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TMTG : Trump attaque les GAFAM sur leur propre terrain

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18 janvier 2022

Temps de lecture : 8 minutes
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TMTG : Trump attaque les GAFAM sur leur propre terrain

Temps de lecture : 8 minutes

Rappel : Donald Trump s’était fait élire en 2016 sans pouvoir commercialement exploiter son cheptel. La campagne des primaires présidentielles de 2015–16 avait d’abord transformé sa tribu de partisans (les 4 millions d’adeptes de son show The Apprentice) en 15 millions d’électeurs. Puis, dans la dernière ligne droite le menant à son élection en novembre 2016, il avait pu récolter 62 millions d’ouailles. Un capital considérable de fidélité, convertible en business médiatique potentiel, s’est bel et bien ainsi constitué, qui s’est d’ailleurs renforcé le 3 novembre 2020, avec plus de 74 millions de votes. Ce qui n’a pas empêché Trump de perdre pour — peut-être ? — devenir plus puissant encore.

Les médias dominants règlent leurs comptes

L’on savait déjà que la famille Kush­n­er-Trump avait jeté un œil en 2018 du côté des chaînes de télévi­sion régionales syn­di­cal­isées – par exem­ple le réseau Sin­clair – afin de tir­er le tapis sous les pieds des médias de grand chemin et d’y sub­stituer une force dix fois plus grande, en ter­mes d’audience. Par-delà les rideaux de fumée des six années de poli­tique-spec­ta­cle que nous avons vécues, il est ain­si pos­si­ble de com­pren­dre les raisons pro­fondes de la haine des médias à l’égard de Trump. Les punais­es de sac­ristie de l’unique par­ti des prédes­tinés de l’Histoire voient bel et bien en lui un dan­ger exis­ten­tiel alors que le secteur des médias est lui-même en crise.

Trump élu en 2016, les dites punais­es lui ont depuis infligé un har­cèle­ment sys­té­ma­tique tiré des bonnes pra­tiques de tout change­ment de régime, usant de l’argent et des bureau­craties. La mon­tagne Trump en con­séquence accoucha d’une souris lors de la prési­den­tielle de 2020 : Trump, désor­mais pro­scrit des médias, perdit finan­cière­ment beau­coup de plumes. Pour faire bonne mesure, une épu­ra­tion était lancée, visant non seule­ment Trump mais ses acolytes poli­tiques, ain­si que nous le pressen­tions il y a un peu plus d’un an. Cela com­mença avec le 2e impeach­ment, post élec­toral (une pre­mière aux États-Unis pour un Prési­dent) et focal­isé cette fois-ci sur « l’insurrection » — sous-enten­du par les supré­macistes blancs — du 6 jan­vi­er. Mais les répub­li­cains, pru­dents, refusèrent de jouer le jeu de l’inéligibilité à vie pour Trump, à un moment où une majorité des électeurs répub­li­cains pen­saient que l’élection de Trump lui avait été « volée ». Trump fut donc acquit­té grâce à des élus qui ne l’aimaient pas tous. Alors, fini la Trumpopho­bie? Que nen­ni! Il fal­lait se remet­tre à l’ouvrage.

Les oligarques pour un changement constitutionnel excluant Trump

Con­scient des insuff­i­sances de Biden, ou plutôt espérant pou­voir le rem­plac­er en cours de route sans trop de risques, le con­glomérat des oli­gar­ques a illi­co haussé les enchères, en insti­tu­ant vite fait bien fait une com­mis­sion par­lemen­taire aux con­tours con­sti­tu­tion­nels impré­cis afin de scé­naris­er— le mot est juste — une his­toire visant à ren­dre Trump inéli­gi­ble, et surtout aus­si exclure du Con­grès une cen­taine (?) d’élus trump­istes, usant d’antécédents légaux datant de l’après-guerre de séces­sion qui avait per­mis de purg­er le Con­grès de Wash­ing­ton des sud­istes et pro-sud­istes, lesquels avaient effec­tive­ment été par­tie d’une insur­rec­tion mar­quée par 610 000 morts..

S’il adve­nait que cette opéra­tion réus­sisse, la voie serait donc ouverte à l’oligarchie pour procéder à des change­ments con­sti­tu­tion­nels majeurs per­me­t­tant de pass­er du « gou­verne­ment » (État nation­al) à la « gou­ver­nance » (État pri­vatisé), tirant par­ti de la décon­struc­tion dev­enue irréversible (?) des États-Unis : point de citoyens mais des « com­mu­nautés », adieu aux lois mais bon­jour aux « normes », non aux principes, oui aux « valeurs », à bas le fédéral­isme, vive la démo­gra­phie, au dia­ble le peu­ple, que règne à jamais « notre démoc­ra­tie ».

Élargissement de la Cour Suprême

C’est dans cette esprit qu’il faut com­pren­dre les pro­jets d’élargissement mas­sif du nom­bre de juges à la Cour Suprême (celle-ci selon ses règles sécu­laires et sa démo­gra­phie devant rester « con­ser­va­trice » pen­dant dix à 15 ans, ce qui blo­querait toute réforme majeure), ou ceux de créa­tion de deux états nou­veaux au sein de la fédéra­tion afin de cass­er le roc répub­li­cain très sou­vent dom­i­nant au Sénat (notons que cette insti­tu­tion représente non le peu­ple mais les 50 Etats, à rai­son de deux élus par état, indépen­dam­ment de leur poids démo­graphique). En out­re, serait envis­agée la mod­i­fi­ca­tion du sys­tème élec­toral qui serait désor­mais sous le con­trôle du pou­voir cen­tral (l’élection prési­den­tielle de 2020 en a été le lab­o­ra­toire covi­di­en), ou encore le pro­jet de sup­pres­sion du col­lège élec­toral , l’actuel sys­tème d’élection indi­recte inscrit dans la con­sti­tu­tion : les délégués sont élus par les électeurs de chaque état pour for­mer le col­lège, lequel en final nomme le Prési­dent avant que la Cham­bre des représen­tants avalise sa déci­sion. Ce qu’elle fit sans dif­fi­culté le 6 jan­vi­er 2021 mal­gré ou peut-être à cause de la désor­mais célèbre « insurrection »

Épuration électorale ?

Les États-Unis sont donc le lab­o­ra­toire d’un État en voie de dépérisse­ment, aux lib­ertés publiques archaïques, et dont la pra­tique démoc­ra­tique sera un jour avalée par le trou noir numérique, nou­veau nom­bril du monde. Tel est l’enjeu perçu par Trump : la pandémie et « l’insurrection » domi­nent l’avant-scène, et tout se passe comme si une nou­velle ver­sion des films « Wag the dog » (des hommes d’influence ) ou « Cana­di­an bacon » était pro­jetée en boucle sur les parois de la cav­erne des idée reçues, afin de pré­par­er l’opinion à une épu­ra­tion, celle de 74 mil­lions d’irréductibles opposants à l’oligarchie, dépeints à la fois en ter­ror­istes insur­rec­tion­nels racis­to-fas­cistes et agents poutinistes.

 Joe sleeping Biden à la dérive

Car cette stratégie est la seule qui puisse per­me­t­tre à l’oligarchie de gag­n­er les élec­tions de 2022 (Con­grès) et 2024 (Mai­son Blanche) si l’on en juge par le sur­prenant chaos de l’administration Biden : ni lui, ni Kamala Har­ris ne sem­blent aujourd’hui faire le poids. Face à la men­ace de la « dic­tature » trump­iste, se pro­jette désor­mais l’idée d’une stratégie de salut pub­lic : on com­mencerait par « rem­plac­er » Kamala Har­ris par la néo­con­ser­va­trice Liz Cheney afin de don­ner une image « bipar­ti­sane » à la chance­lante prési­dence Biden. Pen­dant ce temps, Hillary Clin­ton serait propul­sée comme la can­di­date Démoc­rate anti racis­to-fas­ciste, quitte à ce que cette dernière pro­pose de nom­mer Liz Cheney au poste de vice-prési­dente. A moins que Michelle Oba­ma sorte de son bois .

« Domestic terrorism »

Quant aux répub­li­cains, ils risquent la cas­tra­tion du fait des enquêtes à répéti­tion du min­istère de la jus­tice con­tre le ter­ror­isme dit nation­al : une unité spé­ciale vient en effet d’être créée au Min­istère de la jus­tice con­tre le « domes­tic ter­ror­ism », autrement dit con­tre ceux qui haïssent « notre démoc­ra­tie », celle des oli­gar­ques invis­i­bles si bien décrits par Bernays (le neveu de Freud). Pris­on­niers des dona­teurs, les répub­li­cains ne seraient en aucune façon capa­bles de se présen­ter comme ceux qui vont ren­dre leur pays à ses citoyens. Des citoyens qui, après une crise san­i­taire lan­guis­sante, se sont déjà soumis à l’idée de sac­ri­fi­er leurs lib­ertés à leur sécurité.

Réponse de Trump

Tel est le sché­ma des chaos à venir. Un cham­pi­on du tout numérique mon­di­al­isé est donc atten­du dans le camp des réfrac­taires. Alors, si la mon­tagne ne va pas à Mahomet, Mahomet ira à la mon­tagne. C’est ce que fait Trump. Et, une fois encore, il sur­prend. Avant même d’avoir com­mencé, son groupe de médias et tech­nolo­gies valait déjà 10 mil­liard de $ en novem­bre dernier.

L’idée générale (expli­ca­tions ici et ici) a été pour Trump et ses alliés de créer un véhicule vide chargé d’acquérir son nou­veau groupe tech­no-médi­a­tique en cours de con­sti­tu­tion, le Trump Media and Tech­nol­o­gy Group. Le véhicule d’acquisition, le Dig­i­tal World Acqui­si­tion, appar­tient à la caté­gorie des SPAC (spe­cial pur­pose acqui­si­tion com­pa­ny). Il fait appel dans un pre­mier temps aux investis­seurs qui reçoivent actions et autres out­ils d’investissements (par exem­ple des options d’achat). Ces investis­seurs sont insti­tu­tion­nels, mais égale­ment des indi­vidus ou lob­bies qui furent ulcérés par les résul­tats de l’élection, ain­si que par l’actuelle cam­pagne visant à purg­er toute vel­léité d’opposition au com­plexe oli­garchique qui dirige le pays. Ces investis­seurs ont d’ailleurs été chauf­fés à blanc par les dif­férentes ini­tia­tives de Trump visant à dis­créditer les résul­tats de l’élection de novem­bre 2020 (les fonds élec­toraux ou de lutte con­tre la fraude liés à Trump ont déjà levé beau­coup d’argent).

L’objectif est de fusion­ner dans un sec­ond temps la Dig­i­tal World Acqui­si­tion, cotée en bourse, avec le Trump Media & Tech­nol­o­gy Group, non coté, qui sera dirigé par un par­lemen­taire cal­i­fornien, Devin Nunes, qui fut un solide défenseur de Trump durant la « révo­lu­tion de couleur » (Rus­si­a­gate, Ukrainegate, Insur­rec­tion­gate) orchestrées par les oli­gar­ques du Con­grès con­tre le prési­dent orange.

Concurrencer les Gafam

Oui, Trump veut con­cur­rencer Face­book, Twit­ter, YouTube. Il espère pénétr­er le cloud en cer­tains domaines, et a un œil sur les mon­naies virtuelles numériques, et les activ­ités d’édition/distribution, voire aus­si la télé­phonie. Bref, en ces péri­odes de purge poli­tique orwelli­enne, cela peut avoir un effet d’entraînement con­sid­érable. Il va de soi cette ini­tia­tive est déjà harcelée. Ain­si, par­mi d’autres, la séna­trice Eliz­a­beth War­ren a demandé à la SEC (l’équivalent de la com­mis­sion des opéra­tions de bourse), d’enquêter sur le pro­jet afin de véri­fi­er si Trump a bien respec­té la loi. Afin de faire dur­er le doute pen­dant suff­isam­ment longtemps pour le ren­dre obsolète : une sorte de Nordstream2, en somme.

Le pro­jet gigan­tesque de l’ex-Président sera-t-il saboté ? Est-ce (comme c’est par­fois présen­té) une sorte d’escroquerie à l’encontre de ses pro­pres électeurs ? Ou tout sim­ple­ment un moyen pour Trump d’utiliser les règles et les codes de l’establishment afin de le détru­ire de l’intérieur? Affaire à suivre…