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Complément d’enquête de Jacques Cardoze sur France 2, haute cuisine et amalgames en série

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2 novembre 2018

Temps de lecture : 7 minutes
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Complément d’enquête de Jacques Cardoze sur France 2, haute cuisine et amalgames en série

Temps de lecture : 7 minutes

Connaissez-vous Jacques Cardoze ? En plus de son métier de journaliste, le présentateur de l’émission « Complément d’enquête » est également cuisinier. Il vient de nous en donner une excellente preuve lors de l’émission du 18 octobre dernier.

Le mag­a­zine d’ac­tu­al­ité présen­té par Jacques Car­doze le jeu­di à 23h00 sur France 2 est cen­sé « appro­fondir des sujets de société aux thèmes divers au tra­vers de plusieurs reportages ». Mais il est aus­si l’occasion de don­ner des cours de cui­sine. La recette de J. Car­doze est assez sim­ple : prenez des ingré­di­ents hétérogènes (néo-fas­cistes, sur­vival­istes, pop­ulistes, émi­grés européens). Sec­ouez-les forte­ment. Vous obtenez à l’arrivée un amal­game, certes indi­geste, mais 100% poli­tique­ment cor­rect et Macron-com­pat­i­ble. Illustration.

Menaces sur l’unité européenne, les ingrédients

J. Car­doze a choisi un fil rouge à son émis­sion con­sacrée aux « néo-fas­cistes » et aux « pop­ulistes » : présen­ter ceux qui « men­a­cent l’unité européenne », les « extrêmes qui mon­tent en Europe ».
Au pro­gramme de l’émission du 18 octo­bre, des reportages sur Mat­teo Salvi­ni, sur des français ou des belges qui par­tent en « exil patri­o­tique » en Hon­grie, sur des sur­vival­istes en France et enfin sur des « néo nazis » en Allemagne.
S’il était dif­fi­cile de trou­ver un point com­mun entre ces dif­férents groupes de per­son­nes. J. Car­doze réus­sit l’exploit d’associer :
— un leader démoc­ra­tique­ment élu, qui n’a jamais remis en cause le sys­tème démocratique ;
— des nos­tal­giques du 3e Reich, des déguisés bas du front, dont on se demande quel risque ils font courir à l’Europe des par­adis fis­caux et de la con­cur­rence libre et non faussée ;
— des sur­vival­istes anti-musulmans ;
— et des citoyens qui ne sup­por­t­ent plus le cli­mat qui règne dans cer­taines par­ties du ter­ri­toire nation­al. Cette asso­ci­a­tion aboutit à créer une « mix­ture » inquié­tante dont on attend de con­naitre les com­posants. Mais avant de les présen­ter, il impor­tait pour l’équipe de J. Car­doze de mar­quer les esprits en les amalgamant.

Matteo Salvini, fond de sauce

Le jour­nal­iste relate une des pre­mières mesures du nou­veau min­istre de l’intérieur ital­ien : refuser de laiss­er accoster l’Aquarius sur les côtes ital­i­ennes. Selon le jour­nal­iste, « il devient l’épouvantail de l’Europe ». La voix off inter­roge : com­ment « ce per­son­nage qui s’emploie à tout prix à don­ner l’image d’un citoyen comme les autres » est-il devenu l’idole des pop­ulistes ? (8e mn39) ? La musique funèbre qui fait suite à l’interrogation du jour­nal­iste laisse augur­er les pires révéla­tions. On retient des images qui suiv­ent que Mat­teo Salvi­ni mul­ti­plie les meet­ings et les self­ies, plutôt que de tra­vailler ses dossiers. Tout le reportage est tourné sur la per­son­ne de M. Salvi­ni et non sur ses réal­i­sa­tions. Au lieu de s’attarder par exem­ple sur l’arrêt d’un flux migra­toire qui a amené 700 000 clan­des­tins sur le sol ital­ien depuis 2010, le jour­nal­iste donne la parole à des per­son­nes qui ont côtoyé M. Salvi­ni et en ont gardé un piètre sou­venir. On y apprend que le suc­cès du « pop­uliste ital­ien » « en cam­pagne per­ma­nente » viendrait de sa « voix de bary­ton » : son tim­bre « par­le aux tripes » en descen­dant dans les graves. Elle per­me­t­trait à la Ligue de pop­u­laris­er « les idées les plus rad­i­cales ». On se dit que l’on a bien fait de veiller pour regarder cette émis­sion tar­dive, si riche en révéla­tions. Sans doute Car­doze a‑t-il pris exem­ple sur Richard Heuzé qui lynche régulière­ment Salvi­ni dans Le Figaro.

Pour com­menter le reportage, l’invité n’est autre que l’ancien chef du gou­verne­ment ital­ien Mat­teo Ren­zi, mem­bre du Par­ti démoc­rate (cen­tre gauche). J. Car­doze lui demande s’il fait bien par­tie du « camps des pro­gres­sistes ». Une angoisse nous étreint : est-il vrai­ment dans le camp de pro­grès ? Nous sommes vite ras­surés, il est du bon côté. Tan­dis que M. Salvi­ni veut détru­ire l’idée de l’Europe et don­ner un « mes­sage con­tre les intérêts nationaux ». En con­clu­sion, Mat­teo Ren­zi nous apprend qu’en par­ti­c­uli­er dans le nord de l’Italie, les entre­pris­es ont besoin de migrants. Une infor­ma­tion à don­ner rapi­de­ment aux 33% de jeunes ital­iens au chô­mage qui cherchent en vain un emploi.

Les Français et belges identitaires qui s’installent en Hongrie, cuisson à feu vif

L’équipe de Com­plé­ment d’enquête nous invite ensuite à décou­vrir « ces français qui par­tent pour la Hon­grie et qui quit­tent la France qu’ils trou­vent trop com­mu­nau­tariste ». Par­mi eux, Steve et Priscil­la. Pour Steve, « il y a un prob­lème avec l’immigration, claire­ment ». Le jour­nal­iste a besoin d’éléments tan­gi­bles et demande s’il y a un prob­lème à Ver­dun, ville où le cou­ple vivait. Steve évoque l’agression d’une jeune femme par un migrant. Le jour­nal­iste nous pré­cise que celui-ci n’a pas fait l’objet de pour­suites judi­ci­aires. Est-ce pour autant que les faits n’ont pas eu lieu ? Nous ne le saurons pas. Le jour­nal­iste ne s’attarde par con­tre pas quand Priscil­la se plaint des klax­ons et des sif­fle­ments qu’elle subis­sait à Ver­dun. Trop dif­fi­cile à objecter peut être.

Vient le tour de présen­ter Frédéric et ses 3 enfants. Il a acheté un apparte­ment dans une HLM en Hon­grie. Il explique ses moti­va­tions : « je me sen­tais étranger chez moi ». Car­doze com­mente : « Frédéric n’est pas à un amal­game près : immi­gra­tion = insécu­rité ». On voit Frédéric qui con­state l’absence de jeunes qui trainent et dealent dans la « cité ». On voit égale­ment qu’il n’y a pas de graf­fi­tis et que les rues sem­blent pro­pres. Des détails sans doute pour Cardoze.

Puis on passe à Elsa « qui a trou­vé une terre clé­mente en Hon­grie ». Si elle est venue en Hon­grie après sa 3ème agres­sion, c’est aus­si parce qu’elle a le « fan­tasme d’une France envahie par les étrangers ». La recherche de sécu­rité physique et cul­turelle sem­ble réduite pour J. Car­doze à un prob­lème unique : elle libèr­erait la parole raciste. Il s’en émeut auprès d’un Min­istre hon­grois, qui bal­aie ces allégations.

Pour mieux appuy­er son argu­men­ta­tion, le jour­nal­iste nous fait décou­vrir Mau­rice et Chris­tiane. Cette dernière « débor­de de haine », elle affirme ain­si « je suis dev­enue raciste à 200% ». J. Car­doze ne cache pas que Chris­tiane est un tan­ti­net brouil­lée non seule­ment avec les étrangers, mais égale­ment avec ses enfants et son voisin. Comme pour mieux accentuer la car­i­ca­ture de ces exilés « iden­ti­taires », son chien est zoomé mon­trant les crocs.

Des méchants et un gentil, nappage final

Dans la con­ti­nu­ité du reportage con­sacré aux « émi­grés iden­ti­taires », on con­tin­ue crescen­do et sans tran­si­tion avec… des sur­vival­istes qui se pré­par­ent à la guerre civile. Cer­tains mem­bres de l’organisation qui nous est présen­tée ont été inter­pel­lés pour port d’armes. On pense à J. Car­doze qui accuse Frédéric de faire des amalgames.

Pour com­menter la séquence aux deux sujets forts dif­férents, un « marin sauveteur » de l’Aquarius » est invité. On com­mence à com­pren­dre : les mau­vais sont présen­tés dans les reportages, les bons sont là pour les com­menter. Après quelques échanges de pro­pos policés, J. Car­doze remer­cie son invité de « cette human­ité que l’on voit à tra­vers vous ». Il serait mal­venu à ce stade de par­ler du véri­ta­ble pont mar­itime organ­isé à par­tir de la Libye avec l’aide d’ONG et du busi­ness cynique des passeurs, comme nous vous en par­lions fin octo­bre 2018.

On se dit que l’insécurité cul­turelle (voir les arti­cles du poli­to­logue Dominique Reynié sur le sujet) de nom­breux français n’a pas bonne presse à France 2. Sans doute pour mieux car­i­ca­tur­er les pop­ulistes, le dernier reportage est con­sacré à des mou­ve­ments néo nazis en Alle­magne. La boucle est bouclée. Mat­teo Salvi­ni et les pop­ulistes sont annon­ci­a­teurs des années 30.

Car­doze devient téméraire avec son dernier invité, un « spé­cial­iste de l’extrême droite», Nico­las Lebourg. Une infor­ma­tion sérieuse don­née par N. Lebourg : les pris­ons français­es comptent 18 néo nazis et… 505 dji­hadistes. On a les épou­van­tails que l’on se choisit. Puis, il se lance : « Per­son­ne n’ose faire la com­para­i­son avec les années 30 ». On se dit qu’il devrait lire l’OJIM pour mieux s’imprégner des élé­ments de lan­gage de ses con­frères con­formistes. À l’image d’un récent clip gou­verne­men­tal pour les élec­tions européennes, présen­tant M. Salvi­ni comme un épou­van­tail, on ne sait plus si l’on a affaire à des émis­sions du ser­vice pub­lic de télévi­sion ou à de la pro­pa­gande grossière. Ou plutôt si, on ne le sait que trop. Et trop souvent.

Crédit pho­to : cap­ture d’écran vidéo Com­plé­ment d’En­quête (DR)

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