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Institute for Strategic Dialogue : tous unis contre la haine !

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17 juin 2022

Temps de lecture : 10 minutes
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Institute for Strategic Dialogue : tous unis contre la haine !

Temps de lecture : 10 minutes

Le 8 juin 2022, Le Monde publiait un article intitulé « Les influences prorusses en ordre de bataille » et s’appuyant sur une étude de « l’organisation indépendante Institute for Strategic Dialogue » (ISD). Dans le viseur de cette étude : des « personnes réparties dans huit pays occidentaux » accusées de « disséminer la propagande du Kremlin » et d’avoir des liens « flous » avec Moscou.

Deux Françaises sur la liste

Sur les douze influ­enceurs qui « répan­dent des dis­cours de dés­in­for­ma­tion proruss­es » iden­ti­fiés par l’ISD, deux sont des Français­es : Anne-Lau­re Bon­nel et Chris­telle Néant. Leur crime ? Présen­ter une ver­sion du con­flit rus­so-ukrainien sen­si­ble­ment dif­férente de celle propagée par les médias de grand chemin occidentaux.

Anne-Lau­re Bon­nel est con­nue pour son doc­u­men­taire réal­isé en 2016 sur le Don­bass dans lequel elle mon­tre que la vie des pop­u­la­tions russ­es n’était pas un par­cours de san­té dans cette région alors encore sous le con­trôle de Kiev. Fake-news, « fables con­coc­tées par la télévi­sion russe », selon le cor­re­spon­dant du Monde à Moscou, Benoît Vitkine.

Chris­telle Néant vit depuis six ans dans le Don­bass d’où elle ani­me son média Don­bass Insid­er. Elle se per­met régulière­ment de rap­pel­er les liens entre Kiev et les batail­lons néon­azis ukrainiens, pho­tos à l’appui. Une vue de l’esprit, cir­culez y’ a rien à voir !

Les pas­sions que déchaîne dans la presse le batail­lon Azov, débouchent sys­té­ma­tique­ment sur des sit­u­a­tions totale­ment absur­des, comme par exem­ple le 30 mai, quand The Times titrait « Azov Bat­tal­ion drops neo-Nazi sym­bol exploit­ed by Russ­ian pro­pa­gan­dists » (Le batail­lon Azov aban­donne le sym­bole néo-nazi [sur son insigne] exploité par les pro­pa­gan­distes russ­es). À rien y com­pren­dre, sauf si l’on part du principe que le quo­ti­di­en de Rupert Mur­doch se moque ouverte­ment de ses lecteurs.

L’ISD, boîte à idées contre la haine

Fondé en 2006 et prin­ci­pale­ment implan­té à Berlin, Lon­dres, Paris et Wash­ing­ton, l’ISD pro­duit des études et des analy­ses sur ce qu’il con­sid­ère comme étant les fléaux de notre temps, entre autres par la pra­tique du counter-nar­ra­tive (la con­tre-nar­ra­tion). Ses domaines de recherche sont les suivants :

  • La dés­in­for­ma­tion (dés­in­for­ma­tion élec­torale, cli­ma­tique et san­i­taire, réseaux conspirationnistes)
  • L’extrémisme (extrémisme d’extrême-droite, islamisme, femmes et extrémisme)
  • Polar­i­sa­tion et haine (islam­o­pho­bie, anti­sémitisme, misog­y­nie, LGBTQ)

Plus qu’un think-thank, un véri­ta­ble tank des­tiné à broy­er tous les esprits réfrac­taires sur son passage !

De mèche avec Facebook et Google

L’ISD est con­nu pour avoir lancé des pro­jets en parte­nar­i­at avec Google et Face­book dans le but de lut­ter con­tre la haine et l’extrémisme en ligne.

C’est le cas du fonds d’innovation d’un mil­lion de livres ster­ling créé en 2017 avec google.org dont le but est de « dévelop­per des solu­tions con­tre la haine et l’extrémisme » au Roy­aume-Uni. Cette enveloppe fai­sait par­tie des cinq mil­lions de livres ster­ling con­sacrés par Google.org à cette cause au niveau mondial.

L’ISD dis­pose égale­ment d’un parte­nar­i­at stratégique avec Face­book dans le cadre de son pro­gramme nom­mé Online Civ­il Courage Ini­tia­tive (OCCI — Ini­tia­tive pour le courage civ­il en ligne) lancé en 2016 en Alle­magne puis en 2017 en France et en Angleterre. Cette ini­tia­tive est « le pre­mier effort stratégique non gou­verne­men­tal visant à organ­is­er une réponse pro­por­tion­nelle à l’échelle européenne à la haine, à la vio­lence et au ter­ror­isme en ligne. L’OCCI com­bine l’ex­per­tise de la tech­nolo­gie, de la com­mu­ni­ca­tion, du mar­ket­ing et du monde uni­ver­si­taire afin d’amélior­er les com­pé­tences et la réponse civique à la haine et à l’ex­trémisme en ligne. »

Voir aus­si : Quand Libéra­tion se fait le relais des ser­vices secrets bri­tan­niques via Bellingcat

Pour ses pro­jets de lutte con­tre la haine en ligne, l’ISD peut compter sur son réseau Youth­CAN (Youth Civ­il Activism Net­work), le prin­ci­pal réseau mon­di­al de jeunes se con­sacrant à la lutte con­tre l’ex­trémisme, la polar­i­sa­tion, les dis­cours de haine et la dés­in­for­ma­tion. Ils for­ment une com­mu­nauté plus de 1 900 jeunes mil­i­tants, créa­teurs et entre­pre­neurs dans le domaine de la tech­nolo­gie dans plus de 130 pays.

Une organisation « farouchement indépendante », rien que ça !

L’ISD se qual­i­fie d’« organ­i­sa­tion glob­ale farouche­ment indépen­dante » fière de respecter les « stan­dards étiques les plus élevées ». Intégrité, indépen­dance, objec­tiv­ité et respon­s­abil­ité sont ses principes directeurs, alors qu’un éven­tail diver­si­fié de sources de finance­ment garan­ti­rait à ses pro­jets d’être durables et con­formes à la mis­sion et aux valeurs de l’organisation. Voici donc une sélec­tion opérée depuis 2018 au sein de ce fameux éven­tail diversifié :

  • Secteur privé : Face­book, Google, Microsoft, YouTube, etc.
  • Gou­verne­ments (en général min­istères de l’Intérieur et des Affaires étrangères) et organ­i­sa­tions inter­na­tionales : Con­seil de l’Europe, Com­mis­sion européenne, Organ­i­sa­tion inter­na­tionale pour les migra­tions, ONU, gou­verne­ments alle­mand, améri­cain, aus­tralien, bri­tan­nique, cana­di­en, danois, fin­landais, néer­landais„ néo-zélandais, norvégien, sué­dois et suisse
  • Fon­da­tions : Bill & Melin­da Gates Foun­da­tion, British Coun­cil, Gen Next Foun­da­tion, Nation­al Demo­c­ra­t­ic Insti­tute, Open Soci­ety Foun­da­tions, Unit­ed States Insti­tute for Peace, etc.

L’ISD reçoit donc des fonds à la fois des GAFAM, des gou­verne­ments améri­cain et bri­tan­nique, mais aus­si des fon­da­tions de Bill Gates et de George Soros. Dire cela, c’est sans doute déjà entr­er dans la zone grise aux yeux de cette organ­i­sa­tion, qui ne man­querait pas d’y voir une accu­sa­tion haineuse et com­plo­tiste, alors qu’il s’agit pure­ment et sim­ple­ment d’informations con­sulta­bles libre­ment sur son site internet.

La liste des parte­naires de l’ISD est égale­ment riche d’enseignements : Anti-Defama­tion League (fondée par le B’nai B’rith aux États-Unis), une série d’universités (Johns Hop­kins, Cardiff, Deakin, Har­vard, MIT, Ontario, Sus­sex, Vic­to­ria), Fair Fight Action (fondé par Stacey Abrams, mem­bre du Par­ti démoc­rate), Ger­man Mar­shall Fund, Glob­al Dis­in­for­ma­tion Index (fondé par Clare Melford, passée par l’ECFR de George Soros), mais encore l’Institut Mon­taigne, think-thank libéral proche du patronat français à en croire la com­po­si­tion de son comité directeur (Hen­ri de Cas­tries, David Azé­ma, Jean-Pierre Cla­madieu, Mar­wan Lahoud, Fleur Pel­lerin, René Ricol, Jean-Dominique Sénard, Philippe Wahl, etc.)

ISD France : souriez, vous êtes cartographiés !

Dans le cadre de son Ini­tia­tive pour le courage civique en ligne en parte­nar­i­at avec Face­book, l’ISD a notam­ment réal­isé une « Car­togra­phie de la Haine en Ligne — Tour d’hori­zon du dis­cours haineux en France », un rap­port de 84 pages paru en 2020.

Ce rap­port s’appuie « d’une part, sur une analyse de don­nées réal­isée à l’aide d’outils d’écoute des réseaux et de logi­ciels de traite­ment du lan­gage naturel, et d’autre part, sur une analyse quantitative. »

Le machine learn­ing au ser­vice de la traque aux pro­pos anti-arabes ou anti-maghrébins, anti-noirs ou anti-africains, anti-roms ou anti-gitans, anti-asi­a­tiques, anti-musul­mans, anti­sémites, capaci­tistes ou validistes, misog­y­nes, anti-LGBT. Les caté­gories anti-blancs et anti-chré­tiens ne sont pas oubliées mais com­por­tent bien moins de mots-clés que les autres (seule­ment deux pour anti-blancs : babtou et toubab, alors que la caté­gorie anti-arabes en compte plus de vingt !).

D’ailleurs, lorsqu’il ne s’agit pas de minorités, l’ISD ne s’attarde pas trop et ne sem­ble pas accorder beau­coup d’importance au sujet des pro­pos anti-blancs et anti-chré­tiens, con­sid­érant qu’il n’y a pas for­cé­ment de cor­réla­tion entre les dis­cours anti-blancs ou anti-chré­tiens et un sen­ti­ment de haine.

Pour les autres dis­cours jugés prob­lé­ma­tiques par la bien-pen­sance, la haine n’est en revanche jamais loin, voire avérée, alors qu’il existe une « inter­sec­tion­nal­ité des dis­cours haineux ».

Réal­isé par trois anciens élèves de Sci­ences Po, ce rap­port fait penser au tra­vail mené par la DILCRAH, une mis­sion inter­min­istérielle du gou­verne­ment français dont les auteurs salu­ent d’ailleurs le tra­vail dans leurs recom­man­da­tions, tout en rap­pelant que la loi Avia est « un pili­er essen­tiel de la démarche du gou­verne­ment français, sans en être l’élément unique ». Une par­tie du rap­port à lire atten­tive­ment si l’on veut avoir une idée du monde que veu­lent ces « experts indépendants ».

Ces derniers se sont encore illus­trés récem­ment par des études aux titres sans détour : La con­quête numérique des Iden­ti­taires : un effort de mobil­i­sa­tion mul­ti-plate­formes, COVID-19 : aperçu de la défi­ance anti-vac­ci­nale sur les réseaux soci­aux, La pandémie de COVID-19: ter­reau fer­tile de la haine en ligne. Ou encore : L’interdiction de RT et Sput­nik : impacts et impli­ca­tions pour l’écosystème en ligne français.

Des médias liés au gou­verne­ment russe, au sec­ours. Mais être lié à des gou­verne­ments occi­den­taux, aucun problème.

Sasha Havlichek, parfaitement neutre

Sasha Havlicek est co-fon­da­trice et direc­trice générale de l’ISD, dont elle a dirigé les pro­grammes pio­nniers de recherche et d’analyse de don­nées, d’é­d­u­ca­tion numérique, de con­seil poli­tique, de for­ma­tion, de tech­nolo­gie et de com­mu­ni­ca­tion. Forte d’une expéri­ence en réso­lu­tion des con­flits et en matière d’ex­trémisme, d’opéra­tions d’in­for­ma­tion numérique et d’ingérence élec­torale, elle a con­seil­lé plusieurs gou­verne­ments au plus haut niveau et a été le fer de lance de parte­nar­i­ats avec l’ONU, la Com­mis­sion européenne et le Forum mon­di­al de lutte con­tre le terrorisme.

Elle a égale­ment tra­vail­lé avec le secteur privé et la société civile pour pro­mou­voir l’in­no­va­tion, notam­ment en élab­o­rant des pro­grammes majeurs menés en parte­nar­i­at avec Google, Face­book et Microsoft. Sasha Havlicek est con­seil­lère experte auprès de la com­mis­sion bri­tan­nique de lutte con­tre l’ex­trémisme et du pro­gramme de lutte con­tre l’ex­trémisme du maire de Lon­dres, et elle est mem­bre du Con­seil européen des rela­tions étrangères (ten­tac­ule de la pieu­vre Soros). Elle a par le passé occupé le poste de direc­trice prin­ci­pale à l’East­West Insti­tute (organ­i­sa­tion dont le tra­vail avait été loué par George H.W. Bush et Madeleine Albright), où elle a dirigé les pro­grammes de réso­lu­tion des con­flits. Elle a témoigné devant le Con­grès améri­cain, le Par­lement bri­tan­nique et inter­vient régulière­ment dans les médias (CNN, BBC, Chan­nel 4 News, etc).

George Weidenfeld, un lord pas comme les autres

Arthur George Wei­den­feld, baron Wei­den­feld de Chelsea, est le véri­ta­ble inspi­ra­teur et fon­da­teur de l’ISD, une organ­i­sa­tion qui prend sa source dans The Club of Three, une organ­i­sa­tion lancée en 1996 par le puis­sant lord anglais d’origine juive vien­noise aux cotés de Lord Roth­schild et de Lord Alexan­der.

Né à Vienne en 1919, George Wei­den­feld quitte l’Autriche pour l’An­gleterre en 1938. Pen­dant la Sec­onde Guerre mon­di­ale, il tra­vaille au ser­vice d’outre-mer de la BBC et, en 1948, il fonde la mai­son d’édi­tion Wei­den­feld & Nicol­son avec Nigel Nicol­son. En 1949, il devient con­seiller poli­tique et chef de cab­i­net en Israël auprès du prési­dent Weiz­mann (pre­mier prési­dent de l’État hébreu), et passe un an à ce poste, et restera « un sion­iste con­va­in­cu » tout au long de sa vie.

Décédé en 2016 — il repose depuis au cimetière juif du Mont des Oliviers à Jérusalem —, il a été au long de sa car­rière prési­dent de Wei­den­feld & Nicol­son, prési­dent de l’In­sti­tute for Strate­gic Dia­logue, directeur de Cheyne Cap­i­tal Man­age­ment, prési­dent hon­o­raire du con­seil d’ad­min­is­tra­tion de l’u­ni­ver­sité Ben-Guri­on du Néguev, mem­bre du con­seil con­sul­tatif européen d’In­vest­corp, con­sul­tant pour la Fon­da­tion Ber­tels­mann et chroniqueur pour Die Welt, Welt am Son­ntag et Bild am Son­ntag. Mais encore : gou­verneur du Weiz­man Insti­tute, vice-prési­dent du Forum UE-Israël, alors qu’il a apporté son sou­tien aux Chré­tiens d’Orient. Un homme éton­nant, aux mille facettes, qui dis­po­sait d’un réseau con­sid­érable dans les milieux poli­tiques et diplo­ma­tiques, et âme d’une organ­i­sa­tion, l’ISD, qui peut être qual­i­fiée de tout sauf d’indépendante. Le jour­nal­iste du Monde doit être un peu paresseux…

Voir aus­si : Belling­cat : Le Monde vic­time de la pro­pa­gande bri­tan­nique, ou complice ?