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Retour de djihadistes en France : une annonce de la Ministre de la justice sans controverse médiatique

14 janvier 2020

Temps de lecture : 8 minutes
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Retour de djihadistes en France : une annonce de la Ministre de la justice sans controverse médiatique

Temps de lecture : 8 minutes

La ministre de la justice a évoqué samedi 11 janvier l’éventualité du rapatriement de djihadistes français détenus en Syrie. Cette annonce a tout du ballon d’essai lancé dans les médias, afin de prendre le pouls de l’opinion publique. Les médias français ont encore une fois été peu critiques face à cette annonce qui si elle était suivie d’effets pourrait être lourde de conséquence pour la sécurité des français.

Cartes postales politiques

Con­nais­sez-vous les « cartes postales » en poli­tique ? il ne s’agit pas de la carte en car­ton que l’on envoie avec un tim­bre de son lieu de vacances. Non, il s’agit dans le cas présent de mes­sages qu’envoient les respon­s­ables poli­tiques, par­fois pour se rap­pel­er au bon sou­venir des électeurs, par­fois pour son­der l’opinion publique et pren­dre des déci­sions en fonc­tion des réac­tions à l’annonce faite à cette occasion.

L’annonce qu’a faite la min­istre la jus­tice Nicole Bel­lou­bet au jour­nal Libéra­tion le 11 jan­vi­er a tout de la carte postale. On prend le pouls de l’opinion publique. Si elle n’est pas trop rétive sur le sujet sen­si­ble que l’on a annon­cé, on trans­forme l’essai et on con­cré­tise ce qui a été envisagé.

Libération sert la soupe

C’est donc à Libéra­tion que la min­istre de la jus­tice a livré ses com­men­taires sur plusieurs « dossiers sen­si­bles ». Par­mi ces sujets, Nicole Bel­lou­bet est inter­rogée sur la sit­u­a­tion des dji­hadistes français détenus en Syrie. Le jour­nal­iste de Libéra­tion pose à la min­istre une ques­tion en enton­noir, en présen­tant une série d’arguments en faveur du rap­a­triement en France de com­bat­tants de l’État islamique. Après avoir énuméré la sit­u­a­tion préoc­cu­pante en Irak, l’impossibilité de laiss­er la Syrie juger des dji­hadistes français, le refus de l’Irak de les juger et le fait que les kur­des qui les déti­en­nent n’ont pas un État con­sti­tué en mesure de les juger, le jour­nal­iste demande à la min­istre : « le rap­a­triement n’est-il pas inéluctable ? ».

C’est ce que l’on appelle vul­gaire­ment « servir la soupe ». La min­istre n’a même pas à dévelop­per des argu­ments qui viendraient à l’appui de sa réponse. Le jour­nal­iste de Libéra­tion lui les apporte sur un plateau. La min­istre n’a plus qu’à répon­dre : « on ne peut pren­dre le risque d’une dis­per­sion dans la nature ». Puis elle cherche à tran­quil­lis­er les lecteurs : « Tout com­bat­tant qui serait rap­a­trié serait judi­cia­risé comme nous l’avons tou­jours fait ».

La couverture médiatique de la déclaration de la Ministre : entre neutralité et empathie

On pour­rait penser que cette déc­la­ra­tion provo­querait une tem­pête de réac­tions inquiètes ou indignées dans les médias ou une par­tie d’entre eux. Loin de là, à rebours de l’opinion publique, les médias de grand chemin oscil­lent dans cette annonce à peine voilée du rap­a­triement en France de guer­ri­ers de l’État islamique entre neu­tral­ité et empathie.

La neu­tral­ité se véri­fie dans l’absence dans cer­tains arti­cles de tout com­men­taire et de tout point vue autre sur la ques­tion que celui de la min­istre. Ain­si Le Point évoque factuelle­ment « Bel­lou­bet (qui) songe au rap­a­triement de dji­hadistes français en Syrie».

Plus nom­breux sont les médias à non seule­ment repren­dre les pro­pos de la min­istre, mais aus­si à don­ner la parole à un col­lec­tif qui milite pour…le rap­a­triement des dji­hadistes et de leurs proches.

C’est le cas de L’Express , du Monde , de 20 Min­utes, de RT France, du Figaro , etc., dans des arti­cles sou­vent rédigés à par­tir d’une dépêche de l’AFP. Plusieurs médias repren­nent les pro­pos d’un mem­bre du col­lec­tif « Familles unies » qui salue l’inflexion de la min­istre sur ce sujet. Le Parisien donne égale­ment la parole à un mem­bre de ce col­lec­tif et insiste sur la sit­u­a­tion des femmes et des enfants qui sont en Irak. L’avocate des familles de proches par­tis en Irak estime que « les familles attendaient depuis longtemps que le gou­verne­ment retrou­ve la rai­son ».

Des risques évidents passés sous silence

Peu de médias ont pris le temps d’apporter d’autres argu­ments que ceux de la min­istre de la jus­tice et de l’association prô­nant le retour des français par­tis pour l’État islamique. L’Opinion évoque la « désagré­ga­tion » de l’État irakien. Mais le jour­nal men­tionne égale­ment une enquête de ter­rain réal­isée par un chercheur sur les pris­ons français­es. Il en ressort que « la pro­pa­gande islamiste » s’y est large­ment dif­fusée. L’opposition de l’ancien pre­mier min­istre, Manuel Valls, au rap­a­triement en France de dji­hadistes est égale­ment mentionnée.

A quelques excep­tions près, les dif­férents médias n’ont pris aucun recul vis-à-vis de l’argumentaire dévelop­pé par Libéra­tion. Les seules per­son­nes inter­rogées à ce sujet sont la min­istre de la jus­tice, l’association de dji­hadistes proches par­tis en Syrie et l’avocate de cette association.

Il y a un an, fin jan­vi­er 2019, le gou­verne­ment, le Quai d’Orsay cette fois, avait déjà lancé un bal­lon d’essai en évo­quant le rap­a­triement de 130 dji­hadistes. Comme nous le rela­tions dans un arti­cle paru le 8 févri­er, le retourne­ment de doc­trine du gou­verne­ment français à ce sujet, alors qu’il a tou­jours affir­mé que les dji­hadistes doivent être jugés dans le pays de leurs méfaits, avait été relayé sans recul par de nom­breux médias français de grand chemin.

Les autres options que le rapatriement

En ce début d’année, l’histoire se répète :

- la déten­tion en Syrie de dji­hadistes est présen­tée comme plus risquée qu’en France,

- les seules per­son­nes inter­rogées sont un représen­tant du gou­verne­ment français et des proches de ceux qui sont par­tis en Syrie,

- les seuls argu­ments présen­tés mili­tent en faveur du rap­a­triement des dji­hadistes et de leurs proches.

Des questions que l’on ne pose pas

Pour­tant, plusieurs élé­ments s’opposent à ceux présen­tés par la min­istre et l’association des proches de ressor­tis­sants par­tis rejoin­dre l’Etat islamique :

- La pos­si­bil­ité de con­fi­er les dji­hadistes au pays où ils ont com­mis leurs exac­tions, la Syrie. C’est ce que pré­conise Xavier More­au, un expert en rela­tions inter­na­tionales, dans Sput­nik Inter­na­tion­al le 30 jan­vi­er 2019. « Pour pro­téger la France, il faut laiss­er Damas juger les dji­hadistes, car ils ont com­mis les crimes en Syrie. La ques­tion est que la France ne veut pas recon­naitre avoir per­du la guerre con­tre la Syrie  ». Au prix de la sécu­rité des Français ?

- La dif­fi­culté à réu­nir en France des preuves des exac­tions com­mis­es par les dji­hadistes en Syrie pour les juger et les con­damn­er. Une dif­fi­culté que soulève Xavier More­au dans son inter­view. Le directeur du cen­tre de réflex­ion sur la sécu­rité intérieure, Thibault de Mont­br­i­al, souligne dans une récente inter­view pour Causeur qu’ « une des raisons pour lesquelles les peines (des dji­hadistes con­damnés en France NDLR) était en 2018 en moyenne de sept ans et demi est le fait que la jus­tice est con­fron­tée à un prob­lème de preuves ». Rap­a­tri­er des dji­hadistes et les remet­tre en lib­erté peu après, une per­spec­tive réjouissante….

La déchéance de nationalité

- La pos­si­bil­ité de déchoir les dji­hadistes de leur nation­al­ité, comme le pré­con­i­sait C. Cas­tan­er en 2016 avant de con­sid­ér­er en 2019 que les dji­hadistes sont « Français avant d’être dji­hadistes ».

Pour creuser cette piste, c’est dans des médias étrangers que nous apprenons que d’autre pays européens ont pris une autre direc­tion que la France :

Ain­si, en mars 2019, les médias alle­mands (Deutsche Welle, etc.) évo­quent une solu­tion rad­i­cale mais pop­u­laire : la déchéance de la nation­al­ité pour les ressor­tis­sants alle­mands par­tis com­bat­tre dans les rangs de l’État Islamique. The local Den­mark nous apprend en novem­bre 2019 que le Dane­mark vient d’adopter une loi per­me­t­tant la déchéance de la nation­al­ité, une mesure que la jus­tice s’empresse d’appliquer dans le mois qui suit.

Le site d’information belge 7 sur 7 nous apprend le 19 décem­bre que la jus­tice belge a déchu de leur nation­al­ité trois veuves de com­bat­tants de l’État islamique. La Suisse n’est pas en reste qui vient en ce début d’année de déchoir de sa nation­al­ité une ressor­tis­sante par­tie com­bat­tre avec l’Etat islamique, nous apprend 24 heures le 3 jan­vi­er 2020.

Plus de 250 terroristes libérés dans les deux ans à venir

Dernier élé­ment : en mai 2019, la min­istre de la jus­tice annonçait au jour­nal Le Monde la libéra­tion de 254 per­son­nes détenues pour ter­ror­isme islamiste dans les trois ans (107 en 2021, 147 en 2020). Il va com­mencer à y avoir beau­coup de monde à sur­veiller… Alors que la France a un vivi­er de rad­i­cal­isés qui ne cesse de croitre, sans compter ceux, estimés à 3 000 en 2017 dans un rap­port par­lemen­taire cité par le site Polémia, qui ne sont pas passés à l’acte mais sont dans « le haut du spec­tre » et dans une logique de pré ter­ror­isme, on ne peut pas dire que les lanceur d’alerte soient nom­breux dans les médias. L’avenir nous dira si cela était justifié…

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