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Grosse lesbienne = 60 jours de prison en Suisse

7 octobre 2023

Temps de lecture : 5 minutes
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Grosse lesbienne = 60 jours de prison en Suisse

Temps de lecture : 5 minutes

C’est en Suisse, pays de la neutralité (un peu effacée) et supposé protecteur des libertés publiques et privées que cela se passe. Un personnage public est condamné à 60 jours de prison pour avoir traité dans une vidéo de « grosse lesbienne » une journaliste.

Le per­son­nage est Alain Soral dont on peut penser ce que l’on veut. Mais la sanc­tion est dis­pro­por­tion­née et inquié­tante. La jour­nal­iste incrim­inée se revendique comme « les­bi­enne mil­i­tante », nous ignorons son tour de taille mais « grosse les­bi­enne » ne nous paraît pas une insulte méri­tant la prison ferme.

Nous reprenons par­tielle­ment un arti­cle sur le sujet du jour­nal­iste suisse David L’Épée, lui-même vic­time des flics de la pen­sée de Libéra­tion. Les inter­titres sont de notre rédaction.

Les flics de la pensée ne désarment jamais

… « Le col­loque des 50 ans de la revue Élé­ments que je vous annonçais il y a quelques jours a été une réussite…Comme vous le saviez j’an­i­mais une table ronde inti­t­ulée De la pen­sée unique au wok­isme : faire face aux flics de la pen­sée, où j’ai don­né la parole à l’écrivain Jean-Paul Brighel­li et au député Roger Chudeau, qui a fondé récem­ment une Asso­ci­a­tion des par­lemen­taires con­tre le wok­isme afin d’op­pos­er au lob­by­ing des par­tis du sys­tème sur la ques­tion une résis­tance au sein même des assemblées…

De retour dans ma chère patrie je me dis que ces ten­dances inquisi­to­ri­ales sont tout de même moins mar­quées ici qu’en France et qu’à tout pren­dre on respire un peu mieux sous nos lat­i­tudes, où il demeure — mal­gré le wok­isme ambiant chez les élites — une cer­taine lib­erté d’ex­pres­sion. Erreur !

… Soral est sans doute la dernière per­son­ne dont j’ai envie de vous par­ler ici. Il ne vous aura en effet pas échap­pé qu’en dépit des amal­games grossière­ment entretenus par cer­tains de nos enne­mis com­muns, nous ne sommes pas exacte­ment en bons ter­mes (c’est peu de le dire) ni n’avons les mêmes idées et que ça fait une bonne dizaine d’an­nées que le peu de rap­ports que nous avons sont exécrables. Non sans rai­son d’ailleurs. Mais bon, qu’im­por­tent ce que peu­vent croire (ou feignent de croire) les inquisi­teurs, revenons au réel.

Le réel, quel est-il ? Qu’Alain Soral est con­damné en Suisse, où il réside actuelle­ment, à une peine de prison ferme suite à la plainte d’une jour­nal­iste de La Tri­bune de Genève qu’il a traitée dans une vidéo en ligne de « grosse les­bi­enne » dans le cadre d’une sorte de dis­pute entre eux deux. Alors bon c’est tout sauf élé­gant et on n’en sera pas éton­né out­re mesure con­nais­sant la finesse du per­son­nage mais enfin, jusqu’à peu la grossièreté n’avait pas un car­ac­tère délictueux et on a peine à voir dans ces deux petits mots où réside le crime qui pour­rait envoy­er son auteur en prison.

Une épithète peu amène, certes, mais pas infamante pour autant : en effet il est de notoriété publique que cette jour­nal­iste est effec­tive­ment les­bi­enne (elle n’en fait pas mys­tère) et il faut bien admet­tre qu’elle n’a pas tout à fait une taille de guêpe. C’est peut-être indéli­cat de le men­tion­ner mais ce n’est ni men­songer ni calom­nieux. Le réel, donc, c’est qu’on peut aujour­d’hui en Suisse croupir der­rière les bar­reaux pour une sim­ple insulte, et face à ce réel, il me sem­ble que mon antipathie ou mes désac­cords à l’é­gard de l’in­di­vidu Soral n’ont pas à inter­fér­er dans mon appré­ci­a­tion : il fait en l’é­tat les frais d’une loi lib­er­ti­cide qui ne devrait absol­u­ment pas avoir sa place dans une démoc­ra­tie digne de ce nom.

Cette loi, quelle est-elle ? Pro­posée au vote en févri­er 2020, cette exten­sion d’un arti­cle déjà exis­tant du Code pénal suisse (l’ar­ti­cle 261 bis ) punis­sant ini­tiale­ment les appels à la haine ou à la dis­crim­i­na­tion raciales pro­po­sait d’é­ten­dre cette dis­po­si­tion à l’en­con­tre de tout pro­pos por­tant atteinte à l’ori­en­ta­tion sex­uelle de quelqu’un. Un ter­rain juridique pour le moins glis­sant qui laisse la porte ouverte à tous les abus répres­sifs, comme on l’imag­ine et comme ce nou­veau cas nous le confirme…

C’est un peu comme ce qui se passe en France ces derniers jours avec la dis­so­lu­tion de l’or­gan­i­sa­tion catholique inté­griste Civ­i­tas. Per­son­ne n’a envie de pren­dre la défense de ces fous furieux et pour­tant il n’empêche que leur asso­ci­a­tion est dis­soute par le gou­verne­ment sans la moin­dre jus­ti­fi­ca­tion crédi­ble et sans qu’elle ait jamais représen­té le moin­dre dan­ger pour la sûreté de l’É­tat. Là encore la tech­nique de l’épou­van­tail : si vous vous opposez aux bouf­fées autori­taires de Dar­manin alors vous êtes un catho inté­griste ; si vous vous opposez à l’ar­ti­cle 261 bis du Code pénal suisse alors vous êtes « soralien »… Insupportable !

À ceux que ces épou­van­tails effraieraient je rap­pellerais cette réflex­ion de l’édi­teur Jean-Jacques Pau­vert qui, dans La Tra­ver­sée du livre (Viviane Hamy, 2004), écrivait ceci sur son oppo­si­tion de principe à la censure :

« Quoi qu’en dis­ent les avo­cats, le procès de La Pol­ka des braguettes n’est pas celui de Madame Bovary, mais juridique­ment, il ne peut être dif­férent . […] En retombant chaque fois dans l’ornière de la valeur lit­téraire, défenseurs et pro­cureurs ren­voient indéfin­i­ment le vrai procès, celui qu’il fau­dra bien plaider un jour, et dont le thème est très sim­ple : y a‑t-il, oui ou non, une jus­ti­fi­ca­tion quel­conque aux moin­dres des entrav­es à la lib­erté d’ex­pres­sion ? »

Pau­vert a rai­son. Si on les com­pare à cer­tains lanceurs d’alerte autrement plus sym­pa­thiques, on pour­rait dire que Soral ou Civ­i­tas sont La Pol­ka des braguettes de l’ag­i­ta­tion poli­tique, mais juridique­ment leurs droits sont et doivent être les mêmes. Il n’y a pas de bonne ou de mau­vaise cen­sure : la cen­sure doit être com­bat­tue partout où elle se présente et quels qu’en soient les victimes… »

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