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Élections espagnoles dans les Informés de France Info : au secours, Franco revient !

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3 mai 2019

Temps de lecture : 9 minutes
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Élections espagnoles dans les Informés de France Info : au secours, Franco revient !

Temps de lecture : 9 minutes

« Les Informés » de France Info se présentent comme une émission de débat et de réflexion. Du lundi au vendredi, cette émission est menée par Jean-François Achilli. Le dimanche 28 avril, Achilli est remplacé par Noé da Silva avec une discussion obligée sur les élections espagnoles, alors que les bureaux de vote viennent de clore leurs portes de l’autre côté des Pyrénées. Les invités sont Bruno Dive, journaliste politique, éditorialiste à Sud-Ouest, Serge Cimino, journaliste au service politique de France 3, Denis Sieffert, directeur de la rédaction de Politis, et Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef à La Croix. Comme généralement aux « Informés » de France Info, ces invités ne se distinguent pas par un pluralisme excessif de leurs opinions.

Inquiétudes et alliances redoutables

Le ton est don­né d’emblée par le jour­nal­iste-ani­ma­teur de France Info à l’heure où sont pub­liés les sondages (qui ne sont pas des sondages de sor­tie des urnes mais les derniers sondages de la veille, et lais­sent donc encore beau­coup de place à l’incertitude) : « L’extrême droite pour­rait faire son entrée au Par­lement. Une pre­mière depuis plus de 40 ans. »

Qui est cette extrême droite ? C’est le par­ti Vox, bien sûr, dont on saura dans la nuit qu’il a fait élire 24 députés avec un peu plus de 10 % des voix con­tre 0,02 % en 2016. Bruno Dive pré­cis­era néan­moins à un moment que Vox est « une extrême droite un peu par­ti­c­ulière puisque c’est une scis­sion du Par­ti pop­u­laire. Ce n’est pas notre Rassem­ble­ment nation­al, notre Front nation­al à nous. »

Comme on ne con­naît pas encore les résul­tats défini­tifs, Denis Sief­fert s’inquiète mal­gré tout : « Le Par­ti social­iste arrive en tête mais il n’aura sans doute pas la pos­si­bil­ité de gou­vern­er seul, même avec ses alliés, je dirais presque naturels, Podemos notam­ment, mais la ques­tion est de savoir aus­si si Vox va pou­voir servir de force d’appoint – et c’est ça qui est très red­outable dans cette affaire – à une droite et à un cen­tre qui ont fait déjà alliance avec cette extrême droite en Andalousie. Et il y a donc là une sorte de porosité des idées de l’extrême droite qui peut aboutir à une alliance tout à fait red­outable en Espagne, même si le Par­ti social­iste arrive en tête. »

Ce par­ti Vox issu d’une scis­sion en 2013 de l’aile droite, con­ser­va­trice, du PP, alors que le pre­mier min­istre de l’époque, Mar­i­ano Rajoy, avait fait pren­dre à son par­ti un tour­nant libéral-lib­er­taire et préser­vait cer­taines réformes du gou­verne­ment social­iste de Zap­a­tero (légal­i­sa­tion de l’avortement, loi mémorielle…) sur lesquelles il avait promis de revenir, est donc « très red­outable », tan­dis que Podemos, par­ti d’extrême gauche allié aux com­mu­nistes d’Izquierda Uni­da dans la coali­tion élec­torale Unidas Podemos, n’est qu’un « allié naturel » du Par­ti social­iste espag­nol. À aucun moment au cours de l’émission les invités ne s’inquiéteront de la par­tic­i­pa­tion pos­si­ble d’Unidas Podemos au prochain gou­verne­ment de Pedro Sánchez. Ce par­ti n’est d’ailleurs jamais affublé du qual­i­fi­catif « extrême », au con­traire de Vox.

« Isabelle de Gaul­myn, qu’est-ce qui vous inquiète, vous ? », enchaîne le jour­nal­iste de la radio publique. Réponse de la rédac­trice en chef de La Croix : « Ce qui m’inquiète, c’est qu’on a retrou­vé avec ces élec­tions des prob­lé­ma­tiques qu’on a dans d’autres pays d’Europe. » Serge Cimi­no inter­vient : « (…) L’Espagne, c’est pas le Rassem­ble­ment nation­al en France. L’histoire de l’Espagne fait qu’ils ont con­nu ce qui pour­rait s’apparenter à ces ultra­na­tion­al­istes de Vox. ». On l’aura com­pris, le jour­nal­iste bran­dit le spec­tre d’un retour de la dic­tature fran­quiste avec Vox.

Pour l’animateur de l’émission, ce qui motive le vote pour Vox, ce ne sont d’ailleurs pas les opin­ions de droite, con­ser­va­tri­ces, mais la peur. « Il y a une peur des électeurs, il y a une peur de per­dre la Cat­a­logne, une peur pour l’avenir du pays, on n’a plus con­fi­ance, on a peur… Le mot ‘peur’ revient beau­coup. Les pop­ulistes y répon­dent », affirme Noé da Silva.
Bruno Dive fait remar­quer qu’outre la peur, il y a l’exaspération, notam­ment face aux « excès des indépen­dan­tistes cata­lans », une « sorte d’exaspération devant ces Cata­lans (…) qui voulaient met­tre fin à l’unité espagnole ».

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« Ils ne veu­lent pas de l’indépendance de la Cat­a­logne, mais ils veu­lent quit­ter l’Union européenne. », s’offusque à tort da Sil­va. Il n’y aura per­son­ne pour le con­tredire, même si c’est faux : le par­ti espag­nol Vox n’a pas la sor­tie de l’UE dans son pro­gramme. Il veut certes sus­pendre l’espace Schen­gen tant qu’il n’y aura pas de garanties sup­plé­men­taires pour assur­er qu’il ne per­met pas aux séparatistes cata­lans d’échapper à la jus­tice espag­nole ni aux mafias de l’immigration illé­gale d’agir si facile­ment. Il souhaite aus­si un nou­veau traité européen pour revenir à la sit­u­a­tion du traité de Nice et il sou­tient la vision de l’UE partagée par les pays du Groupe de Viseg­rád. Cepen­dant, vouloir réformer l’Union européenne, même si ce n’est pas dans le sens souhaité par l’animateur et les par­tic­i­pants de l’émission « Les Infor­més » de France Info, ce n’est pas la même chose que de vouloir quit­ter l’Union européenne.

Bruno Dive, du jour­nal Sud-Ouest, qui sem­ble un peu moins mal infor­mé que les autres « Infor­més », est d’ailleurs décon­te­nancé. À l’affirmation du jour­nal­iste de France Info (« ils veu­lent quit­ter l’Union européenne »), il répond : « Qui ça ? ». Noé da Sil­va : « Vox ». Bruno Dive : « Ah, Vox, oui. Mais après, il y a d’autres sujets. Mais je pense que Vox a prospéré en grande par­tie sur le rejet de l’indépendantisme cata­lan. ». La rédac­trice en chef de La Croix, en revanche, relaie l’infox de France Info : « D’ailleurs c’est drôle, parce que les Cata­lans, eux, au con­traire, se dis­ent Européens. Il y a une forme d’inversion un peu des choses et effec­tive­ment l’Europe, pour cer­tains comme pour Vox, est quelque chose qui dyna­mite l’union nationale. » L’explication du directeur de la rédac­tion de Poli­tis : « C’est sans doute la grande erreur des indépen­dan­tistes cata­lans : ils ont anticipé sur une Europe qui pour l’instant n’existe pas. En effet, ils sont très européens, ils étaient pour une Europe des régions et ils remet­tent en cause les États nationaux. »

« Une Europe qui pour l’instant n’existe pas » ? Et donc une Europe des régions, sans États nations, qui serait des­tinée à voir le jour ? Finale­ment, si le tort des séparatistes cata­lans est d’avoir anticipé sur l’Europe du futur, le tort de Vox est de n’avoir pas com­pris le sens de l’histoire. Ce n’est d’ailleurs pas le seul domaine où Vox a un prob­lème avec le sens de l’histoire. L’animateur de France Info demande si « On peut faire cam­pagne aujourd’hui en étant anti-fémin­iste ». Isabelle de Gaul­myn s’exclame : « En Europe ! ». « Cela sem­ble aller dans le sens inverse de l’histoire ? De ce qui est en train de se pro­duire sur la planète ! », s’étonne da Sil­va, qui pour le coup affiche une vision plutôt marx­iste d’une his­toire à sens unique, prédéterminé.

Ce que à quoi les « Infor­més » se réfèrent mais n’expliquent pas aux audi­teurs, c’est que le par­ti Vox souhaite rem­plac­er la « Loi sur les vio­lences de genre », rel­a­tive aux vio­lences com­mis­es par des hommes con­tre des femmes et qu’il con­sid­ère comme con­duisant à de nom­breux abus judi­ci­aires, par une loi sur les vio­lences famil­iales, afin d’assurer un traite­ment égal à toutes les vic­times de vio­lences (per­son­nes âgées, hommes, femmes et enfants) indépen­dam­ment du sexe des uns et des autres. Vox a aus­si dans son pro­gramme la fin des sub­ven­tions aux organ­i­sa­tions fémin­istes rad­i­cales et des pour­suites à l’encontre des auteurs de dénon­ci­a­tions mensongères.

Peurs et rééducation du public

Mais aux « Infor­més » de France Info, plutôt que de dis­cuter de la per­ti­nence ou non des reven­di­ca­tions de ce par­ti qui vient de faire irrup­tion au par­lement espag­nol et d’informer les audi­teurs sur le fond du prob­lème, on veut réé­du­quer le pub­lic en agi­tant le spec­tre des « heures les plus som­bres de notre his­toire » pour attis­er les peurs des audi­teurs. Serge Cimi­no : « C’est tou­jours le ‘Plus jamais ça’ quand on en par­le, qu’un pays a tra­ver­sé ce genre de péri­ode (…). Vox n’est pas au pou­voir bien évidem­ment, mais c’est quand même que quelque chose est cassé et que ce leader-là, comme d’ailleurs d’autres lead­ers en Europe – que ce soit l’Espagne, que ce soit la Hon­grie, que ce soit dans notre cher Hexa­gone –, quand on joue sur toutes les frac­tures volon­taire­ment, on pousse les gens vers le repli, et par­fois ça fonctionne. »

Pour Denis Sief­fert, d’ailleurs : « Ce mou­ve­ment est en effet issu de la droite du Par­ti pop­u­laire mais il a été sans retenue, il a fait une cam­pagne extrême­ment vio­lente. Il a fait le buzz avec des provo­ca­tions sur les immi­grés, alors que ce n’est pas un prob­lème cen­tral en Espagne. Sur les étrangers, sur l’autre en général, et il a provo­qué un cer­tain nom­bre de polémiques et de scan­dales. (…) Il a com­pris que faire le buzz c’est for­mi­da­ble même si on dit des énor­mités. » Pas un mot en revanche de sa part ni de la part d’aucun autre jour­nal­iste présent à pro­pos des vio­lences physiques subies au cours de la cam­pagne par les sym­pa­thisants de Vox, de la part de l’extrême gauche et des nation­al­istes régionaux, ou à encore à pro­pos des men­aces de mort à l’encontre de son dirigeant, San­ti­a­go Abas­cal, notam­ment depuis les élec­tions andalous­es de décem­bre, quand Podemos a appelé à la con­sti­tu­tion d’un front antifas­ciste con­tre Vox.

Et si Podemos serait bien vu dans le gou­verne­ment de Pedro Sánchez, « com­ment inter­préter que les alliés européens d’En Marche, Ciu­dadanos, s’est allié en Andalousie avec Vox ? », demande Noé da Sil­va. Bruno Dive a la réponse : c’est à cause des ran­cunes per­son­nelles d’Albert Rivera, le leader de Ciu­dadanos, à l’encontre du social­iste Pedro Sánchez, « mais c’est un jeu dan­gereux, risqué, que joue Ciudadanos ».

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