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<span class="dquo">«</span> Affaire » de Fournas : tout était déjà écrit pour les médias de grand chemin

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15 août 2023

Temps de lecture : 9 minutes
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« Affaire » de Fournas : tout était déjà écrit pour les médias de grand chemin

Temps de lecture : 9 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 10/11/2022.

Le 3 novembre 2022, à l’Assemblée nationale, le député Grégoire de Fournas réagissait à une question posée au gouvernement par un député de la France Insoumise, Carlos-Martens Bilongo, relative au sort de migrants en mer Méditerranée à bord du bateau d’une O.N.G. Aussitôt, la machine à disqualifier et à condamner s’est mise en marche. Les médias centraux n’ont une fois de plus pas manqué d’y apporter leur active contribution. Revue de presse.

Les méthodes de production du scandale

L’essayiste et uni­ver­si­taire cana­di­en Math­ieu Bock-Côté nous a habitué aux analy­ses sou­vent clair­voy­antes des ressorts de la vie poli­tique française Dans l’édition du 3 novem­bre de Valeurs actuelles, il signe une tri­bune inti­t­ulée « pourquoi la gauche veut en finir avec Valeurs actuelles ».

Si la démon­stra­tion en ques­tion con­cerne la ten­ta­tive de change­ment de la ligne édi­to­ri­ale du jour­nal, elle trou­ve égale­ment à s’appliquer à l’incident opposant Gré­goire de Four­nas à Car­los-Martens Bilongo :

« Les méth­odes de pro­duc­tion du scan­dale sont con­nues : un jour­nal­iste de gauche s’empare d’une phrase, d’un extrait de phrase, d’un slo­gan décon­tex­tu­al­isé dans un meet­ing, d’une pho­to, puis la jette dans l’espace pub­lic ou, de plus en plus, sur les réseaux soci­aux, en oblig­eant les uns et les autres à com­menter sur le mode de l’indignation (…). Se crée immé­di­ate­ment un effet d’entrainement : per­son­ne ne veut être pris à ne pas com­menter de la manière la plus out­rée qui soit. On pour­rait le dire avec les mots d’Orwell : quand sont déclenchés les « deux min­utes de la haine », le moin­dre silence sera inter­prété comme une mar­que de dis­si­dence et d’insoumission, trans­for­mant dès lors le dis­cret en com­plice du dia­bolisé du moment, ce qui jus­ti­fiera à son tour sa pro­pre dia­boli­sa­tion. »

La méthode 1984

De fait, cet enchaine­ment des faits a été rigoureuse­ment respec­té dans l’affaire de Fournas :

- une phrase mon­tée en épin­gle et sor­tie de son contexte,

- une médi­ati­sa­tion à outrance,

- la course à l’indignation, dans ce cas de fig­ure, des députés NUPES au prési­dent de la République,

- la dia­boli­sa­tion de ceux qui ne par­ticipent pas au con­cert des cri­tiques de la per­son­ne visée.

La phrase incriminée

Jeu­di 3, sur les bancs de l’assemblée nationale, le député de la France Insoumise Car­los-Martens Bilon­go inter­pelle le gou­verne­ment sur le sort de migrants en mer méditer­ranée à bord du bateau d’une O.N.G. Un député du Rassem­ble­ment nation­al, Gré­goire de Four­nas réag­it : « qu’ils retour­nent en Afrique ».

La langue orale du français ne per­met pas de dif­férenci­er « qu’il retourne en Afrique » au pluriel « qu’ils retour­nent en Afrique ». La ques­tion est d’importance quand celui que l’on inter­pelle est noir de peau.

Mais comme Gilles Pla­tret, le maire de Chalon-sur-Saône, le souligne le 4 novem­bre sur Twit­ter en pub­liant un extrait des dits débats :

« Si la vidéo était ambiguë, la pub­li­ca­tion des débats de l’Assemblée lève tout doute ce matin : le député de Four­nas dit bien « Qu’il retourne en Afrique » au sujet du bateau de migrants et non « Retourne en Afrique » à l’adresse du député Car­los Martens Bilon­go. Pas d’injure donc ».

Mais, sans atten­dre la pub­li­ca­tion des débats par­lemen­taires, la gauche, le gou­verne­ment et les médias de grand chemin ont don­né une toute autre inter­pré­ta­tion à la petite phrase.

L’effet d’entraînement

Les réac­tions venant de la gauche et du cen­tre ont été vives. Juste après que Gré­goire de Four­nas ai pronon­cé son inter­pel­la­tion, la prési­dente de l’Assem­blée nationale, Yaël Braun-Pivet, inter­roge : « Quel est le député qui vient de pronon­cer cette phrase ?» .

Comme nous apprend un arti­cle du Figaro du 4 novem­bre, les par­lemen­taires de la Nupes qual­i­fient rapi­de­ment ces pro­pos de « racisme ». Emmanuel Macron aurait quant à lui trou­vé ces « mots intolérables », selon son entourage, etc. Des députés LR con­damnent égale­ment fer­me­ment les pro­pos du député RN. La machine est lancée.

Gré­goire de Four­nas a beau s’expliquer et pub­li­er un com­mu­niqué de presse. Ses expli­ca­tions selon lesquelles « On cherche à déna­tur­er mes pro­pos pour me faire tenir des pro­pos dégueu­lass­es » restent ignorées.

Un banc de poisson

Comme Math­ieu Bock-Côté le souligne dans ce type phénomène col­lec­tif : « per­son­ne ne veut être pris à ne pas com­menter de la manière la plus out­rée qui soit ». Comme un banc de pois­son, les médias de grand chemin ont la même inter­pré­ta­tion de l’incident à l’Assemblée nationale : Gré­goire de Four­nas a pronon­cé des pro­pos racistes.

  • France Info : « Pro­pos racistes à l’Assem­blée nationale : “Je ne vais pas démis­sion­ner”, déclare le député RN Gré­goire de Four­nas ».
  • BFMTV : « Pro­pos racistes de Gré­goire de Four­nas : Sébastien Chenu aurait “sus­pendu la séance” mais cri­tique la sanc­tion ».
  • Le Point : « Inci­dent raciste à l’Assemblée : des pro­pos « pas très fins », selon Bardel­la ».
  • RTL : « Pro­pos à teneur raciste à l’Assem­blée : qui est Gré­goire de Four­nas ? ».

On pour­rait mul­ti­pli­er les exemples.

Sans doute sous la pres­sion gran­dis­sante, la sanc­tion tombe. Le 4 novem­bre, BFMTV nous informe que, « après ses pro­pos racistes, Gré­goire de Four­nas écope de la plus lourde sanc­tion prévue par le règle­ment » (de l’Assemblée nationale NDLR).

Gilles-William Gold­nadel réag­it à la même présen­ta­tion des faits don­née par France Inter sur Twit­ter le 5 novem­bre : « 9h sur Inter : Nou­veau fake sur l’odieux visuel de ser­vice pub­lic qui évoque « les pro­pos JUGÉS racistes » du député FN. Faux, il a été sanc­tion­né pour tumulte. Soit c’est une opin­ion par­tielle et par­tiale, soit c’est un men­songe juridique

De fait, un jour­nal­iste du Point, Charles Sapin, com­mente sur Twit­ter la sanc­tion prise par le bureau de l’Assemblée nationale à l’encontre de Gré­goire de Four­nas, qui con­siste en exclu­sion pen­dant 15 jours du parlement :

« Il y a quelque chose d’ambigu, voire d’illogique, dans cette déci­sion du Bureau de l’Assemblée nationale à l’encontre du député RN Gré­goire de Four­nas. Pour motiv­er sa demande de sanc­tion, il retient comme motif la « man­i­fes­ta­tion trou­blant l’ordre, ou qui provoque une scène tumultueuse » dans l’hémicycle. Il aurait pu retenir au con­traire la « mise en cause per­son­nelle qui inter­pelle un député[…] » égale­ment prévu au règlement.
Dès lors, le bureau de l’Assemblée sem­ble accorder le béné­fice du doute au par­lemen­taire RN. L’instance con­vient que ses pro­pos ne visait pas le député LFI. Mais bien le bateau de SOS Méditer­ranée et les migrants à son bord.
Sauf que dans ce cas, l’accusation en racisme tombe. Ses pro­pos, « qu’ils retour­nent en Afrique », peu­vent être qual­i­fiés d’insupportables, de choquant, de xéno­phobes… mais c’est de l’ordre du sub­jec­tif. Et surtout, l’hémicycle en a vu d’autres.
Là où ça devient illogique, c’est du coup dans la sanc­tion retenue : cen­sure avec quinze jours d’exclusion. La plus grave. N’ayant con­nu qu’un seul précé­dent depuis 1958.
Une sanc­tion exem­plaire, jus­ti­fiée si le car­ac­tère raciste de la sor­tie du député avait été car­ac­térisé par le bureau de l’Assemblée. Ce qu’il n’a pas fait.
Pour résumer, le bureau de l’Assemblée donne droit aux argu­ments du député RN qui nie avoir inter­pelé le député LFI. Mais, dans le même temps, le sanc­tionne comme s’il l’avait fait. Curieux
 ».

Le passé refait surface

Le halo d’indignité entourant Gré­goire de Four­nas dépasse bien­tôt les seuls pro­pos incrim­inés : Le Parisien tout comme Nice-Matin, France bleu, etc., exhument le 4 novem­bre « d’anciens tweets racistes du député RN ».

Puis de Gré­goire de Four­nas, c’est au Rassem­ble­ment nation­al que les cri­tiques s’étendent.

Sophia Aram s’exprime sans réserve sur le ser­vice pub­lic de l’information, en l’espèce France Inter :

« Pour en finir avec les pro­pos racistes à l’Assemblée nationale, l’idée (lumineuse) serait d’éviter de vot­er pour des racistes ET d’ar­rêter de dére­spon­s­abilis­er ceux qui le font au nom d’une colère sen­sée jus­ti­fi­er la haine ».

Jusqu’à l’émission de J.L. Moran­di­ni le 7 novem­bre, il n’y a guère que sur les réseaux soci­aux que cer­taines pris­es de posi­tion alléguées du député LFI Car­los-Martens Bilon­go sont égale­ment évoquées.

Gilles-William Gold­nadel, l’ancien maire de Sar­celles François Pup­poni, Céline Pina, et Mohamed Louizi y vont de leurs com­men­taires. On pour­ra certes objecter que cela n’a rien à voir avec l’incident à l’Assemblée nationale.

La tête froide de Vincent Trémolet de Villers

Rares sont les jour­nal­istes à ne pas avoir cédé à l’emballement col­lec­tif. Dans un bil­let sur Europe 1, le 7 novem­bre, le jour­nal­iste Vin­cent Tré­mo­let de Villers revient sur « l’affaire » de Fournas :

« Quand il y a un emballe­ment médi­a­tique, la pre­mière règle, c’est de ne pas s’emballer, de pren­dre le temps pour faire sere­ine­ment la part des choses entre ce qui tient de la réal­ité et ce qui tient de la pos­ture. Alors, allons‑y. Niet­zsche dis­ait « Nul ne ment autant qu’un homme indigné ». Et dans cette his­toire, il y a oui beau­coup d’indignations qui tien­nent du mensonge.
Alors d’abord, il faut dis­tinguer les députés qui dans l’hémicycle ont au départ sincère­ment cru à une inter­pel­la­tion raciste, et ceux qui n’étaient pas dans l’hémicycle.
Mais depuis, Gré­goire de Four­nas s’est expliqué, le bureau de l’assemblée nationale l’a recon­nu en creux, il ne s’adressait pas à l’orateur, mais s’en pre­nait à un bateau de migrants.
Alors à par­tir de là, on peut trou­ver sa for­mule bru­tale, on peut la trou­ver grossière. On peut dire qu’elle n’est pas à la hau­teur d’un débat qui con­cerne des êtres humains qui tra­versent la méditer­ranée, par­fois au risque de leur vie.
Reste que cette phrase n’est absol­u­ment pas raciste. Dire que des immi­grés illé­gaux doivent retourn­er chez eux, c’est ce que dis­aient Emmanuel Macron et Gérald Dar­manin, c’est ce que dit la loi. Con­fon­dre racisme et poli­tique migra­toire, c’est mal­hon­nête et c’est dan­gereux. On a claire­ment assisté à une util­i­sa­tion de l’antiracisme à des fins idéologiques ».

Épilogue

Dans un arti­cle du 7 novem­bre, Le Figaro nous informe que Gré­goire de Four­nas se « pose la ques­tion» d’at­ta­quer la presse « en diffama­tion ».

Puis le 8 novem­bre, nous apprenons par France Info que « le député Car­los Martens Bilon­go compte porter plainte », ayant « reçu une cen­taine d’in­sultes racistes et de men­aces dans sa boîte e‑mail depuis qu’il a été inter­pel­lé à l’Assem­blée nation­al par Gré­goire de Four­nas. (…) Sa plainte veut vis­er à la fois les expédi­teurs des mes­sages racistes, mais aus­si les chaînes de télé qui, d’après, lui font cir­culer de fauss­es infor­ma­tions à son sujet ».

Cette affaire com­mencée sur les bancs de l’Assemblée nationale pour­rait donc se ter­min­er sur les bancs des pré­toires du tri­bunal… À suiv­re, donc.

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