrumentalisation poli­tique du drame » en rela­tant « la chronolo­gie des faits ».

Sur des nom­breux plateaux de télévi­sion, la tonal­ité est la même. Ain­si Bar­bara Lefeb­vre, que l’on avait con­nu mieux inspirée, estime sur RMC qu’« Éric Zem­mour est dans la récupéra­tion poli­tique ».

Des réactions sur Twitter

Sur les réseaux soci­aux, les réac­tions à ce détourne­ment de l’opinion publique du sujet cen­tral — le lyn­chage de Jere­my Cohen ‑ne se font égale­ment pas attendre.

Char­lotte d’Ornellas souligne sur Twit­ter que « le risque, ce n’est pas la récupéra­tion, c’est de crois­er cette bande de sauvages. On aimerait que ce soit extrême­ment clair dans la bouche de tout le monde ».

Pierre Sautarel est encore plus critique :

« J’ai à peu près regardé tout ce qui a été dif­fusé à la TV sur l’af­faire #Jere­my­Co­hen. 75% du temps d’an­tenne a été con­sacré à débat­tre pour savoir si c’é­tait de la récupéra­tion, 24% des faits, 1% de la vic­time et c’est le père qui l’a fait. Bref, on a com­pléte­ment déshu­man­isé ce drame ».

Les développements auxquels vous avez échappé

Car effec­tive­ment, dans cette affaire, la focal­i­sa­tion de nom­breux médias sur le risque de « récupéra­tion poli­tique » est prob­lé­ma­tique à plus d’un titre. Le père de Jere­my Cohen a sol­lic­ité Éric Zem­mour pour sor­tir de l’oubli et du classe­ment sans suite l’enquête sur la mort de son fils con­séc­u­tive à un lyn­chage. Lui inten­ter un procès en récupéra­tion poli­tique appa­rait dans ce con­texte par­ti­c­ulière­ment déplacé.

Le père de Jere­my Cohen a fait appel à un homme impliqué dans la vie de la cité (« polis ») afin d’infléchir le cours des événe­ments. A aucun moment les com­men­ta­teurs paten­tés n’ont envis­agé que l’une des fonc­tions de la vie poli­tique est de rechercher des règles de vie en com­mun et de – ten­ter — de sor­tir les citoyens de la bar­barie ordi­naire. La con­damna­tion des auteurs de l’agression de Jere­my Cohen amèn­era peut-être ces derniers à amender leurs com­porte­ments délin­quants. Leur incar­céra­tion per­me­t­trait à tout le moins de les met­tre hors d’état de nuire.

Au-delà, bien d’autres sujets auraient pu être évo­qués à l’occasion de ce lyn­chage : les innom­brables agres­sions quo­ti­di­ennes dont les auteurs sont lais­sés impu­nis ou si faible­ment con­damnés. Le démé­nage­ment de nom­breux juifs de leur quarti­er « pour des villes moins hos­tiles », comme le soulig­nait le Parisien en 2019, ce qui laisse présager une par­ti­tion admin­is­tra­tive du ter­ri­toire français dans un avenir plus ou moins proche.

Mais non, tous ces sujets doivent être acces­soires. Il sem­blait plus impor­tant pour une par­tie de clergé médi­a­tique d’allumer des con­tre-feux à ces sujets si cri­ants d’actualité. Pour mieux enfumer l’opinion publique à la veille du pre­mier tour de l’élection présidentielle ?