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Immigration clandestine : quand Le Figaro relaie la communication gouvernementale et des no border

27 juillet 2021

Temps de lecture : 6 minutes
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Immigration clandestine : quand Le Figaro relaie la communication gouvernementale et des no border

Temps de lecture : 6 minutes

Red­if­fu­sion esti­vale. Pre­mière dif­fu­sion le 27 avril 2021

Le journal Le Figaro a la réputation d’être un quotidien d’information conservateur. Cette réputation est-elle justifiée ? Deux exemples récents nous amènent à en douter. Dans un premier article sur l’immigration clandestine paru le 19 avril 2021, le journal relaie sans aucune réserve la communication gouvernementale dans sa lutte contre l’immigration clandestine. Dans un autre article du 23 avril, c’est l’idéologie des no border — ces militants qui luttent pour l’abolition des frontières — qui est tranquillement promue dans les colonnes du quotidien…

« Clandestins : les frontières ont été verrouillées avec l’Italie et l’Espagne »

« Clan­des­tins : les fron­tières ont été ver­rouil­lées avec l’Italie et l’Espagne » : c’est avec ce titre que com­mence un arti­cle paru dans l’édition du 19 avril 2021 du Figaro. Tout un pro­gramme qui appa­rait ras­sur­ant. Enfin une bonne nou­velle, se dit-on. Le jour­nal­iste s’appuie pour affirmer cela sur le nom­bre de passeurs et d’étrangers en sit­u­a­tion irrégulière arrêtés et refoulés à la fron­tière fran­co-espag­nole et à la fron­tière fran­co-ital­i­enne entre novem­bre 2020 et mars 2021. L’article pré­cise que les chiffres en ques­tion ont été com­mu­niqués par le min­istère de l’intérieur au Figaro. Ceux-ci font en effet ressor­tir une forte aug­men­ta­tion des arresta­tions et des refoule­ments par rap­port à la même péri­ode de l’année précé­dente. Le jour­nal­iste en con­clut que le « bilan chiffré mon­tre l’efficacité des ren­forts déployés aux dif­férents points de pas­sage vers la France ». Mieux, « jamais la France n’a aus­si bien ver­rouil­lé les portes du pays. C’est en tout cas ce que laisse appa­raître un bilan chiffré de la Police aux fron­tières (PAF) porté à la con­nais­sance du Figaro ». En présence d’un tel con­stat dithyra­m­bique, on pense à la cita­tion de Beau­mar­chais en cou­ver­ture du jour­nal : « sans la lib­erté de blâmer il n’est point d’éloge flat­teur ».

Cette présen­ta­tion plus qu’élogieuse de l’action du min­istre de l’intérieur a amené Gérald Dar­manin à insér­er comme un trophée l’article du Figaro dans un Tweet et à écrire dans le message :

L’article du Figaro : un communiqué de presse gouvernemental ?

L’absence de toute réserve et de con­tex­tu­al­i­sa­tion par le jour­nal­iste du Figaro des infor­ma­tions com­mu­niquées par le min­istère de l’intérieur laisse songeur. En effet, selon plusieurs indices, le con­stat de fron­tières « ver­rouil­lées » est non seule­ment exces­sif, il appa­rait très éloigné de la réal­ité. Le ren­force­ment des con­trôles aux fron­tières annon­cé fin 2020 par le prési­dent de la République et relayé notam­ment par LCI, après le triple meurtre com­mis par un clan­des­tin tunisien à la basilique notre Dame de l’Assomption à Nice, a certes prob­a­ble­ment con­tribué à aug­menter le nom­bre des refoule­ments aux fron­tières. Mais, d’autres élé­ments amè­nent à penser que ces chiffres traduisent non seule­ment une pres­sion accrue à nos fron­tières, mais égale­ment une aug­men­ta­tion des entrées clan­des­tines en France.

Si le min­istère de l’intérieur est très pro­lixe con­cer­nant le nom­bre de refoule­ments de clan­des­tins aux fron­tières nationales, le jour­nal­iste du Figaro se garde bien de soulign­er qu’il est par con­tre beau­coup plus dis­cret sur le nom­bre d’étrangers en sit­u­a­tion irrégulière recen­sés comme entrant en France. Le Pôle d’analyse migra­toire rat­taché au min­istère de l’intérieur ne com­mu­nique en effet plus ce chiffre depuis 2017, alors qu’il s’établissait pour cette seule année à 79 562. En 2018, c’était égale­ment Le Figaro qui avait eu l’exclusivité des derniers chiffres com­mu­niqués à ce sujet. Depuis, silence radio.

D’autres indices mon­trent que les voy­ants sont au rouge et que le gou­verne­ment manie essen­tielle­ment la communication.

Près de la fron­tière fran­co-espag­nole, ce sont selon France Bleu des dizaines de clan­des­tins qui arrivent chaque jour à Per­pig­nan. Le Préfet des Pyrénées ori­en­tales recon­nait qu’à la fron­tière pyrénéenne, la pres­sion migra­toire est en aug­men­ta­tion depuis plusieurs années.

À la fron­tière fran­co-ital­i­enne, le vice-prési­dent du con­seil départe­men­tal des Alpes mar­itimes, Éric Ciot­ti, fai­sait état en novem­bre dernier dans les colonnes du Figaro qu’« entre le 1er jan­vi­er et le 15 novem­bre dernier, la police aux fron­tières a ain­si remis 2335 mineurs non accom­pa­g­nés sup­posés aux ser­vices du départe­ment des Alpes-Mar­itimes con­tre 1871 pour toute l’an­née 2019 ». On aurait aimé que le jour­nal­iste véri­fie que les con­signes don­nées aux douaniers à ce sujet ont changé…ou pas.

Par­mi les expli­ca­tions à cette pres­sion migra­toire, la crise économique dans les pays africains joue cer­taine­ment un rôle. Mais les con­signes don­nées aux douaniers par les autorités français­es et le manque d’effectifs sont égale­ment à souligner.

Ain­si, selon une avo­cate pro-migrants tou­jours citée en novem­bre 2020 par Le Figaro, les douaniers français ne refouleraient plus les jeunes migrants à la fron­tière fran­co-ital­i­enne, mais les ori­en­teraient vers les ser­vices de l’Aide Sociale à l’Enfance des départe­ments ou les associations.

Autre dif­fi­culté : le faible nom­bre de douaniers affec­tés au con­trôle de la fron­tière fran­co-ital­i­enne. Un jour­nal­iste de Valeurs actuelles ne s’est pas con­tenté de relay­er les sta­tis­tiques gou­verne­men­tales. Il a inter­rogé des acteurs de ter­rain sur la sit­u­a­tion à la fron­tière italienne.

Les brigades douanières de Nice et de Men­ton n’auraient, selon un douanier inter­rogé par Yohan Cecere, cha­cune qu’un effec­tif de 30 agents. Or les policiers ponctuelle­ment amenés en ren­fort ne dis­posent pas des mêmes moyens juridiques pour refouler les clandestins.

À la lec­ture de ces quelques élé­ments, on est donc loin d’un pays aux fron­tières « ver­rouil­lées ». Il est pour le moins éton­nant que le jour­nal­iste du Figaro ne soit pas allé chercher dans de précé­dents arti­cles du jour­nal sur le sujet des élé­ments de nature à mod­ér­er son juge­ment défini­tif de fron­tières « ver­rouil­lées ». À ce stade l’article relève plus du com­mu­niqué de presse que d’un tra­vail d’investigation. Mais l’on n’avait pas encore tout lu.

Inutiles frontières

« Le tri­an­gle, nou­velles route des migrants vers l’Union européenne », tel est le titre de l’article paru dans l’édition du 23 avril du Figaro. La jour­nal­iste serbe Mil­i­ca Cubro­lo nous fait décou­vrir l’itinéraire des clan­des­tins pour « gag­n­er la Hon­grie », un itinéraire qui « passe désor­mais par la Roumanie ». Par cette voie aus­si, les clan­des­tins sont de plus en plus nom­breux. Mais ce mot de « clan­des­tin » est vis­i­ble­ment tabou pour la jour­nal­iste : les migrants sont des « deman­deurs d’asile ».

Le pre­mier migrant que la jour­nal­iste inter­roge est un algérien. Mau­vaise pioche…L’article est une longue litanie des mau­vais traite­ments que subis­sent les clan­des­tins lorsqu’ils ten­tent de franchir illé­gale­ment la fron­tière roumaine. Tous les détails sem­blent avoir un objec­tif : édi­fi­er le lecteur pour l’amener à con­clure avec la jour­nal­iste que, décidem­ment, les fron­tières, c’est mal. La con­clu­sion de l’article est par­ti­c­ulière­ment sentencieuse :

« Qu’importe la hau­teur des murs placés sur leur route et la répres­sion poli­cière, les exilés finiront tôt ou tard par pass­er. La poli­tique ultra­sécu­ri­taire de l’UE ne fait qu’exacerber leur pré­car­ité et leur vul­néra­bil­ité face aux trafi­quants ».

Vous pen­siez lire Le Figaro, mais vous lisez en fait la pro­pa­gande du GISTI, le groupe­ment d’information et de sou­tien aux immigrés…Le soir même de la paru­tion de cet arti­cle, un Tunisien arrivé clan­des­tine­ment en France et plein de ressen­ti­ment pour notre pays et sa cul­ture tuait à coups de couteau une fonc­tion­naire de police à Ram­bouil­let. Sans commentaires.

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