Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Grosse lesbienne = 60 jours de prison en Suisse

7 octobre 2023

Temps de lecture : 5 minutes
Accueil | Veille médias | Grosse lesbienne = 60 jours de prison en Suisse

Grosse lesbienne = 60 jours de prison en Suisse

7 octobre 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Vous allez lire un article gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien. Claude Chollet

C’est en Suisse, pays de la neutralité (un peu effacée) et supposé protecteur des libertés publiques et privées que cela se passe. Un personnage public est condamné à 60 jours de prison pour avoir traité dans une vidéo de « grosse lesbienne » une journaliste.

Le per­son­nage est Alain Soral dont on peut penser ce que l’on veut. Mais la sanc­tion est dis­pro­por­tion­née et inquié­tante. La jour­nal­iste incrim­inée se revendique comme « les­bi­enne mil­i­tante », nous ignorons son tour de taille mais « grosse les­bi­enne » ne nous paraît pas une insulte méri­tant la prison ferme.

Nous reprenons par­tielle­ment un arti­cle sur le sujet du jour­nal­iste suisse David L’Épée, lui-même vic­time des flics de la pen­sée de Libéra­tion. Les inter­titres sont de notre rédaction.

Les flics de la pensée ne désarment jamais

… « Le col­loque des 50 ans de la revue Élé­ments que je vous annonçais il y a quelques jours a été une réussite…Comme vous le saviez j’an­i­mais une table ronde inti­t­ulée De la pen­sée unique au wok­isme : faire face aux flics de la pen­sée, où j’ai don­né la parole à l’écrivain Jean-Paul Brighel­li et au député Roger Chudeau, qui a fondé récem­ment une Asso­ci­a­tion des par­lemen­taires con­tre le wok­isme afin d’op­pos­er au lob­by­ing des par­tis du sys­tème sur la ques­tion une résis­tance au sein même des assemblées…

De retour dans ma chère patrie je me dis que ces ten­dances inquisi­to­ri­ales sont tout de même moins mar­quées ici qu’en France et qu’à tout pren­dre on respire un peu mieux sous nos lat­i­tudes, où il demeure — mal­gré le wok­isme ambiant chez les élites — une cer­taine lib­erté d’ex­pres­sion. Erreur !

… Soral est sans doute la dernière per­son­ne dont j’ai envie de vous par­ler ici. Il ne vous aura en effet pas échap­pé qu’en dépit des amal­games grossière­ment entretenus par cer­tains de nos enne­mis com­muns, nous ne sommes pas exacte­ment en bons ter­mes (c’est peu de le dire) ni n’avons les mêmes idées et que ça fait une bonne dizaine d’an­nées que le peu de rap­ports que nous avons sont exécrables. Non sans rai­son d’ailleurs. Mais bon, qu’im­por­tent ce que peu­vent croire (ou feignent de croire) les inquisi­teurs, revenons au réel.

Le réel, quel est-il ? Qu’Alain Soral est con­damné en Suisse, où il réside actuelle­ment, à une peine de prison ferme suite à la plainte d’une jour­nal­iste de La Tri­bune de Genève qu’il a traitée dans une vidéo en ligne de « grosse les­bi­enne » dans le cadre d’une sorte de dis­pute entre eux deux. Alors bon c’est tout sauf élé­gant et on n’en sera pas éton­né out­re mesure con­nais­sant la finesse du per­son­nage mais enfin, jusqu’à peu la grossièreté n’avait pas un car­ac­tère délictueux et on a peine à voir dans ces deux petits mots où réside le crime qui pour­rait envoy­er son auteur en prison.

Une épithète peu amène, certes, mais pas infamante pour autant : en effet il est de notoriété publique que cette jour­nal­iste est effec­tive­ment les­bi­enne (elle n’en fait pas mys­tère) et il faut bien admet­tre qu’elle n’a pas tout à fait une taille de guêpe. C’est peut-être indéli­cat de le men­tion­ner mais ce n’est ni men­songer ni calom­nieux. Le réel, donc, c’est qu’on peut aujour­d’hui en Suisse croupir der­rière les bar­reaux pour une sim­ple insulte, et face à ce réel, il me sem­ble que mon antipathie ou mes désac­cords à l’é­gard de l’in­di­vidu Soral n’ont pas à inter­fér­er dans mon appré­ci­a­tion : il fait en l’é­tat les frais d’une loi lib­er­ti­cide qui ne devrait absol­u­ment pas avoir sa place dans une démoc­ra­tie digne de ce nom.

Cette loi, quelle est-elle ? Pro­posée au vote en févri­er 2020, cette exten­sion d’un arti­cle déjà exis­tant du Code pénal suisse (l’ar­ti­cle 261 bis ) punis­sant ini­tiale­ment les appels à la haine ou à la dis­crim­i­na­tion raciales pro­po­sait d’é­ten­dre cette dis­po­si­tion à l’en­con­tre de tout pro­pos por­tant atteinte à l’ori­en­ta­tion sex­uelle de quelqu’un. Un ter­rain juridique pour le moins glis­sant qui laisse la porte ouverte à tous les abus répres­sifs, comme on l’imag­ine et comme ce nou­veau cas nous le confirme…

C’est un peu comme ce qui se passe en France ces derniers jours avec la dis­so­lu­tion de l’or­gan­i­sa­tion catholique inté­griste Civ­i­tas. Per­son­ne n’a envie de pren­dre la défense de ces fous furieux et pour­tant il n’empêche que leur asso­ci­a­tion est dis­soute par le gou­verne­ment sans la moin­dre jus­ti­fi­ca­tion crédi­ble et sans qu’elle ait jamais représen­té le moin­dre dan­ger pour la sûreté de l’É­tat. Là encore la tech­nique de l’épou­van­tail : si vous vous opposez aux bouf­fées autori­taires de Dar­manin alors vous êtes un catho inté­griste ; si vous vous opposez à l’ar­ti­cle 261 bis du Code pénal suisse alors vous êtes « soralien »… Insupportable !

À ceux que ces épou­van­tails effraieraient je rap­pellerais cette réflex­ion de l’édi­teur Jean-Jacques Pau­vert qui, dans La Tra­ver­sée du livre (Viviane Hamy, 2004), écrivait ceci sur son oppo­si­tion de principe à la censure :

« Quoi qu’en dis­ent les avo­cats, le procès de La Pol­ka des braguettes n’est pas celui de Madame Bovary, mais juridique­ment, il ne peut être dif­férent . […] En retombant chaque fois dans l’ornière de la valeur lit­téraire, défenseurs et pro­cureurs ren­voient indéfin­i­ment le vrai procès, celui qu’il fau­dra bien plaider un jour, et dont le thème est très sim­ple : y a‑t-il, oui ou non, une jus­ti­fi­ca­tion quel­conque aux moin­dres des entrav­es à la lib­erté d’ex­pres­sion ? »

Pau­vert a rai­son. Si on les com­pare à cer­tains lanceurs d’alerte autrement plus sym­pa­thiques, on pour­rait dire que Soral ou Civ­i­tas sont La Pol­ka des braguettes de l’ag­i­ta­tion poli­tique, mais juridique­ment leurs droits sont et doivent être les mêmes. Il n’y a pas de bonne ou de mau­vaise cen­sure : la cen­sure doit être com­bat­tue partout où elle se présente et quels qu’en soient les victimes… »

Cet article GRATUIT vous a plu ?

Il a pourtant un coût : 50 € en moyenne. Il faut compter 100 € pour un portrait, 400 € pour une infographie, 600 € pour une vidéo. Nous dépendons de nos lecteurs, soutenez-nous !

Vidéos à la une