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Une si belle Saint Sylvestre dans les médias, revue de presse

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26 juillet 2020

Temps de lecture : 6 minutes
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Une si belle Saint Sylvestre dans les médias, revue de presse

Temps de lecture : 6 minutes

[Pre­mière dif­fu­sion le 6 jan­vi­er 2020]

Le premier jour de l’année est un peu spécial en France. Après la fête de la Saint Sylvestre, on sait que le passage à la nouvelle année est invariablement émaillé d’« incidents » dans le pays. Heureusement, certains journalistes sont là pour prolonger la très légère euphorie du nouvel an. Au point d’occulter la gravité des événements. Revue de presse et des réseaux sociaux.

France 3 metteur en scène lénifiant et militant

Si le pre­mier de l’an, au sor­tir d’un som­meil répara­teur après un réveil­lon agité, vous prenez des nou­velles du pays en regar­dant le jour­nal télévisé de France 3 de 12h30, la douce euphorie de ce début d’année pour­ra se pro­longer sans soucis.

Il est vrai que les images des jeux de lumière sur l’arc de tri­om­phe et du feu d’artifice sur les Champs Élysées en ce soir du 31 décem­bre 2019 sont impres­sion­nantes. Quelques menus inci­dents sont briève­ment résumés : « le réveil­lon a été fes­tif partout en France, mais agité à Stras­bourg et les pétards à Hague­nau ont fait un mort ».

Bonne nou­velle, cela aura donc été – beau­coup – plus calme cette année que d’habitude. Pour illus­tr­er le pas­sage fes­tif à la nou­velle année, il est impor­tant pour France 3 de don­ner la parole à… un clan­des­tin. Ain­si apprend-on dans le reportage sur les Champs Élysées que « l’heure des vœux et espoirs a son­né même pour ces jeunes migrants fraiche­ment débar­qués en France ». Un clan­des­tin, c’est pour France 3 un migrant africain. Celui-ci exprime ses vœux au jour­nal­iste de France 3 : « des papiers, des for­ma­tions pour des jeunes migrants ».

Plutôt que de don­ner la parole à un pro­prié­taire d’une des nom­breuses voitures incendiées, il sem­blait apparem­ment impor­tant au ser­vice pub­lic de télévi­sion de rap­pel­er aux téléspec­ta­teurs en ce pre­mier jour de l’année que de nom­breux clan­des­tins, qui imposent leur présence en France, atten­dent leur régu­lar­i­sa­tion… Nous voilà ras­surés, le mil­i­tan­tisme à peine voilé de cer­tains jour­nal­istes offi­ciant sur la chaine publique est tou­jours présent en 2020.

Le Parisien de Bernard Arnault dans le même ton

Si vous lisez la presse, par exem­ple l’édition fran­cili­enne du 2 jan­vi­er 2020 du Parisien, vous ne trou­verez égale­ment pas d’informations alarmistes, bien au con­traire. Le sous-titre de l’article con­sacré aux inci­dents de la saint Sylvestre est dans la même tonal­ité ras­sur­ante que celle de France 3 : « les tra­di­tion­nels trou­bles du 31 décem­bre ont en revanche été glob­ale­ment maitrisés ». Le jour­nal­iste se base pour affirmer cela sans recul sur une « source sécu­ri­taire ».

Une maitrise toute rel­a­tive puisque le jour­nal nous apprend que les forces de l’ordre ont été pris­es à par­tie dans plusieurs villes d’ile de France, qu’il y a eu deux morts acci­den­telles et quelques échauf­fourées à Vénissieux, Stras­bourg, Nantes et Limoges.

Les ter­mes lénifi­ants util­isés con­tre­dis­ent les faits de vio­lence décrits, comme si le jour­nal­iste s’empêchait de trans­gress­er une norme implicite de bien­séance qui sied en ces circonstances…

Rencontre par hasard d’un bidon d’essence et d’une allumette

Sur les réseaux soci­aux, le Prési­dent améri­cain Don­ald Trump iro­nise peu avant le pas­sage au nou­v­el an sur les vio­lences com­mis­es en France, suite à un tweet d’un touriste améri­cain mon­trant des voitures incendiées à Paris. L’obsession de ras­sur­er est tou­jours présente : le pre­mier adjoint à la maire de Paris est rapi­de si l’on ose dire, à « étein­dre le feu » sur twit­ter. Il n’y aurait eu selon lui « que » six voitures incendiées « prob­a­ble­ment par acci­dent ». Un bidon d’essence et des allumettes devaient train­er par là et se sont subite­ment rencontrés…

Retour brutal au réel

Pour­tant, pour qui se donne la peine de sor­tir des sen­tiers bat­tus et rebat­tus de l’information des médias de grand chemin, les nou­velles ont rapi­de­ment été inquié­tantes. Dès l’après-midi du 1er jan­vi­er, le site Fdes­ouche com­mence à recenser les mul­ti­ples vio­lences urbaines qui se sont pro­duites un peu partout en France. À Cannes, Saint-Éti­enne, Besançon, Limo­ges, Mont­pel­li­er, Lattes, Bor­deaux, Greno­ble, Nice, Toulouse, etc. Des policiers attaqués, un nom­bre con­sid­érable des voitures brulées sur lequel le min­istre de l’intérieur ne com­mu­nique plus, des scènes d’émeutes urbaines. La « maitrise glob­ale » des inci­dents parait déjà toute relative…

L’article con­sacré à ce sujet dans l’édition du 2 jan­vi­er du Figaro est net­te­ment plus incisif que France 3 et Le Parisien. Ce sont des agres­sions physiques con­tre des policiers et des pom­piers qui sont men­tion­nées. Le jour­nal­iste par­le de scènes d’émeutes à Stras­bourg, des scènes dont il faut aller chercher les images sur les réseaux soci­aux, notam­ment sur le compte twit­ter de Damien Rieu qui a ce com­men­taire : «  Des images que vous ne ver­rez pas dans les médias ». Effec­tive­ment, il sem­ble apparem­ment impor­tant pour les médias de grand chemin de ne pas ternir ce pre­mier jour de l’année par des images édi­fi­antes sur une cer­taine réal­ité des ban­lieues françaises.

Loin des pro­pos lénifi­ants du Parisien et de France 3, c’est le con­stat que cette vio­lence urbaine et cet ensauvage­ment con­cer­nent désor­mais l’ensemble du pays et plus seule­ment les grandes villes. Sans dévelop­per le sujet, le jour­nal­iste par­le de la « crise » qui sévit tou­jours dans les ban­lieues. 

Contraste entre la France et la Pologne, parce que…

Il est par­fois utile d’avoir le recul d’un jour­nal­iste étranger pour rap­pel­er que ces vio­lences sont totale­ment anor­males et scan­daleuses. Marek Gladysz, un jour­nal­iste polon­ais de la radio RMF 24 évoque le 1er jan­vi­er sur le plateau de LCI le con­traste entre la sit­u­a­tion dans cer­taines rues français­es durant la nuit de la Saint Sylvestre et les pro­pos tou­jours lénifi­ants du min­istre de l’intérieur français à ce sujet. David Pujadas en reste inter­loqué et a du mal à réalis­er qu’en Pologne, il y a des feux d’artifice, mais pas de voitures incendiées et d’agressions con­tre des policiers et des pom­piers à l’occasion du nou­v­el an.

C’est donc à un jour­nal­iste étranger, issu d’un pays préservé de l’immigration mas­sive, que nous devons ce rap­pel : nous nous sommes habitués en France à l’inacceptable, notre degré de tolérance vis-à-vis de ces vio­lences n’a fait qu’augmenter. Une vio­lence dont les habi­tants des « quartiers » sont sou­vent les pre­mières vic­times. Comme si elle était désor­mais un folk­lore fran­co-français dont l’intensité ne fait que croitre d’année en année.

Nous lais­serons la con­clu­sion à l’ancien Préfet Michel Auboin. S’exprimant sur la sit­u­a­tion dans les ban­lieues, il affirme au jour­nal­iste de Valeurs actuelles : « Les poli­tiques n’assument plus leur rôle de censeur. Mais c’est aus­si parce que les « quartiers » ont gag­né la bataille médi­a­tique ». On ne saurait mieux dire.