En résumé :
- Une nomination étonnante : après la suspension de Laurent Vallet pour achat de cocaïne, Agnès Chauveau est nommée présidente par intérim de l’INA. Pour rappel, elle avait été licenciée de Sciences Po en 2015 pour plagiat.
- La malédiction de l’INA : Mathieu Gallet (frais somptuaires), Agnès Saal (notes de taxi extravagantes), Laurent Vallet (cocaïne) : chaque président finit éclaboussé.
- Un système de recasages : Agnès Saal, Martin Ajdari… les responsables déchus sont régulièrement recasés à d’autres postes prestigieux, malgré leurs casseroles, symptôme d’un dysfonctionnement de la haute administration culturelle.
- Une administration fermée : les fautes n’interrompent pas les carrières, elles ouvrent d’autres portes dans un jeu de chaises musicales sans fin.
Après Mathieu Gallet (la dépense faste comme signature), après Agnès Saal (démise en 2015 pour frais de taxi extravagants), après Laurent Vallet (suspendu pour s’être acheté un mauvais billet de cocaïne), voici Agnès Chauveau, sous ombre de plagiat.
L’Institut national de l’audiovisuel (INA) semble abonné aux feuilletons à rebondissements. Après la suspension de Laurent Vallet il y a quelques jours pour achat de cocaïne, sa remplaçante est désormais connue : Agnès Chauveau. Une nomination qui prête à sourire – ou à soupirer – tant la nouvelle présidente traîne elle-même un joli passif. En 2015, elle avait été contrainte de quitter Sciences Po pour plagiat. La fameuse malédiction de l’INA se poursuit.
Agnès Chauveau : de Sciences Po au plagiat
En janvier 2015, Agnès Chauveau, alors directrice exécutive de l’École de journalisme de Sciences Po, était licenciée pour plagiat. L’affaire, révélée par Arrêt sur Images quelques semaines plus tôt, était embarrassante : plusieurs de ses chroniques publiées sur France Culture et Slate reprenaient sans guillemets ni sources les articles de confrères. Sciences Po, qui cultive d’ordinaire l’art feutré des règlements internes, avait tranché net en la remerciant officiellement.
L’affaire constituait un véritable « flagrant délit de plagiat », illustrant à merveille la « reproduction du conformisme » et le manque d’exigence d’une école censée former les élites médiatiques.
Voir aussi : Sciences-Po Journalisme : l’élite du conformisme
Dix ans plus tard, revoici donc Agnès Chauveau, bombardée à la tête de l’INA. L’ironie est savoureuse : l’institution publique, déjà fragilisée par la suspension de Vallet, accueille à sa présidence une personnalité éclaboussée par un scandale académique. À croire qu’à l’INA, on recrute les directeurs comme on distribue les rôles dans une tragédie burlesque.
Une malédiction persistante à l’INA
Il faut dire que l’INA n’en est pas à son premier président encombrant. En 2015, c’est Agnès Saal qui quittait son fauteuil, rattrapée par ses fameuses notes de taxi faramineuses. Ironie du sort : elle avait été promptement recasée au ministère de la Culture, où elle supervisait la politique de diversité, prouvant une fois de plus que dans les hautes sphères, la disgrâce est rarement définitive.
Dix ans plus tard, le scénario se répète. Un président tombe, une autre Agnès monte. L’INA ressemble de plus en plus à une maison hantée par ses propres dirigeants, où chaque successeur hérite d’un passif plus lourd que le précédent.
Le cas Gallet : dépensier malgré lui…
La tradition des présidents chahutés continue avec Mathieu Gallet, ex-patron de l’INA de 2010 à 2014 puis de Radio France. Sous sa direction à l’INA, il aurait dépensé plus d’un million d’euros en frais de conseil et 125 000 € pour rénover deux bureaux — sans appels d’offres (à sa décharge, l’INA dégage un chiffre d’affaires assez faramineux sous son impulsion). Une orgie de dépenses qui lui vaut d’être condamné en 2018 pour favoritisme, avant que la peine soit allégée en appel en 2021.
Voir aussi : Mathieu Gallet, portrait
Le système des recasages : un jeu de chaises musicales sans fin
La nomination d’Agnès Chauveau invite à poser une question simple : comment se fait-il que des personnalités discréditées trouvent si facilement des postes prestigieux dans l’administration culturelle française ?
L’exemple d’Agnès Saal est éclairant. Après le scandale des taxis, elle n’a jamais vraiment quitté la haute fonction publique. Et elle n’est pas la seule : la machine à recaser tourne à plein régime. Le plus récent exemple est celui de Martin Ajdari, nommé en février 2025 à la présidence de l’ARCOM. Libération rappelait alors son « CV clair-obscur », où s’accumulent zones d’ombre et soupçons d’irrégularités, sans que cela empêche son ascension.
Dans ce petit monde, le recyclage est la règle. Les affaires, fussent-elles gênantes, n’entravent jamais une carrière très longtemps : elles ouvrent au contraire de nouveaux couloirs, d’autres fauteuils, de nouveaux bureaux.
De Gallet à Vallet, de Chauveau à Ajdari, la haute administration culturelle illustre ce système fermé où l’échec n’interrompt jamais une carrière, mais la redirige. Les fautes s’effacent vite, les mandats se renouvellent, les disgrâces se convertissent en promotions. Le spectateur, lui, observe ce manège avec un mélange de lassitude et d’incrédulité.
Le sentiment général qui se dégage de tout cela ? À l’INA, la « malédiction » semble presque devenue un mode de gouvernance. À ce rythme, la question n’est plus de savoir si Agnès Chauveau sera éclaboussée par un nouveau scandale, mais quand, et avec quelle créativité.
Yves Lejeune