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Histoires d’une nation ou France 2 au pays des Soviets. Cinquième partie

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27 décembre 2018

Temps de lecture : 11 minutes
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Histoires d’une nation ou France 2 au pays des Soviets. Cinquième partie

Temps de lecture : 11 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 01/11/2018 — L’Observatoire du jour­nal­isme (Ojim) se met au régime de Noël jusqu’au 5 jan­vi­er 2019. Pen­dant cette péri­ode nous avons sélec­tion­né pour les 26 arti­cles de la ren­trée qui nous ont sem­blé les plus per­ti­nents. Bonne lec­ture, n’oubliez pas le petit cochon de l’Ojim pour nous soutenir et bonnes fêtes à tous. Claude Chol­let, Président

Cinquième et dernier volet de notre décryptage du doc­u­men­taire « His­toires d’une nation ». Par­tie 5 : His­toires d’une nation, analyse de l’épisode 4/4, « Généra­tions, 1975–2005 ».

Le cinquième volet de la série documentaire de France 2, « Histoires d’une nation » est consacré aux « générations », ce qui n’est pas très clair. Sauf à comprendre que l’histoire de France serait un ensemble d’histoires de « générations » successives de personnes venues d’ailleurs ? L’interprétation est délicate, le choix de ce titre étant flou. Ce qui n’est pas le cas de l’ensemble de ce dernier épisode, lequel s’inscrit pleinement, ainsi que l’OJIM le faisait remarquer, dans un moment où une volonté de limiter la liberté d’expression semble s’associer avec une volonté de réécrire l’histoire de France, y compris dans les établissements scolaires. Un rôle prétendument éducatif auquel est appelée cette série documentaire coproduite par France 2, France Inter et L’Obs, et diffusée auprès des jeunes scolarisés, par les médias de l’Éducation Nationale.

La France black blanc beur

La fin du doc­u­men­taire, et donc de la série de qua­tre épisodes, donne le fin mot de l’histoire, pas de ces his­toires pré­ten­dues de la France ou d’une quel­conque his­toire de France prise au sérieux, mais plutôt la rai­son pro­fonde de l’existence même de la série. Ce dernier épisode, mené au rythme de la même musique épique, sous-enten­dant com­bi­en l’épopée de la France serait celle d’immigrés héroïques fon­dant con­tre vents et marées ce pays, la France. Celle de la vic­toire de la coupe du monde en 1998, dans l’esprit et les mots des auteurs, la France dite « black blanc beurs », une France dont l’histoire (du foot­ball en tout cas) serait his­toire des enfants de migrants ayant com­posé cette équipe.

Les émeutes de 2005

Ce « fin mot » des « his­toires d’une nation » tient dans les derniers mots du com­men­taire et les dernières images défi­lant sous nos yeux :

Après les émeutes de 2005, dont il est dit qu’elles sont la con­séquence de la mort de deux enfants d’immigrés mineurs, « vic­times de la police », sans que jamais le con­texte ne soit posé, ni le déroulé des événe­ments ayant con­duit à ces morts, étant enten­du que la fron­tière sépare des vic­times par nature (les enfants d’immigrés) des coupables par nature (la police, c’est-à-dire la France), « quelque chose de neuf appa­raît ». Notons que la vraie respon­s­abil­ité de ces émeutes eth­niques urbaines (ce qui n’est jamais analysé ain­si dans le doc­u­men­taire) serait Nico­las Sarkozy et sa « provo­ca­tion » quand il évoque les « racailles ». En tout cas, le drame aurait eu un effet à rebours, une sorte de prise de con­science : « Cer­tains déci­dent d’affirmer leurs iden­tités, ils vont chercher dans leurs his­toires de quoi enrichir l’histoire de France ». Ce n’est plus l’intégration qui est la France com­mune, c’est la jux­ta­po­si­tion des dif­férentes iden­tités (sauf la blanche, européenne, de souche dont l’existence demeure dou­teuse, sauf sous la forme d’un État col­lec­tif répres­sif), de la diver­sité ; en un mot : le mul­ti­cul­tur­al­isme en forme de com­mu­nautés séparées, cha­cune attachée à son iden­tité (sauf l’identité européenne bien enten­du, répé­tons le). La somme des iden­tités qui auraient fait la France seraient, juste­ment, la France. Ce point est clair : la fin de l’histoire réside dans le mul­ti­cul­tur­al­isme. Il faut « aller chercher cette autre his­toire-là », ce que fait la série doc­u­men­taire en somme.

Je suis ce que j’ai décidé

  • Les mots qui ter­mi­nent le doc­u­men­taire don­nent le mes­sage, dont il con­vient de rap­pel­er qu’il va faire le tour des lycées Français, et peut-être ali­menter le goût de l’usage de pis­to­lets fac­tices ici ou là : « Aujourd’hui, à l’image de nos nou­veaux cham­pi­ons du monde, on peut être Français et garder ce qu’on aime de nos orig­ines », l’heure est « à l’identité choisie ». L’un des tout derniers inter­venants le déclare : « Je suis ce que j’ai décidé ». Il n’y a pas d’identité au sin­guli­er, pas plus d’identités au pluriel, au sens d’identités divers­es: nous seri­ons l’identité que nous nous don­nons à chaque instant. Ain­si le titre de ce dernier épisode s’éclaire-t-il. « Généra­tions », comme des généra­tions spon­tanées, une sorte de renais­sance et de muta­tion per­ma­nentes, par l’apport de « l’enrichissement des immi­gra­tions ». Ain­si, « nos façons de nous définir sont infinies ». Mais, car il y a un mais…
  • Nous ne retenons pas la leçon de ces his­toires qui feraient l’histoire de la France. Pourquoi ? Images de « migrants », images de main­tenant : « comme hier, ils vien­nent chas­sés par les guer­res, les géno­cides et la mis­ère (les images se font lar­moy­antes). Ils pren­nent le même chemin que des cen­taines de mil­liers d’immigrés depuis 150 ans et ayant déjà don­né nais­sance à plus de vingt mil­lions de Français. Elles ont fait leurs his­toires. Notre his­toire ».

Le choix dans la date ?

Ce doc­u­men­taire, dernier de la série de qua­tre, se ter­mine en 2005, année des émeutes, acte de nais­sance donc d’une sorte de vraie France. Choix éton­nant, accen­tué par la sur-représen­ta­tion dans cet épisode d’immigrés venus d’Asie (Viet­namiens et Cam­bodgiens) et d’Africains, et la sous-représen­ta­tion d’immigrés d’Afrique du Nord et musul­mans (même si, malen­con­treuse­ment les images font par­fois men­tir le com­men­taire, ain­si quand on voit que ceux qui vont par­ler aux jeunes des ban­des eth­niques, dans la nuit de 2005, sont des hommes bar­bus vêtus de façon claire­ment islamiste). Une réal­ité que ne dit pas le doc­u­men­taire car c’est pré­cisé­ment la réal­ité que la série sem­ble ne pas vouloir voir ni mon­tr­er : la trans­for­ma­tion de la France par la migra­tion musul­mane et le cli­mat de vio­lence dans lequel le pays est plongé, cli­mat directe­ment lié à l’immigration. Choisir d’arrêter ces his­toires en 2005, suf­fit à faire de cette série une série de pro­pa­gande et non d’histoire. Que seraient ces his­toires d’une nation si le doc­u­men­taire s’arrêtait le 13 novem­bre 2015 ?

Un dernier épisode à l’image des trois premiers

L’épisode 4 ne dépareille pas du reste de la série. Il com­mence en 1976, par la descente des Champs Élysées effec­tuée par les « verts » de Saint-Eti­enne, bat­tus en finale de la coupe d’Europe des clubs cham­pi­ons de foot­ball et cepen­dant « des héros ». Bien sûr, déjà et encore, « les noms des joueurs racon­tent la France telle qu’elle s’est con­stru­ite », des joueurs « tous enfants d’immigrés », représen­tant « une France qui se recon­naît dans ses enfants ». L’épisode com­mence par mon­tr­er le bon­heur qui rég­nait alors, en par­ti­c­uli­er dans des cités que les images mon­trent sol­idaires, les hommes faisant tourn­er des mou­tons sur des broches impro­visées en bas des immeubles, les enfants de toutes les orig­ines jouant au foot­ball, sans racisme, dans des espaces où rég­nait la mix­ité sociale. Ain­si, « Le mod­èle d’une France mélangée s’installe ». C’était sans compter avec la crise économique des années 70, laque­lle rep­longerait la France dans des poli­tiques décidées par « un Valéry Gis­card d’Estaing se repli­ant vers de vieilles idées des années 30 ». Le téléspec­ta­teur est éton­né de décou­vrir le vis­age de ce prési­dent dans ce con­texte. Années 30 ? Pourquoi ? C’est la référence qui amal­game toute poli­tique à une poli­tique d’extrême droite, dans le lan­gage com­mun de la gauche cul­turelle. Il y a du chô­mage, le gou­verne­ment décide de lim­iter l’immigration, c’est un retour aux années de sin­istre mémoire… le change­ment vient des boat peo­ple, dont le drame vécu au Viet­nam et au Cam­bodge, pays pour­tant com­mu­nistes, oblige à « rou­vrir les fron­tières au nom des droits de l’Homme ». Cela entraîne l’arrivée de 130 000 asi­a­tiques, « une arrivée mas­sive à l’origine de mil­liers de Français », ceux-là même qui effacent (ou presque) les musul­mans de l’image de ce dernier épisode.

Giscard d’Estaing coupable

Cepen­dant, pour s’installer en France, il faut alors « tri­om­pher » des con­trôles douaniers. Le mot « tri­om­pher » est révéla­teur. Toute la poli­tique migra­toire du prési­dent Gis­card d’Estaing et de son min­istre Lionel Stoleru est analysée au prisme d’une poli­tique de « répres­sion », y com­pris la « prime au départ ». Et cette poli­tique serait à l’origine du retour des « idées racistes et xéno­phobes » ; c’est le moment choisi par le réal­isa­teur pour plac­er en plein écran une affiche du Front Nation­al et l’image d’un meet­ing. Ain­si, la présence d’une immi­gra­tion, dont le doc­u­men­taire répète à satiété qu’elle con­cerne au moins 25 % des actuels Français, ne serait pas la cause de la mon­tée en puis­sance du Front Nation­al. Ce serait plutôt la poli­tique de « rejet » des immi­grés menée par VGE et son ministre.

Heureusement, Mitterrand vint

Sous « la droite », « les héros des Trente Glo­rieuses sont rede­venus, comme dans les Années 30, des indésir­ables ». « La droite divise Français et étrangers, la gauche pro­pose un autre dis­cours que ce rejet des étrangers ». Enten­dons-nous bien, il s’agit d’un ver­ba­tim. Suit alors l’image dev­enue mythe de la gauche, celle de Mit­ter­rand se ren­dant au Pan­théon en un con­cert de ros­es. L’heure est « au vent de lib­erté », la vic­toire de la gauche est « la vic­toire des immi­grés ». Mais les choses se gâtent à compter du tour­nant de 1983, quand la gauche se met à men­er des « poli­tiques de droite », alors « un vent raciste souf­fle de nou­veau ». La xéno­pho­bie est de retour, tan­dis que « Les immi­grés et leurs enfants sont le sym­bole de la France métis­sée voulue par la gauche. Alors, ils sont la cible de tous ceux qui s’opposent au gou­verne­ment ». L’immigration n’est ain­si jamais un prob­lème, plutôt un bouc-émis­saire, dans l’optique de ces « his­toires d’une nation ». Face à la xéno­pho­bie, les enfants d’immigrés auraient changé l’histoire : c’est la « marche des beurs » de 1983, à la suite de laque­lle (et bien que le doc­u­men­taire omette la petite main jaune de Touche pas à mon pote, pour une rai­son qui échappe), une sorte de fra­ter­nité refait sur­face, à com­mencer entre enfants d’immigrés marcheurs, et « ces nou­velles voix, ces nou­veaux vis­ages, renou­vel­lent la cul­ture française ». Musique, ciné­ma, les immi­grés appor­tent leur « richesse » partout.

L’Islam montré du doigt

En même temps, du fait de la crise et de la rigueur, divers événe­ments auraient amal­gamé l’immigration et l’islam, ce que le doc­u­men­taire affirme en mon­trant force cou­ver­tures de mag­a­zines, du Figaro mag­a­zine au Nou­v­el Obser­va­teur : « L’islam est pointé du doigt et la gauche se ral­lie aux théories de la droite ». Ver­ba­tim « Ils sont d’accord sur une idée : il y a bien un prob­lème de l’immigration ». Suit la célèbre phrase de Rocard : « Nous ne pou­vons héberg­er toute la mis­ère du monde ». L’horizon du doc­u­men­taire s’éclaircit : les prob­lèmes que nous con­nais­sons main­tenant ne sont que les mêmes prob­lèmes ren­con­trés hier : la France, peu accueil­lante, aurait eu le tort de vouloir « inté­gr­er » les immi­grés. Ver­ba­tim, tou­jours. Cette ques­tion de « l’intégration » est jugée inad­mis­si­ble : elle con­sis­terait à devoir aban­don­ner son iden­tité, son orig­ine. Cette poli­tique serait à l’origine des « ghet­tos », des immi­grés « par­qués » entre eux, « séparés », à compter des années 90, et finale­ment à l’origine des… émeutes de 2005, après lente macéra­tion, mal­gré la vic­toire de 1998 et ce nou­v­el espoir déçu d’une France mul­ti­cul­turelle. Car la réal­ité serait moins rose. Un médecin issu de l’immigration témoigne ain­si de son entrée à la Fac­ulté de médecine : « J’ai réal­isé qu’il y avait plusieurs France que ces gens-là n’étaient pas comme moi (il par­le des femmes aux jupes plis­sées et au ronds rouges dans les cheveux), ils avaient leurs fêtes, leurs musiques à eux ». Il s’agit d’un enfant d’immigrés évo­quant des Français de souche, en France. Ver­ba­tim.

C’est donc après 2005, une fois la ques­tion de l’identité dev­enue cen­trale, non pas du fait de la présence trop forte d’immigrés en France mais des con­cep­tions poli­tiques de « l’extrême droite » et de « Nico­las Sarkozy », que les choses changent. Quand les enfants d’immigrés descen­dent dans la rue pour revendi­quer le droit à leur iden­tité. Leurs his­toires seraient celles de la nation, celle-là même qui se recon­stru­irait en per­ma­nence à l’infini comme l’identité de cha­cun de nous.

Histoires d’une nation, un outil de formatage des esprits

His­toires d’une nation ? Ce n’est pas de l’histoire, à peine un doc­u­men­taire, mais une arme de pro­pa­gande à des­ti­na­tion des lycéens, un out­il de for­matage des con­sciences et de lutte con­tre ces Français (devenus majori­taires) qui refusent juste­ment les dogmes de la société mul­ti­cul­turelle, dogmes devenus reli­gion dans cette série financée par l’État. Une série qui pré­tend que l’histoire de France com­mence en 1870 par l’immigration et que la France devient vrai­ment une nation quand les enfants des immi­grés font des émeutes pour « affirmer un droit à l’identité ». Un out­il médi­a­tique claire­ment au ser­vice de la con­cep­tion du monde actuelle­ment dom­i­nante et qui veut essaimer.

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