Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Médias : Trump lance sa « Révolution permanente »

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

7 décembre 2016

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Médias : Trump lance sa « Révolution permanente »

Médias : Trump lance sa « Révolution permanente »

Temps de lecture : 7 minutes

La court-circuitant sans cesse, s’attaquant à son amour-propre comme à sa bourse, Trump poursuit son dressage de l’industrie des médias. Une industrie qui s’engouffre dans le trou noir de la concentration financière.

Le Pew Research Cen­ter a pub­lié le 15 juin 2016 son « état des lieux » (State Of The News Media 2016), décrivant le stress de l’industrie : « Le secteur des jour­naux est prob­a­ble­ment au pire depuis la réces­sion. Les quo­ti­di­ens (papi­er et numérique) ont encore bais­sé de 7%, soit la plus forte chute depuis 2010. En 2015, les revenus pub­lic­i­taires des jour­naux cotés en bourse ont per­du 8%, entrainant des pertes finan­cières, y com­pris pour les numériques ». Pew Research explique ensuite que la presse quo­ti­di­enne emploie 33 000 jour­nal­istes, dont une grande par­tie dépend de la poli­tique. Wash­ing­ton (DC) aspire 32 % des jour­nal­istes, cepen­dant que 38% se con­cen­trent dans les cap­i­tales des 50 États. Les salles de presse ont per­du 10% de leurs effec­tifs en 2015 et … 20 000 per­son­nes en 20 ans !

Pas éton­nant que la val­ori­sa­tion des entre­pris­es de presse dimin­ue autant que leurs effec­tifs, ouvrant la voie aux raiders. Plus grave (tou­jours selon Pew) seuls 5% des améri­cains con­sid­éraient (en début d’année) l’information des jour­naux comme source « la plus utile » à leur com­préhen­sion de la cam­pagne électorale.

Quant à la télévi­sion, dont le chiffre d’affaire croît (encore), elle est con­cur­rencée par le numérique, en par­ti­c­uli­er dans le créneau-clé des nou­velles, où l’audience est en déclin con­tinu dans les chaines clas­siques. Aujourd’hui 62% des adultes s’informent sur les médias sociaux.

A ne pas pou­voir chang­er la tem­péra­ture, les médias en sont con­duits à cass­er le thermomètre.

Casser les médias sociaux ?

D’où la cam­pagne actuelle, lancée par le Prési­dent Oba­ma lui-même, assim­i­lant les médias soci­aux à des vecteurs de fauss­es nou­velles, ces “fake news” qui auraient fait élire Trump à l’instigation de la Russie. Une jus­ti­fi­ca­tion de la censure ?

Face aux attaques d’une presse craig­nant pour son écosys­tème, Trump soumet les grands médias à la douche écos­saise, mêlant sevrage, mar­gin­al­i­sa­tion, et appât du gain. Avec plusieurs angles d’attaque :

  • désacral­i­sa­tion : les médias ne sont qu’un vul­gaire busi­ness. Ain­si « Mon­sieur 10 mil­liards » met à nu les jour­nal­istes pour ce qu’ils sont : des employés de sociétés en perte de vitesse, privés d’ascendant moral… et dont le job est moins que garan­ti. Déroutant pour ceux qui ont cou­tume de voir les politi­ciens trembler.
  • com­pé­tence : on ne peut pas faire con­fi­ance à des jour­nal­istes qui n’ont réelle­ment rien vu venir dans ces 18 mois de cam­pagne. Pourquoi une telle absence de per­spi­cac­ité pro­fes­sion­nelle ? Pire encore que la malhonnêteté.
  • hon­nêteté : les jour­nal­istes ont essen­tielle­ment soutenu Clin­ton par néces­sité ali­men­taire, se nour­ris­sant paresseuse­ment d’un sys­tème qui a floué Bernie Sanders et mas­sacré Trump. Clin­ton a per­du… et les médias refusent main­tenant (mais pas Oba­ma) d’analyser les raisons de son échec. Mau­vais perdants…
  • marchandage : lais­sant les patrons de presse dans le flou, Trump leur fait crain­dre une exclu­sion du Corps de presse prési­den­tiel. Ce groupe pres­tigieux com­prend une cinquan­taine de cor­re­spon­dants postés à la Mai­son Blanche qui « suiv­ent » le prési­dent en con­tinu, par­tic­i­pant entre autre aux con­férences ou aux points de presse du Prési­dent et de son équipe. Trump n’a tou­jours pas pris posi­tion sur les heureux élus.
  • démoc­ra­tie directe : ridi­culisé pour ses tweets, Trump a créé un univers par­al­lèle pen­dant la cam­pagne, qu’il tend main­tenant à exploiter à la façon des gardes rouges de Mao, jour­nal­istes et par­lemen­taires tou­jours nerveux du risque de fig­ur­er dans quelque dàzìbào Il a ain­si con­sti­tué ses sec­tions de gardes rouges, rassem­blant ses alliés de la presse inter­net (Drudgere­port, Wash­ing­ton Times, LifeZette, Dai­ly Caller, Breibart etc.) qui ont mobil­isé plus de 62 mil­lions d’électeurs pen­dant la campagne.
  • « Révo­lu­tion Per­ma­nente » : Trump innove avec le lance­ment sur YouTube du pro­gramme de ses pre­miers 100 jours, sans con­férence de presse. Puis il lance, le 1er décem­bre à Cincin­nati une « tournée de remer­ciement » dans les états piv­ots du Rust Belt (ce « mur bleu » ouvri­er qu’il a fait bas­culer), avec un triple objec­tif : se ressourcer dans le bain de foule, lancer ses annonces majeures à chaque meet­ing devant des caméras dev­enues dernières roues du car­rosse (ain­si, à Cincin­nati, la nom­i­na­tion de son Min­istre de la Défense… et la déci­sion, suite à son inter­ven­tion, de la société Car­ri­er-Unit­ed tech­nolo­gies d’annuler l’installation au Mex­ique d’une impor­tante unité de fab­ri­ca­tion), et enfin rap­pel­er aux par­lemen­taires répub­li­cains qu’il ne tra­vaille pas pour eux et qu’ils n’ont qu’à bien se tenir.

Guide de survie du trumpisme

L’ancien Speak­er Newt Gin­grich vient de for­muler au béné­fice de Trump un guide de survie du « trump­isme », sous forme de trois con­seils: ne pas devenir « raisonnable », régler les prob­lèmes de fond et pas les symp­tômes, faire pass­er l’importance avant l’urgence. Il insiste : « en se lev­ant chaque matin [Trump] devrait relire ses promess­es élec­torales… il doit son élec­tion au peu­ple qui a cru en lui et non aux cour­tisans qui l’ont méprisé avant de l’aimer parce qu’il a été élu. »

Trump, l’homme du dàzìbào, avance égale­ment en trot­skiste activiste, sachant que l’establishment le sou­tient comme la corde le pen­du et espère lui forcer la main en matière inter­na­tionale, comme ce fut le cas pour George W. Bush et Barak Oba­ma. Tous deux élus sur un pro­gramme paci­fiste et de redresse­ment économique intérieur, pour se con­ver­tir ensuite à la réou­ver­ture de la Guerre Froide. Résul­tat : la dette publique est passée de 5 000 mil­liards de dol­lars à 20 000 mil­liards entre 2000 et 2016.

Trump se con­stitue une équipe offi­cielle et offi­cieuse, com­posée des proches en charge de la « vision », des tech­nocrates en charge de l’exécution ain­si que de la cui­sine politi­ci­enne. Reste à pour­voir son équipe médias et com­mu­ni­ca­tion, respon­s­able de l’ « agit­prop prési­den­tielle». Quel que soit leur rôle nom­i­nal, trois pas­sion­ar­ias influ­entes et con­nec­tées seront prob­a­ble­ment appelées : Kellyanne Con­way, Mon­i­ca Crow­ley, et Lau­ra Ingraham.

Troika féminine

Con­way est très proche de la mil­liar­daire con­ser­va­trice Rebekah Mer­cer qui a financé Trump. La voix douce et le com­men­taire acéré, la 3e et dernière direc­trice de la cam­pagne de Trump a su canalis­er l’énergie du can­di­dat. Son surnom : « The Trump whis­per­er » (que l’on pour­rait traduire par « celle qui mur­mure à l’oreille de Trump »). Car elle est la seule qui sache cor­na­quer Trump. Il est ques­tion qu’elle agisse en mer­ce­naire, de l’extérieur, avec la famille Mer­cer, afin de gér­er la « 4e cam­pagne » de Trump : celle du con­tre­pou­voir pop­uliste face aux résis­tances de Wash­ing­ton, caisse de réson­nance de la Mai­son Blanche, hors des fron­tières du poli­tique­ment correct.

Crow­ley avait assisté l’ex-président Richard Nixon dans la rédac­tion de ses arti­cles et ouvrages. Elle a ensuite fait car­rière dans la presse con­ser­va­trice, avec des inter­ven­tions et arti­cles remar­qués chez Fox News comme au Wash­ing­ton Times. Elle a prédit dès le début la vic­toire de Trump et a pro­duit plusieurs arti­cles de fond recy­clés par Trump dans la pré­pa­ra­tion de ses débats. Spé­cial­iste des affaires étrangères, elle a évolué de l’hégémonisme au trump­isme dès l’année dernière. Elle pour­rait égale­ment met­tre ce tal­ent à contribution.

Lau­ra Ingra­ham est une étoile mon­tante. La créa­trice de Lifezette est une dialec­ti­ci­enne, con­nais­sant ses dossiers, struc­turée dans son argu­men­ta­tion, et par­lant con­crète­ment. Elle est la plus pop­uliste des trois pas­sion­ar­ias, mêlant le charme à la bru­tal­ité. C’est elle qui a fait allu­sion à une refonte totale du corps de presse prési­den­tiel, qui serait ouvert aux forces nou­velles de l’industrie, des États-Unis comme de l’étranger. Les travaux d’assèchement du marécage sem­blent avoir commencé.

En atten­dant les grands médias, dont CNN, per­dent leur calme, espérant peut-être que le recomp­tage des voix du Wis­con­sin, de la Penn­syl­vanie, comme du Michi­gan, ne sera pas ter­miné avant le 19 décem­bre, date de l’élection « juridique » du Prési­dent, créant ain­si une con­fu­sion con­sti­tu­tion­nelle qui fera mon­ter les recettes publicitaires.

Crédit pho­to : Gage Skid­more via Wiki­me­dia (cc)