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Pas assez d’immigration en Grèce

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4 mars 2020

Temps de lecture : 8 minutes
Accueil | Veille médias | Pas assez d’immigration en Grèce

Pas assez d’immigration en Grèce

Temps de lecture : 8 minutes

Depuis plusieurs années, la Grèce voit arriver par la terre et surtout par la mer des milliers de clandestins venus de Turquie. La Grèce est en première ligne de l’immigration clandestine qui s’intensifie depuis l’année dernière. Alors que la population des iles de la mer Égée est vent debout contre cette invasion qui ne dit pas son nom, les médias de grand chemin sont plus que modérés à couvrir la révolte populaire. Pire, ils semblent préparer le terrain pour une nouvelle vague migratoire massive en Europe.

Les faits

La Grèce a con­nu un pic dans les arrivées illé­gales en 2015 : cette année-là, près de 856 000 migrants ont tra­ver­sé la pays, encour­agés en cela par la chancelière alle­mande, Angela Merkel. Si le nom­bre d’arrivées clan­des­tines a ensuite bais­sé, il recom­mence à aug­menter forte­ment depuis 2017. Sur l’année 2019, près de 74 000 clan­des­tins sont arrivés dans le pays. Et la ten­dance ne fait que se con­firmer depuis le début de l’année 2020, comme le relate le Haut-Com­mis­sari­at aux Réfugiés de l’ONU sur son site internet.

La situation dans les iles de la mer Egée

Le nom­bre d’immigrés clan­des­tins présents de façon per­ma­nente dans le pays atteignait selon le min­istre de l’intérieur grec cité par le site d’information Ekatherimini.com 90 000 à la fin de l’année 2019, alors qu’il était de 70 000 fin 2018.

Sur les iles de la mer Egée, un récent rap­port du Con­seil de l’Europe évoque des émeutes fréquentes dans les cen­tres d’accueil et d’identification et des ten­sions entre deman­deurs d’asile et police. Libéra­tion le relate, les occu­pa­tions illé­gales de loge­ments se mul­ti­plient, comme à Athènes avec l’aide d’associations pro-migrants. Selon un rap­port de l’institut RIEAS, les étrangers sont sur-représen­tés dans les chiffres de la délin­quance : ils représen­taient en 2016 36% des per­son­nes arrêtées pour homi­cides, 47% de celles arrêtés pour viol et 32% de celles arrêtées pour vol. Si l’on ajoute à cela un nom­bre de plus en plus impor­tant de clan­des­tins arrivant sur les iles de la mer Egée, la sit­u­a­tion devient explosive.

Le rôle des ONG

Cer­taines Organ­i­sa­tions Non Gou­verne­men­tales « human­i­taires » sont accusées de favoris­er l’immigration clan­des­tine, des cri­tiques fort peu médi­atisées en Europe de l’ouest. L’affaire n’est pas nou­velle : France Terre d’asile rap­pelle que le gou­verne­ment de gauche d’A. Tsípras avait voulu que chaque ONG soit réper­toriée suite à l’implication de cer­taines d’entre elles dans des scan­dales financiers et des opéra­tions de traite d’êtres humains. L’information est cette année très dis­crète : Deutsche Welle nous informe le 10 févri­er que le gou­verne­ment grec con­ser­va­teur accuse des ONG d’aider les passeurs et d’inciter les migrants à se révolter.

Les manifestations des grecs vues par les médias de grand chemin

Une grève générale et plusieurs man­i­fes­ta­tions ont été organ­isées pour pro­test­er non seule­ment con­tre le nom­bre crois­sant de migrants mais aus­si con­tre la con­struc­tion de nou­veaux camps de migrants ( de plus de cinq mille per­son­nes cha­cun ) sur les 5 iles de la mer Egée.

La cou­ver­ture de ces événe­ments par les médias de grand chemin oscille entre neu­tral­ité, dés­ap­pro­ba­tion et empathie pour les grecs.

Pour le Point le 22 jan­vi­er, « les iles égéennes se mobilisent con­tre les camps de migrants ».

Le Figaro développe à par­tir d’une dépêche de l’AFP l’aspiration des man­i­fes­tants : « Nous voulons récupér­er nos iles, nous voulons récupér­er nos vies », peut-on lire sur les dra­peaux des manifestants.

Le cor­re­spon­dant à Athènes du jour­nal La Croix ne cache pas non plus l’exaspération de la population.

Dans un reg­istre pro-migrants, RFI est plus que mod­érée dans sa cou­ver­ture des man­i­fes­ta­tions : la radio publique évoque un prob­lème « d’information » de la pop­u­la­tion sur les trans­ferts de migrants sur le con­ti­nent. C’est la man­i­fes­ta­tion à Athènes le 21 févri­er que cou­vre RFI, bien moins impor­tante que celles organ­isées dans les iles grec­ques con­tre l’ouverture de nou­veaux cen­tres de migrants. Par con­tre, la man­i­fes­ta­tion des migrants le 3 févri­er con­tre un dur­cisse­ment du droit d’asile retient toute l’attention de la radio de ser­vice public.

Pour com­menter la révolte des grecs con­tre l’immigration mas­sive, France inter fait appel à Cather­ine With­ol de Wen­den, présen­tée seule­ment comme « spé­cial­iste des migra­tions ». Cette dernière est non une « spé­cial­iste », elle a égale­ment des con­vic­tions plus que favor­ables à l’immigration mas­sive, qu’elle a pu exprimer lors d’un récent débat organ­isé sur RT France.

A l’opposé, Valeurs actuelles relate les pro­pos d’un juriste grec : « nous con­nais­sons très bien leur plan, ils veu­lent islamiser l’ensemble du monde occi­den­tal ». Le jour­nal évoque de nom­breuses man­i­fes­ta­tions organ­isées dans le pays et la ten­sion qui est mon­tée d’un cran après l’annonce de la réqui­si­tion de ter­rains pour la con­struc­tion de cen­tres fer­més de migrants.

Devant l’obstination du gouvernement, la protestation tourne à l’émeute

Le site d’information Bre­it­bart évoque le 24 févri­er une sit­u­a­tion qua­si insur­rec­tion­nelle dans les iles grec­ques : des bar­rages très soutenus par la pop­u­la­tion locale ont été érigés afin d’empêcher la con­struc­tion de nou­veaux cen­tres de migrants. La crainte des habi­tants que ces con­struc­tions provo­quent un nou­v­el appel d’air est évo­qué sans détour.

Le quo­ti­di­en bri­tan­nique The Guardian fait état le 25 févri­er d’affrontements entre man­i­fes­tants et policiers et rap­pelle que près de 43 000 migrants sont présents sur les 5 îles de la mer Égée. Le Dai­ly mail évoque le 26 févri­er une deux­ième journée d’émeutes sur l’ile de Les­bos, au cours de laque­lle près de 1 000 man­i­fes­tants se sont affron­tés aux forces de l’ordre.

Les perspectives

LCI l’annonçait fin novem­bre 2019 : le prési­dent turc a prévenu qu’il allait ouvrir ses fron­tières si l’Europe cri­ti­quait son inter­ven­tion mil­i­taire en Irak et en Syrie. La chaine d’information rap­pelle que près de 4 mil­lions de migrants, essen­tielle­ment afghans et syriens, sont présents en Turquie.

Face à une men­ace qui sem­ble être mise à exé­cu­tion, LCI donne unique­ment la parole à… un représen­tant du Haut-Com­mis­sari­at aux Réfugiés : « L’Europe doit faire plus », sous-enten­du : les pays européens doivent se répar­tir le nom­bre crois­sant de migrants arrivant en Grèce, et acces­soire­ment dévelop­per l’appel d’air qui s’en suivra.

Le Figaro relaie le 12 novem­bre les pro­pos du min­istre de l’intérieur français, qui se prononce pour un sys­tème per­ma­nent de relo­cal­i­sa­tion des migrants. « Le droit d’asile doit être ren­for­cé » affirme-t-il selon le quo­ti­di­en. On ne trou­ve par con­tre pas un jour­nal­iste pour se deman­der si c’est effec­tive­ment l’urgence du moment

Pour Médi­a­part le 20 févri­er, pas de doutes, c’est le fait que les clan­des­tins soient empêchés de rejoin­dre d’autres pays européens qui est la source de tous les problèmes.

Le Monde donne la parole au politi­cien suisse de gauche Jean Ziegler qui par­le de la sit­u­a­tion à Les­bos comme de la « honte de l’Europe ».

France cul­ture sem­ble atten­dre avec impa­tience le pro­gramme européen de relo­cal­i­sa­tion des migrants qui devrait être annon­cé prochaine­ment, et que le gou­verne­ment français, comme à l’accoutumée, a devancé. C’est à Jean Ziegler que la radio publique donne la parole le 8 févri­er : « l’Union européenne doit partager au plus vite le fardeau migra­toire ». Pour min­imiser l’ampleur des flux migra­toires, c’est une nou­velle fois une com­para­i­son entre le nom­bre actuel et le nom­bre des arrivées illé­gales en 2015 qui est mise en avant par la radio publique. France cul­ture se garde bien d’évoquer que les flux légaux d’arrivées d’extra-européens sont à des niveaux supérieurs à ceux d’avant 2015, comme l’indique Eurostat.

Comme pour parachev­er le con­di­tion­nement des esprits, L’Obs reprend au bond l’avertissement du pre­mier min­istre grec : « l’Europe doit s’attendre à une nou­velle vague migra­toire ».

Conditionnement des esprits

La cou­ver­ture par les médias de grand chemin des prob­lèmes migra­toires ren­con­trés par la Grèce aura per­mis de met­tre en lumière une vaste entre­prise de con­di­tion­nement des esprits. Ce con­di­tion­nement passe par une présen­ta­tion biaisée des faits et des con­séquences à en tir­er par les pays européens :

-La sur­pop­u­la­tion des migrants dans les iles grec­ques est mise en avant, bien avant l’enjeu civil­i­sa­tion­nel et cul­turel que con­stitue l’arrivée mas­sive de pop­u­la­tions extra-européennes.

-Les gou­verne­ments européens sont pointés du doigt par des « spé­cial­istes » tous pro-immi­gra­tion pour ne pas accélér­er la répar­ti­tion des migrants dans les dif­férents pays qui acceptent la « relo­cal­i­sa­tion ».

-L’asile exclu­sive­ment en Europe est présen­té comme la solu­tion aux inces­sants con­flits au proche et moyen Orient.

There is no Alternative”

Aucune autre alter­na­tive, comme une défense ferme des fron­tières et des ren­forts aux douaniers grecs face aux pra­tiques du Prési­dent Erdo­gan qui empoche l’argent et laisse fil­er les migrants, n’est présen­tée au débat. Les médias de grand chemin sem­blent n’avoir aucune objec­tion à la posi­tion « Hormis l’accueil par les pays européens, point de salut ».

Comme en 2015, les médias de grand chemin sem­blent à l’unisson avec les autorités européennes pour faire accepter des mou­ve­ments con­sid­érables de peu­ples à la cul­ture rad­i­cale­ment dif­férente de celle des européens.

Les pro­pos de Pierre Broc­hand, l’ancien Directeur de la DGSE dans les colonnes du Figaro per­me­t­tent une mise en per­spec­tive des écueils de cette présen­ta­tion des événe­ments par les médias :

« C’est au nom de cette vision tron­quée que les immi­grants sont accueil­lis, tels des êtres soli­taires, dotés des mêmes droits sou­verains que les autochtones et assim­ilés. Ce qui n’empêche pas les intéressés, à peine instal­lés, de recon­stituer les «com­mu­nautés hétéronomes», voire les «nations prob­lé­ma­tiques», qui étaient les leurs aupar­a­vant et que le pas­sage d’une fron­tière fac­tice n’a pas suf­fi à leur faire oubli­er. Comme toutes les idéolo­gies nar­guées par le réel, notre doxa cherche à l’occulter ».

On pour­rait ajouter que les médias de grand chemin pren­nent toute leur part dans cette occul­ta­tion. Si l’on peut dire qu’ils ont écouté l’aspiration des grecs à ne pas être étrangers dans leur pays, on peut dif­fi­cile­ment dire qu’ils les ont entendus.