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Après les Bobards d’or : Quinze Conseils amicaux aux journalistes

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23 mars 2018

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | not_global | Après les Bobards d’or : Quinze Conseils amicaux aux journalistes

Après les Bobards d’or : Quinze Conseils amicaux aux journalistes

Temps de lecture : 7 minutes

Les Bobards d’Or version 2018 ont vu l’incontestable victoire de Toto écrivain alias Yann Mhoax, Yann Moix, pour un bobard en direct de janvier 2018 sur les ondes d’ONPC. Avec l’autorisation de la Fondation Polemia, nous reproduisons les quinze conseils amicaux fournis aux journalistes par Jean-Yves le Gallou, président de Polemia. D’utiles conseils qui auraient pu être mis en exergue lors des Assises du journalisme de Tours il y a quelques jours.

« Chers Amis journalistes,

Je sais que vous souf­frez. Votre pro­fes­sion est sou­vent décon­sid­érée. Vous déplorez ce que vous appelez le « désamour envers les médias ». Sans par­ler de ceux qui pra­tiquent l’amour vache en vous affublant du sobri­quet de « jour­naleux », de « jour­na­lope » voire de « jour­na­pute ». Et ce n’est rien à côté de Mélen­chon pour qui « la haine des médias et de ceux qui les ani­ment est juste et saine ». Un peu inquié­tant pour vous tout de même que, de Marine Le Pen à Mélen­chon en pas­sant désor­mais par Wauquiez, trois grandes for­ma­tions poli­tiques vous cri­tiquent. Le par­ti des médias, le PDM, appa­raît désor­mais comme le par­ti de Macron. Mais celui-ci vous méprise : il traite avec vos patrons, les oli­gar­ques mil­liar­daires, pas avec les traine-savates des salles de rédaction.

C’est tout à fait regrettable.

Il vous faut redress­er l’image de votre profession.

C’est dans cet esprit posi­tif et pro­gres­siste que je me per­me­ts de vous adress­er ces quelques conseils :

  • Pour com­mencer, faites un petit exer­ci­ce d’introspection. Posez-vous la ques­tion : quel est mon méti­er ? Infor­ma­teur ou pro­pa­gan­diste ? Suis-je indépen­dant de mon patron ? Des gens qui me four­nissent des ménages, ces con­tri­bu­tions qui me rap­por­tent beau­coup pour peu de tra­vail ? Des appor­teurs de pub­lic­ité qui font vivre mon média ? Des groupes de pres­sion qui font ou défont les car­rières et les répu­ta­tions ? Suis-je un con­tre-pou­voir ou un instru­ment du pou­voir ? Que fais-je pour éten­dre mes marges de liberté ?
  • Gardez en toute chose l’esprit cri­tique ! Ne prenez pas pour argent comp­tant la vul­gate mon­di­al­iste, immi­gra­tionniste et pro­gres­siste de votre pro­fes­sion. Ni la com des gou­verne­ments et des entre­pris­es, encore moins celle des asso­ci­a­tions pré­ten­du­ment human­i­taires qui ne sont sou­vent que les faux nez d’intérêts par­ti­c­uliers et de puis­sances étrangères.
  • Dites-vous que dans une guerre ou un con­flit il n’y a pas d’un côté les gen­tils et les méchants: les gen­tils ukrainiens et les méchants russ­es, l’odieux gou­verne­ment syrien et les doux « rebelles mod­érés », les vilains boud­dhistes bir­mans et les déli­cats musul­mans rohingyas. Essayez plutôt de com­pren­dre les points de vue opposés, allez sur place, ren­con­trez les dif­férents pro­tag­o­nistes. Et ren­dez compte de la com­plex­ité des faits.
  • Méfiez-vous des bobards de guerre que vous adorez pour­tant relay­er: ah les charniers de Timisoara, ah cette méchante sol­datesque iraki­enne débran­chant les cou­veuses de Koweït City, et ces serbes cru­els per­sé­cu­tant ces pais­i­bles Albanais du Kosso­vo, et que dire des ter­ri­bles armes de destruc­tion mas­sive de Sad­dam Hussein.
  • Essayez de tir­er la leçon des expéri­ences men­songères précé­dentes : pas sûr que le gou­verne­ment syrien n’ait jamais util­isé des armes chim­iques, pas cer­tain que tout ce qu’on nous racon­te aujourd’hui sur l’Iran soit exact. Et même sur la Corée du nord : sa délé­ga­tion aux jeux olympique a été con­duite par une chanteuse dont les médias français et occi­den­taux nous avaient dit en 2013  qu’elle avait été… fusillée!
  • Gardez-vous des emballe­ments médi­a­tiques. Véri­fiez les faits et les infor­ma­tions avant de les relay­er. Surtout si leur ori­en­ta­tion est poli­tique­ment cor­recte. Chaque année nous dénonçons un « bobard total » celui que toute le presse a repris : 10 ans de bobards pour le meurtre de Jean-Claude Irvoas en 2005, meurtre, cam­ou­flé dans un pre­mier temps, attribué dans un deux­ième temps  à des Européens (sic); bobard par déla­tion générale d’un inno­cent lors de la fausse affaire de « l’ophtalmo raciste » ; bobard total aus­si lorsque le ter­ror­iste de Toulouse fut présen­té comme « Européen aux yeux bleus »  alors qu’il s’agissait de Mohamed Mérah. Les médias sont encore en état de récidive men­songère en 2013 lorsqu’ils évo­quent d’extrême droite à pro­pos du tireur de BFMTV et Libéra­tion : en fait un « antifa » du nom d’Abdelhakim Dekhar. Cha­peau les Sher­lock Holmes ! Bobard non moins total pour Théodore Lusa­ka, Théo, ce Con­go­lais pré­ten­du­ment vic­time d’un viol polici­er ; une accu­sa­tion relayée par toute la presse mais par­faite­ment men­songère comme l’a très vite établi un rap­port de l’IGPN fondé sur l’analyse des images de la vidéo surveillance.
  • Quand vous vous trompez, assumez! Ne changez pas de manière orwelli­enne votre texte pour cacher votre bobard. Ayez le courage de recon­naitre votre erreur, de vous excuser, de faire paraitre un erra­tum. Et de manière vis­i­ble. Cela vous ne le faites jamais. Pourquoi un tel silence sinon pour pou­voir con­tin­uer à bobarder ?
  • Évitez de hurler avec les loups, ne recourez pas à l’insulte, faites preuve de curiosité, voire d’empathie, pour tous, y com­pris pour ceux que le sys­tème « dia­bolise ». N’oubliez pas qu’eux aus­si ont droit à la pré­somp­tion d’innocence et à une infor­ma­tion équitable. Accordez la même sur­face à un démen­ti qu’à une infor­ma­tion fausse, à une relaxe qu’à des pour­suites judiciaires.
  • Respectez un principe de pro­por­tion­nal­ité entre le fait généra­teur d’une infor­ma­tion et sa cou­ver­ture médi­a­tique. Évitez de par­ler davan­tage d’une con­tre-man­i­fes­ta­tion que de la man­i­fes­ta­tion qui l’a sus­citée. Ne placez pas sur le même plan un hap­pen­ing mobil­isant 5 Femen et une man­i­fes­ta­tion rassem­blant des dizaines de mil­liers de personnes.
  • Respectez les règles de l’arithmétique et de la dynamique des flu­ides. N’abusez pas du bobard cal­culette. La même salle ne peut con­tenir 1000 per­son­nes quand elle réu­nit des gens mal pen­sants et 10 000 lorsque ce sont vos amis ou vos bailleurs qui l’occupent. La même place, le même boule­vard, la même avenue ne change pas de sur­face selon que la Gay pride ou la LMPT l’occupe.
  • Évitez le deux poids, deux mesures. Je vous donne juste un exem­ple. Le Média de Mélen­chon a eu droit à 1000 ou 10 000 fois plus de bruit médi­a­tique que TV Lib­ertés. Mais le rap­port d’audience –selon les sta­tis­tiques publiques de YouTube — est de un à 5, voire de 1 à 10 entre les deux et qui plus est au béné­fice de TV Lib­ertés ! Cette énorme dis­pro­por­tion, cette dif­férence de traite­ment vous l’expliquez com­ment ? Oui, sérieuse­ment, com­ment ? Ma ques­tion ne vaut pas que pour Libé ou Le Monde, elle vaut aus­si pour Le Figaro. Quel sens don­nez-vous au mot « information ».
  • Méfiez-vous de l’AFP. Je sais, vous apprenez dans les écoles de jour­nal­isme à pren­dre pour parole d’évangile les dépêch­es de l’AFP. Vous avez tort, l’AFP est une usine à bobards. Prix du jury 2018. Déjà tit­u­laire du bobard d’or 2015. Quand nous avons voulu remet­tre le trophée à ses dirigeants nous nous sommes heurtés à un cor­don de CRS : la pré­fec­ture de police avait dépêché ses troupes pour pro­téger la police de la pen­sée ! L’AFP est une officine d’information vicieuse. Méfiez-vous des titres, ils ne sont pas tou­jours con­formes au con­tenu de l’article. Méfiez-vous des amal­games. Méfiez-vous des asso­ci­a­tions d’idées. Méfiez-vous du tem­po des dépêch­es : leur enchaine­ment sert, selon les cas, à val­oris­er ou dén­i­gr­er un point de vue ou un événement.
  • Méditez la parabole de la paille et de la poutre : la mode est au « fact check­ing », au con­trôle des faits. Mais plutôt que de cri­ti­quer les hommes poli­tiques ou les médias alter­nat­ifs qui ne vous plaisent pas, vous feriez mieux de bal­ay­er devant votre porte : d’éviter de pipeauter et de recon­naitre vos erreurs. C’est d’abord l’information de vos médias, amis jour­nal­istes, qui a besoin d’un con­trôle qualité/véracité. Acceptez la con­cur­rence des médias alter­nat­ifs. Ne cherchez pas à impos­er le mono­pole des médias officiels.
  • Tout cela bien sûr est dif­fi­cile. Soyez courageux. Tra­vaillez pour véri­fi­er vos infor­ma­tions et celles de l’AFP. Tra­vaillez pour recueil­lir des points de vue dif­férents. Et pour éclair­er — et non ahurir — ceux qui vous suivent
  • Oui, tout cela est dif­fi­cile. Car plus vous tra­vaillerez, plus vous décou­vrirez ce que les puis­sants cherchent à cacher. Il vous fau­dra vous bat­tre pour impos­er les sujets dif­fi­ciles au lieu de vous abrit­er der­rière cette for­mule facile que j’ai sou­vent enten­due : « com­prenez-moi, j’ai des enfants à nour­rir ». N’ayez pas peur. »