Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Emmanuel Macron et les médias : l’amour parfait

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

23 juillet 2017

Temps de lecture : 10 minutes
Accueil | Dossiers | Emmanuel Macron et les médias : l’amour parfait

Emmanuel Macron et les médias : l’amour parfait

Temps de lecture : 10 minutes

[Red­if­fu­sions esti­vales 2017 – arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 03/03/2017]

Emmanuel Macron se présente devant les Français comme un candidat anti-système (« je ne suis pas contre cette terminologie »). Pourtant, l’ancien banquier de Rothschild & Cie bénéficie du soutien implicite ou explicite de la plupart des propriétaires de presse : Vincent Bolloré (Canal+, i>Télé, C8), dont le fils Yannick Bolloré était présent à l’un de ses rassemblements en juin 2016 et Martin Bouygues (Groupe TF1) dont le directeur général adjoint de Bouygues Telecom, Didier Casas, a rejoint le mouvement En Marche ! en janvier 2017. Chacun d’entre eux essaie de placer ses hommes dans l’entourage d’Emmanuel Macron en espérant avoir un retour sur investissement en cas de victoire lors des présidentielles.

À ce petit jeu d’influence, Patrick Drahi, nou­v­el homme fort de la presse (BFM, RMC, Libéra­tion, L’Express, etc), a pris une longueur d’avance sur ses con­cur­rents car la garde rap­prochée d’Emmanuel Macron (Jacques Attali, Gré­goire Cher­tok ou Bernard Mourad) ont tous des liens directs avec le mil­liar­daire franco-israélien.

Le soutien de Patrick Drahi, un simple renvoi d’ascenseur ?

Le sou­tien des médias de Patrick Drahi à Emmanuel Macron s’apparente à un ren­voi d’ascenseur pour l’aide apportée par le can­di­dat d’En Marche ! au mil­liar­daire fran­co-israélien lors de son rachat de SFR en 2014. À cette époque, Emmanuel Macron était secré­taire général adjoint de l’Élysée et Arnaud Mon­te­bourg, min­istre du Redresse­ment pro­duc­tif. Si ce dernier s’est davan­tage impliqué dans le dossier en affichant une préférence pour l’offre de Mar­tin Bouygues, Macron va réus­sir à impos­er une ligne de « neu­tralité vig­i­lante » à l’Élysée (. La suite est con­nue, Patrick Drahi va réus­sir s’imposer face à ses con­cur­rents. Ce qui l’est moins, c’est que l’un des pro­tag­o­nistes de cet achat his­torique, le ban­quier Bernard Mourad (« SFR : les deux semaines folles qui ont cham­bardé le paysage des télé­coms », lesechos.fr, 16/03/14), clé du sys­tème financier de Patrick Drahi est un ami d’Emmanuel Macron. C’est d’ailleurs l’ex-banquier de Roth­schild & Cie, devenu min­istre de l’Économie, qui don­nera l’assentiment du gou­verne­ment au rachat d’une entre­prise française de télé­com­mu­ni­ca­tion par une entre­prise étrangère comme Altice, un groupe lux­em­bour­geois lui-même pro­priété d’une hold­ing imma­triculée à Guernesey.

Les hommes

Jacques Attali

L’économiste et con­seiller des prési­dents (François Mit­ter­rand, Nico­las Sarkozy ou François Hol­lande) est devenu au fil des années l’une des per­son­nal­ités les plus impor­tantes de l’arrière bou­tique de la vie poli­tique française, un qua­si-prési­dent de la République bis, « non élu, sans réelles prérog­a­tives, mais avec un pro­gramme de réformes, né sous la droite et appliqué large­ment sous la gauche. » Jacques Attali est l’un de ceux qui font les car­rières des uns s’ils vont dans le sens de sa vision politi­co-économique (libéral-lib­er­taire) et défont les car­rières des autres s’ils ont le mal­heur d’être sou­verain­iste ou pro­tec­tion­niste. Le con­seiller des prési­dents a immé­di­ate­ment remar­qué le poten­tiel d’Emmanuel Macron, ce jeune inspecteur des finances tout juste sor­ti de l’Ecole Nationale d’Administration (2004), le prenant rapi­de­ment sous son aile en le nom­mant, en 2008, rap­por­teur adjoint de la Com­mis­sion pour la libéra­tion de la crois­sance française (« com­mis­sion Attali »). « Elle va lui servir à la fois de trem­plin pro­fes­sion­nel et de cor­pus de pensée. Macron s’y con­stitue un épais car­net d’adress­es qu’il fera fruc­ti­fi­er en tant que ban­quier. » Jacques Attali tombe sous le charme de cet ex-inspecteur des Finances devenu ban­quier d’af­faires chez Roth­schild & Cie (il l’avait recom­mandé à François Hen­rot, le bras droit de David de Roth­schild) en 2008 et le présente à François Hol­lande en 2010. Le courant passe immé­di­ate­ment et une fois à l’Élysée, le chef de l’État le nomme secré­taire-général adjoint en charge des dossiers économiques, puis min­istre de l’Économie. La loi Macron, qui a été pro­mul­guée en août 2015, s’inspire très large­ment des 316 mesures pro­posées par la Com­mis­sion Attali. Leur rela­tion ne s’arrête pas en si bon chemin, Jacques Attali a con­fié au mag­a­zine GQ « être extrêmement proche (de Macron), on se par­le tout le temps. »

En effet, Jacques Attali a com­pris qu’avec Emmanuel Macron il pou­vait plac­er ses pio­ns et ceux de ses amis, notam­ment du mil­liar­daire fran­co-israélien Patrick Drahi. Car le con­seiller des princes n’est que la face émergée d’un ice­berg d’oligarques con­tents d’avoir trou­vé en lui un homme capa­ble de susurrer à l’oreille des prési­dents de la République les bonnes ori­en­ta­tions économiques pour faire avancer leurs affaires.

Et dans le cas de Jacques Attali, c’est sa famille qui pour­rait béné­fici­er de plus larges retombées finan­cières, son frère jumeau, Bernard Attali, siégeant au con­seil d’administration du groupe SFR, pro­priété de Patrick Drahi. Un mélange des gen­res déton­nant et passé pour l’instant totale­ment inaperçu….

Grégoire Chertok

Emmanuel Macron, ancien ban­quier de Roth­schild & Cie, « est très soutenu dans son anci­enne banque. Grégoire Cher­tok, asso­cié gérant de Roth­schild, con­seiller région­al et très proche de Jean-François Copé, a déjà orga­n­isé plusieurs ren­con­tres avec des investis­seurs intéressés par Emmanuel Macron. » (« Emmanuel Macron intéresse les investis­seurs », Le Figaro, 26/01/2017) Gré­goire Cher­tok est lui aus­si lié au mag­nat de la presse Patrick Drahi puisque le ban­quier star de chez Roth­schild est l’un de ses « relais » dans le monde des affaires. Cher­tok est aus­si influ­ent à l’hebdomadaire Mar­i­anne où il tient… la rubrique ciné­ma.

Bernard Mourad

Le fran­co-libanais Bernard Mourad, ex-ban­quier star de Mor­gan Stan­ley, est l’homme-clé dans les rela­tions entre Emmanuel Macron et Patrick Drahi.

Depuis leur pre­mière ren­con­tre en 2004, Bernard Mourad est devenu un intime du mil­liar­daire fran­co-israélien, Patrick Drahi. L’ex-banquier résume ain­si leur rela­tion : « J’étais tout jeune. Il [Patrick Drahi] n’était pas encore con­nu. Je le trou­vais bril­lant. On a un peu gran­di côte à côte et nous avons tra­vaillé ensem­ble à la plu­part de ses opérations. Il com­bine deux tal­ents rares : une vision indus­trielle de long terme, très claire, d’une fibre optique irrem­plaçable, alliée à une excel­lente antic­i­pa­tion des cycles courts financiers.» (« Patrick Drahi, la fibre her­mé­tique », Libération, 05/04/2014) Homme de con­fi­ance du nou­v­el homme fort de la presse, il a par­ticipé à pra­tique­ment toutes les trans­ac­tions finan­cières d’Altice : fusion de Numéri­ca­ble et Noos, entrée en bourse d’Altice, rachat de SFR pour 17 mil­liards d’euros par Numéri­ca­ble et celui de Por­tu­gal Tele­com par Altice pour 7,4 mil­liards d’euros.

« Fidèle par­mi les fidèles du patron dAltice », Bernard Mourad quitte la banque améri­caine Mor­gan Stan­ley en févri­er 2015 pour rejoin­dre Patrick Drahi et pren­dre la prési­dence d’Altice Media Group. Con­sid­éré comme le bras droit de Patrick Drahi dans les médias, il devient, dès lors, directeur général adjoint de SFR Media en charge du développe­ment, regroupant SFR Presse, SFR RadioTV et SFR Sport, sous la direc­tion d’Alain Weill. Out­re sa place de cogérant de Libéra­tion, Bernard Mourad assur­ait la vice-prési­dence (Mourad) et avec Alain Weill la prési­dence (Weill) de SFR Presse (anci­en­nement Altice Media Group) et les fonc­tions de respon­s­able du développe­ment d’Altice Media Inter­na­tion­al. En octo­bre 2016, Bernard Mourad démis­sionne de toutes ses fonc­tions pour rejoin­dre le mou­ve­ment poli­tique En Marche ! lancé par son ami, Emmanuel Macron. Dans un com­mu­niqué, Altice indique que l’ancien prési­dent d’Altice Media Groupe souhaite se « con­sacr­er pleine­ment à un engage­ment citoyen. » Pour Patrick Drahi et Michel Combes : « Bernard, en tant que con­seil, puis au sein du groupe Altice nous a accom­pa­gnés avec tal­ent et fidélité pen­dant plus de 10 ans. Nous le remer­cions très chaleureuse­ment pour sa con­tri­bu­tion au développe­ment du groupe. » Out­re son envie de s’engager poli­tique­ment, une autre rai­son a sem­ble-t-il poussé Bernard Mourad à démis­sion­ner : les polémiques qu’auraient sus­cité sa dou­ble cas­quette de dirigeant de groupe de presse et de mil­i­tant poli­tique alors que le mag­a­zine LExpress (pro­priété de SFR Média) s’engage déjà pour Emmanuel Macron.

Bernard Mourad, l’ex-banquier star de Mor­gan Stan­ley, a ren­con­tré Emmanuel Macron il y a plus de quinze ans. Selon un proche du fran­co-libanais, il y a « un coup de foudre ami­cal » (« Bernard Mourad, le con­seiller transfuge de chez Patrick Drahi », Le Monde, 6/10/2016) Leurs par­cours est qua­si-sim­i­laire, ils ont étudié dans des insti­tu­tions pres­tigieuses (HEC pour Mourad ENA pour Macron) avant de s’ori­en­ter vers des ban­ques d’af­faires (Mor­gan Stan­ley et Roth­schild) et se pas­sion­nent tout les deux pour l’écriture (la revue libérale Esprit pour Macron et l’écriture romanesque pour Mourad). Ils se sont par la suite plusieurs fois croisés dans leur vie pro­fes­sion­nelle notam­ment lors du rachat par Patrick Drahi de SFR. A l’époque, Macron était secré­taire général adjoint de l’Élysée et Bernard Mourad con­seil­lait Patrick Drahi.

Les principaux médias

L’Express

En mars 2016, un an après son rachat par Altice, pro­priété de Patrick Drahi, le directeur du jour­nal Christophe Bar­bi­er, annonce que son quo­ti­di­en va retrou­ver son « esprit mil­i­tant » avec une nou­velle for­mule dont Emmanuel Macron fait la pre­mière cou­ver­ture. Fondé en 1953 en sou­tien à l’an­cien président du con­seil Pierre Mendès‑France, L’Express s’engage aujourd’hui pour un libéral­isme économique et socié­tal : le droit de vote à 16 ans, le fédéralisme européen. Christophe Bar­bi­er souhaite remet­tre au goût du jour une « laïcité offen­sive » qui aide les reli­gions à organ­is­er leurs cultes et la ges­ta­tion pour autrui (GPA), si celle-ci n’est pas « com­mer­ciale » car il faut avoir « foi dans l’homme, la sci­ence et le progrès. »

Or, « lhériti­er con­tem­po­rain le plus proche de lesprit de « PMF » [Pierre Mendès France] est Emmanuel Macron, selon M. Bar­bi­er. » Il n’est donc pas éton­nant de voir L’Express soutenir ouverte­ment l’ancien min­istre de l’Economie car «  cest lui qui incar­ne le plus lesprit de réforme en France aujourdhui, avec moder­nité », assume Christophe Bar­bi­er.

Les dif­férentes fig­ures de proue revendiqués par la nou­velle for­mule de L’Express sont : Jacques Attali (men­tor d’Emmanuel Macron, son frère Bernard Attali siège au con­seil d’administration de SFR), l’écrivain fon­da­teur d’un « mou­ve­ment citoyen » Alexan­dre Jardin, l’écologiste Nico­las Hulot, Nathalie Kosciusko-Morizet (présente lors du lance­ment de la chaîne i24News créée par Patrick Drahi à Paris en mars 2014) ou Daniel Cohn-Bendit.

Pour l’anecdote, Bernard Mourad, alors président d’Altice Media Group se défendait de la moin­dre ingérence dans la ligne édi­to­ri­ale des médias en leur pos­ses­sion : « ni moi, ni Patrick Drahi, ni Marc Laufer, le directeur général, n’in­flu­ons sur les con­tenus des jour­naux du groupe. » Dif­fi­cile quand même de le croire quand quelques mois après cette déc­la­ra­tion, il quit­tera Altice pour rejoin­dre son ami… Emmanuel Macron pour l’aider à struc­tur­er son mou­ve­ment poli­tique En marche !

BFMTV

La pre­mière chaîne d’informations française, pro­priété de Patrick Drahi et d’Alain Weill, a été épinglée en févri­er 2017 par le mag­a­zine Mar­i­anne pour avoir « dif­fusé autant de réunions publiques d’Em­manuel Macron… que de l’ensem­ble de ses qua­tre con­cur­rents prin­ci­paux réunis ! » Car « depuis sa décla­ra­tion de can­di­da­ture à l’élec­tion présiden­tielle, tous les grands meet­ings d’Em­manuel Macron sont en effet dif­fusés en intégralité et en grande pompe sur la pre­mière chaîne d’in­fo en con­tinu. Ce qui est bien loin d’être le cas pour ses con­cur­rents… »

SFR

Avec un tel matraquage pro-Macron de la part de BFMTV, il n’est donc pas éton­nant de voir arriv­er sur la chaîne un autre par­ti­san de l’ancien min­istre de l’économie, Christophe Barbier…

Crédit pho­to : Gou­verne­ment français via Wiki­me­dia (cc)