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Sciences-Po Journalisme : l’élite du conformisme

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12 août 2023

Temps de lecture : 5 minutes
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Sciences-Po Journalisme : l’élite du conformisme

Temps de lecture : 5 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 3 mai 2023

Créée en 2004, l’école de journalisme de Sciences-Po accueille 160 élèves en formation initiale, issus de 26 nationalités, et se vante d’être « la seule école de journalisme française où les étudiants se voient proposer des embauches en CDI dans des rédactions professionnelles avant même d’être diplômés ». Comptant 150 enseignants (essentiellement des journalistes professionnels), elle revendique 855 anciens étudiants diplômés actuellement en poste, dont 25 % à l’étranger.

Depuis 2022, l’établissement est instal­lé dans l’hôtel de l’Artillerie, au cœur du très chic 7e arrondissement.

Déboires sexuels de la direction de ScPo

L’école béné­fi­cie bien sûr de l’aura de la pres­tigieuse insti­tu­tion à laque­lle elle est inté­grée, même si l’image de la « rue Saint Guil­laume » a été quelque peu ternie par les déboires de deux de ses grandes fig­ures, le tox­i­co­mane ama­teur d’escort boys Richard Desco­ings, ancien directeur, et la grande con­science de gauche accusée de pédophilie inces­tueuse Olivi­er Duhamel, émi­nent pro­fesseur de l’établissement et prési­dent de la Fon­da­tion nationale des Sci­ences Politiques.

Voir aus­si : Affaire Duhamel : Frédéric Mion, directeur de Sci­ences Po, démissionne

Déontologie à géométrie variable

Si les étu­di­ants de l’école de jour­nal­isme doivent, en début d’année, sign­er une rigoureuse « charte des valeurs » qui rap­pelle les fon­da­men­taux et les exi­gences du méti­er de jour­nal­iste (rigueur, exac­ti­tude, vig­i­lance, hon­nêteté, etc), cer­tains cadres de l’école sem­blent avoir les plus grandes dif­fi­cultés à l’appliquer à eux-mêmes et à leurs travaux comme l’illustre l’affaire « Agnès Chau­veau ». En effet, en 2015, Agnès Chau­veau, direc­trice exéc­u­tive de l’é­cole, est « remer­ciée » suite à des accu­sa­tions de pla­giat, le Huff­in­g­ton Post ayant démon­tré, cap­tures d’écran à l’ap­pui, que des pas­sages entiers de cer­taines de ses chroniques avaient été copiés sur d’autres arti­cles sans men­tion d’au­cune source.

Les « élites » sachant néan­moins se ser­rer les coudes et ne pas laiss­er les copains dans la détresse, la peu scrupuleuse jour­nal­iste sera finale­ment con­fort­able­ment recasée à l’INA.

Diversité sociale et uniformité idéologique

L’école se félicite par ailleurs de sa poli­tique sociale « inno­vante et très ambitieuse », ver­sant notam­ment des com­plé­ments financiers à chaque bour­si­er du CROUS et déploy­ant des bours­es d’ex­cel­lence académique « pour per­me­t­tre aux meilleurs étu­di­ants, non ressor­tis­sants de l’E­space économique européen, de financer leurs études en France ». Si, par ces mécan­ismes, l’établissement encour­age « la diver­sité sociale », il n’en est pas exacte­ment de même pour la diver­sité des opinions.

Surveillance idéologique

Mairie Mawad, doyenne de l’école et mem­bre du pro­gramme « Euro­pean Young Lead­ers », affirme : « Avec l’esprit cri­tique pour maître mot, nous pré­parons nos élèves à endoss­er l’importante respon­s­abil­ité inhérente à la pro­fes­sion de jour­nal­iste. Le développe­ment d’une capac­ité étof­fée à réfléchir sur le monde et sur soi est essen­tiel, tout comme l’acquisition d’une cul­ture déon­tologique aigu­isée ». Un esprit cri­tique toute­fois large­ment aigu­il­lé, pour ne pas dire for­maté, à l’instar de ce qui se passe dans la plu­part des écoles de jour­nal­isme, afin de ne pas con­trevenir à la doxa dom­i­nante, comme en témoigne un ancien élève, sous cou­vert d’anonymat, qui évoque une « sur­veil­lance idéologique » étroite et sour­cilleuse, notam­ment au tra­vers des com­men­taires faits sur les bulletins.

« Chaque pro­fesseur doit rédi­ger ses obser­va­tions sur chaque élève. Une obser­va­tion sur son tra­vail et une obser­va­tion plus générale. Ces bul­letins sont l’oc­ca­sion pour les pro­fesseurs de relever ce qui ne va pas avec un élève. Moi par exem­ple, des pro­fesseurs m’ont mis par écrit que j’avais des « ques­tion­nements bizarres » sur des par­al­lèles entre immi­gra­tion et délin­quance. Cela con­duit à deux choses : d’abord, on com­prend qu’il faut se taire pour ne plus avoir ces remar­ques dans son bul­letin, que ce qu’on dit n’est pas cor­rect ni accep­té. Ensuite, c’est aus­si une manière de faire remon­ter à la direc­tion des choses qui se passent en cours » explique-t-il. Un sys­tème qui entraîne une grande docil­ité des élèves durant les enseigne­ments, les inter­venants n’étant pas de sim­ples pro­fesseurs, mais avant tout des jour­nal­istes, des chefs de rédac­tions, des pro­fes­sion­nels occu­pant sou­vent des postes impor­tants, c’est à à dire poten­tielle­ment les futurs employeurs des appren­tis jour­nal­istes. Il serait donc fort impru­dent de con­tredire ou de con­trari­er son pos­si­ble futur patron ! Surtout dans un secteur ultra-con­cur­ren­tiel où les places sont rares et chères.

Masterclass conformes et directifs

Autre instru­ment de cal­i­brage idéologique, les « mas­ter­class », soit des cours présen­tant de grandes thé­ma­tiques sociales ou socié­tales comme le fémin­isme, la lutte des class­es, la jus­tice… et qui sont en réal­ité l’occasion de définir et d’imposer, sans débat, la « vérité offi­cielle » sur ces sujets. Et gare à qui rechigne à pleine­ment adhér­er à celle-ci !

Notre ancien élève témoigne encore : « Lors de l’une de ces « mas­ter­class », j’avais, avec un autre élève, exprimé mon désac­cord pro­fond avec un inter­venant faisant un incroy­able amal­game entre catholi­cisme et anti­sémitisme. Le résul­tat de cette inter­ven­tion fut extra­or­di­naire : plusieurs élèves n’ont pas hésité à écrire un mail à la direc­tion et à l’intervenant en ques­tion pour « s’ex­cuser au nom des fachistes de la classe »… Apparem­ment la déla­tion ne fait pas par­tie des pra­tiques inter­dites par la fameuse « charte des valeurs » de l’école.

Pour l’anecdote, don­nons le résul­tat d’un vote fic­tif des élèves au moment de l’élection améri­caine Hilary Clin­ton con­tre Don­ald Trump : Clin­ton 49 voix, Trump une voix, la direc­tion et les élèves ont estimé que le vote Trump était l’œuvre d’un petit plaisan­tin. Dans une telle ambiance, la pres­sion sur les étu­di­ants « non-con­formes » est très forte et ceux-ci ont tout intérêt à faire pro­fil bas s’ils ne veu­lent pas com­pro­met­tre leur car­rière avant même de l’avoir entamée. En atten­dant, l’ordre idéologique règne à Sci­ences Po jour­nal­isme, comme dans le reste de l’école.