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France Inter : l’ultra droite au menu de novembre

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29 novembre 2018

Temps de lecture : 8 minutes
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France Inter : l’ultra droite au menu de novembre

Temps de lecture : 8 minutes

Alors que sa popularité était au plus bas et qu’il se trouvait confronté au mécontentement des Français en gilet jaune, le président Macron aurait été l’objet d’une tentative avortée d’attentat venu de l’ultra droite. Le concept n’étant pas clair, une émission de France Inter l’étudiait le 12 novembre 2018.

L’émission inti­t­ulé Le Nou­veau ren­dez-vous, ani­mée et pro­duite par Lau­rent Goumarre, est dif­fusée le lun­di soir et pré­tend se porter « sur tous les fronts » de l’actualité cul­turelle, poli­tique et sociale en deux heures. Out­re Lau­rent Goumarre, dont cer­taines ami­tiés sont de notoriété publique, ain­si avec Chris­tine Angot, l’équipe accueille Christophe Bour­seiller comme éditorialiste.

Détails du menu, selon France Inter

Sur le site de la radio, l’émission « Ultra droite : épou­van­tail ou vrai dan­ger ? », s’annonce ainsi :

Six per­son­nes ont été inter­pel­lées mar­di dernier pour un pro­jet d’attentat con­tre Emmanuel Macron, 4 d’en­tre eux étaient sym­pa­thisants d’un groupe d’ul­tra droite. Il y a une branche poli­tique encore plus à droite que l’ex­trême-droite : l’ul­tra droite, dont on n’en­tend rarement par­ler mais qui existe bel et bien. Qua­tre sym­pa­thisants d’un groupe proche de l’ul­tra-droite, qui avaient évo­qué ce pro­jet d’attaque con­tre le prési­dent de la République lors des com­mé­mora­tions du 11 Novem­bre ont été mis en exa­m­en, dès same­di. Arrêtés mar­di dernier, ces mil­i­tants âgés de 22 à 62 ans ont été mis en exa­m­en pour « asso­ci­a­tion de mal­fai­teurs ter­ror­iste crim­inelle » et “déten­tion d’armes non autorisée en rela­tion avec une entre­prise terroriste”.

Qui sont ces mil­i­tants de l’ultra-droite ? Au-delà de leur cas per­son­nel, que représen­tent en France ces mou­ve­ments extrémistes ultra ? Et dans le reste du monde, après les attaques de Pitts­burgh et les man­i­fes­ta­tions en Alle­magne, que représente cette « inter­na­tionale de l’ultra-droite » anti-sys­tème, anti-migrant et anti­sémite assumé ? Représente-t-elle un réel dan­ger pour la démoc­ra­tie et com­ment lut­ter con­tre elle ?

Pour nous répon­dre ce soir :
- Jean-Yves Camus,poli­to­logue, chercheur asso­cié à l’Institut de Rela­tions Inter­na­tionales et Stratégiques (Iris) et directeur de l’Observatoire des Rad­i­cal­ités à la fon­da­tion Jean Jaurès.
- Alya Aglan, his­to­ri­enne, pro­fesseur à Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
- Alexan­dre Devec­chio, jour­nal­iste poli­tique au Figarovox.
- Et Guil­laume Big­ot,essay­iste, mem­bre du Comité les Orwelliens et directeur général de l’IPAG Busi­ness School.

Le spectre de l’ultra droite plane-t-il sur la France et sur le président ?

Une affaire dite d’ultra droite avait déjà été mise en avant de la scène médi­a­tique en jan­vi­er 2017, en Bour­gogne, et il s’était avéré que c’était fort peu struc­turé, et dif­fi­cile­ment définiss­able par le mot « droite » ou même « ultra », par con­tre très aisé à utilis­er à l’approche des élec­tions prési­den­tielles. Comme en général à l’approche de toute élec­tion. En ce mois de novem­bre 2018, de quoi s’agit-il, si l’on écoute France Inter ?

Présen­ta­tion de Lau­rent Goumarre : « mil­i­tants âgés entre 22 et 62 ans », arrêtés pour men­aces en rela­tions avec le ter­ror­isme. Que représente cette ultra droite et surtout « com­ment lut­ter con­tre elle », Goumarre en donne immé­di­ate­ment une déf­i­ni­tion : « anti­sys­tème, anti-migrants et anti­sémite assumé ». Déf­i­ni­tion qui pose immé­di­ate­ment trois prob­lèmes d’orientation politique :
→ en quoi le fait d’être anti-sys­tème et anti-migrants implique-t-il d’être class­able à « l’ultra droite » ? Et que sig­ni­fie « anti-migrants » ?
→ à quoi peut bien servir la présence du mot « anti­sémitisme », sinon à faire ce que les amis de Goumarre dénon­cent pour­tant sans cesse : un amalgame ?
→ l’expression « inter­na­tionale de l’ultra droite » est pronon­cée aus­si par Goumarre. Pourquoi ? Le groupe de per­son­nes arrêtées par­ticipe-t-il réelle­ment d’une organ­i­sa­tion agis­sant à l’échelle inter­na­tionale voire mondiale ?

La parole est en pre­mier lieu à Christophe Bour­seiller, pour sa chronique : « L’ultra droite n’existe pas ». Il dis­tingue d’un côté les grands par­tis pop­ulistes qui arrivent au pou­voir, met­tent en place des démoc­ra­ties autori­taires, dit-il, mais respectent les élec­tions et, d’un autre côté, les petits groupes fas­cistes « qui rêvent d’un coup de force ou de révo­lu­tions nation­al­istes pour instau­r­er leur ordre nou­veau ». Ultra droite ? « Nous par­lons ici en fait de noy­aux activistes égail­lés dans la nature. L’ultra droite est à l’extrême droite ce que les autonomes sont à l’extrême gauche, des élé­ments incon­trôlés, adeptes du pas­sage à l’acte ». Ils n’auraient pas de doc­trine, un cor­pus de pen­sée très faible et sim­pliste type “il y a trop de migrants” et « Macron met en place le rem­place­ment des Français par des étrangers ». Elle serait « large­ment com­posée de déçus du RN et du fron­tisme, jugeant que Marine Le Pen ne va pas assez loin ».

Le vrai danger, l’Islam radical

Pour Guil­laume Big­ot, l’ultra droite ne représente qua­si­ment rien, ni poli­tique­ment ni en tant que men­ace. Pour Jean-Yves Camus, elle existe mais nous ne savons pas ce qu’elle représente. Les deux pensent que le dan­ger est infin­i­ment plus grand du côté de l’islam rad­i­cal. Ce serait du ter­ror­isme « low cost ». Bour­seiller insiste : ils voulaient poignarder « à la façon des dji­hadistes ». Lau­rent Goumarre voudrait tout de même que la men­ace existe (cette par­tie de l’émission dure 45 min­utes), il se tourne alors, plein d’espoir, vers Alya Aglan laque­lle juge cepen­dant que les mil­i­tants de l’ultra droite n’ont rien inven­té en envis­ageant de jouer du couteau : « c’est ce que font les com­mu­nistes au métro Bar­bès en août 1941 ». C’est osé. Elle les trou­ve cepen­dant dan­gereux car les struc­tures sont « clan­des­tines ». Ils seraient dans une « cul­ture de guerre civile ». Camus n’est pas d’accord : « C’est peu clan­des­tin. C’est du ter­ror­isme de pieds nick­elés ». Pourquoi ? Ils sont présents sur Face­book et pub­lient même leurs coor­don­nées per­son­nelles. Pour lui, ces dérives « ter­ror­istes du pau­vre » sont le fait de rares déçus des grou­pus­cules. Pour Devec­chio, il y a l’extrême gauche, les blacks blocs, « soutenus par des soci­o­logues médi­a­tiques qui vien­nent sur les plateaux télé expli­quer qu’il faut tuer du flic », l’islam rad­i­cal, « qui tue », qui « veut ramen­er les femmes au moyen âge », mais l’ultra droite ? « Quelques pieds nick­elés » et « un fan­tasme d’une par­tie de la gauche ». Il pour­suit : « j’attends main­tenant le moment où Macron va nous expli­quer que les gilets jaunes sont en fait des chemis­es brunes, et la boucle sera bouclée ». Qui est visé ? Pour Camus, c’est « l’illégitimité du pou­voir, quel que soit le pou­voir ». Ici, « l’élu du suf­frage uni­versel est au fond une mar­i­on­nette de pou­voirs plus puis­sants », le « com­plo­tisme » entre là en ligne de compte. Il y aurait « de véri­ta­bles déten­teurs du pou­voir », cachés, aux yeux de ces petits groupes isolés.

Ne pas tout mélanger

Suiv­ent des extraits de médias au sujet des meurtres anti­sémites à Pitts­burgh ain­si que des man­i­fes­ta­tions de Chem­nitz. La ques­tion est celle de « l’internationale de l’ultra droite » et de la frac­ture sup­posée tou­jours présente en France de la Guerre d’Algérie. Aglan insiste sur la jeunesse, quelque chose de « roman­tique », « plus ultra », « plus nation­al­iste ». Camus indique qu’il s’agit de « refaire la guerre d’Algérie à l’envers, de lut­ter con­tre une coloni­sa­tion à l’envers ». Big­ot con­sid­ère, quant à lui, que c’est avant tout une « expres­sion très rad­i­cale qui monte ». À l’échelle inter­na­tionale ? Il y aurait une adhé­sion encore forte « au nazisme » en Europe du Nord et en Afrique du Sud. Aux États-Unis, il y a une « tolérance pour toutes les opin­ions extrêmes, c’est une par­tic­u­lar­ité de l’Amérique du Nord ». Camus inter­vient pour deman­der que tout ne soit pas mélangé et que « l’on soit pré­cis au sujet du tueur de Pitts­burgh qui incar­ne les églis­es iden­ti­taires ». Cer­cle d’idées supré­macistes évangéliques blancs améri­cains, très peu impor­tant en nom­bre, qui pense que Ève aurait eu des enfants de la « semence de Satan », les Juifs, qui « seraient une sorte d’anti-humanité ». Très mar­gin­al, et sou­vent sec­taire, rejeté par les Églis­es offi­cielles. Du coup, le rap­port avec l’ultra droite ?… Devec­chio explique qu’il est gêné « qu’on fasse le lien entre ces indi­vidus isolés et les par­tis pop­ulistes ». Il est coupé par Bour­seiller : « Pour­tant ce sont les mêmes idées ». Déné­ga­tion de Devec­chio et Camus, lesquels expliquent que les par­tis pop­ulistes sont démoc­rates et ne « prô­nent pas l’action vio­lente ».

Révolte des élites contre le peuple

Camus explique qu’ultra sig­ni­fie « ce qui est au-delà », et l’ultra droite est au-delà des par­tis pop­ulistes ou des grou­pus­cules, ce sont « ceux qui ont dépassé ce qui existe, ceux qui sont à un point de non-retour ». Camus : « Ils sont au-delà de l’extrême droite » dont « les prin­ci­paux grou­pus­cules n’ont rien à voir avec cela ». Goumarre évoque alors des 80 ans de la Nuit de Cristal. Camus esquive à juste titre et préfère par­ler des Alle­mands con­sid­érant que l’État alle­mand serait « une impos­ture depuis 1945 ». Big­ot explique que « l’ensemble de l’échiquier se déplace ». Il y aurait « une révolte des élites con­tre le peu­ple », une trentaine d’années où les élites se sont délestées du peu­ple, provo­quant une colère rad­i­cale car il n’y a pas d’offre poli­tique réu­nis­sant cette colère. Aglan s’inquiète de l’existence d’une « armée secrète de réserve », dans un réflexe d’autodéfense qui débor­de l’autorité. Ils « pren­nent l’affaire en mains ».

Quelle con­clu­sion peut on tir­er de l’émisssion ? Les ani­ma­teurs de la soirée, Lau­rent Goumarre au pre­mier chef, cherchent à pos­er, met­tre en valeur, voire inven­ter un dan­ger grave selon eux, tan­dis que leurs invités… nient majori­taire­ment et fer­me­ment l’existence de ce dan­ger. Une sorte d’équilibre insta­ble qui révèle surtout les incli­na­tions du présen­ta­teur de la soirée.

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