Entre observation critique et dogmatique de la « réacosphère »
Intérêt académique pour les milieux nationaux-identitaires, curiosité journalistique pour le Front National : David Doucet est devenu, depuis quelques années, l’un des observateurs les plus avisés de ce qu’il appelle la « réacosphère ».
Ce vaste ensemble médiatique, très hétérogène, ne fait que rarement l’objet d’investigations sérieuses, si ce n’est pour le désigner comme une nébuleuse extrémiste : la « fachosphère », terme que le journaliste aux Inrocks affirme ne jamais employer.
S’il peine malheureusement parfois à se départir des éléments de langage dogmatiques visant à qualifier ce que d’autres appellent, eux, la « réinfosphère », David Doucet parvient néanmoins à en dresser un panorama se rapprochant de ce que l’on est en droit d’attendre d’une pratique journalistique sérieuse et nuancée.
Outre l’univers des médias alternatifs et de la politique, David Doucet écrit aussi régulièrement sur la musique, en particulier l’actualité de l’industrie du rap, ainsi que sur les cultures numériques, le sport ou encore la téléréalité.
Formation
Il obtient une licence d’histoire à l’Université Paris IV Sorbonne en 2006. Il poursuit dans ce domaine en entamant un Master d’Histoire dans la même université. Par la suite, il obtient un Master de Communication à l’INSEEC. David Doucet a commencé une thèse sur le traitement médiatique du Front National dans la presse française à l’Université Panthéon Assas. Elle est néanmoins restée inachevée, l’auteur ayant préféré se consacrer à la co-écriture du livre Histoire du FN, publié aux éditions Tallandier en septembre 2013.
Parcours professionnel
Depuis 2010, il est journaliste au service actualités des Inrocks. Une large partie de ses articles porte sur le Front National, les mouvements identitaires, et les milieux souverainistes. En 2011, il effectue un court passage sur le « pure player » Slate. D’octobre 2013 à janvier 2014, il est chroniqueur sur Le Mouv. Dans son émission « J’ai stalké l’historique de… », il va à la rencontre de personnalités politiques, d’artistes ou d’intellectuels pour les interroger sur leur rapport au web. Par la suite, il participe à l’émission « Touche pas à mon poke » sur la même antenne, qu’il anime aux côtés de Vincent Glad.
Le 1er septembre 2016, David Doucet est nommé rédacteur en chef du magazine et du site des Inrockuptibles.
En février 2019, il reconnaît avoir été membre pendant deux ans de la « Ligue du LOL », groupe Facebook privé créé par Vincent Glad en 2010 et dont certains membres ont été accusés de cyberharcèlement ciblé sur Twitter, notamment envers des femmes. Bien que personne ne l’accuse de harcèlement, Les Inrocks le mettent à pied puis le licencient pour faute grave. Doucet annonce contester son licenciement aux prudhommes, convaincu que la rédaction du journal a cédé à la pression au lieu de se livrer à une enquête impartiale le concernant. Le tribunal des Prud’hommes de Paris lui donnera finalement gain de cause en septembre 2021, reconnaissant que le licenciement a été fait sans cause réelle et sérieuse, et contraint Les Inrocks à lui verser 25 000 euros de dommages et intérêts et 20 000 euros d’indemnités. En octobre 2020, il publie La Haine en ligne, livre d’enquêtes sur les mécanismes de lynchage numérique sur les réseaux sociaux, dans lequel il ne s’appesantit pas sur ce qu’il a vécu, mais dresse le portrait d’autres victimes des meutes numériques.
Après avoir collaboré furtivement avec Cyril Hanouna, un des rares personnages du PAF prêts à lui donner « une seconde chance », sur le contenu éditorial de « Touche pas à mon poste » (son poste réel n’a jamais été révélé explicitement), il fonde en novembre 2020 une entreprise de conseil en communication d’entreprise, Baltique Média.
Faits notoires
En août 2011, il publie un article sur Slate où il prend la défense du blog Fdesouche (qualifié de «proche de l’extrême-droite»), en critiquant ses confrères éditorialistes qui tissent un lien entre ce site et la tuerie d’Oslo, perpétrée par Anders Breivik. Il y produit par ailleurs une analyse impartiale et étayée du site et des raisons de son succès.
À la fin de l’année 2012, il publie un article dans les Inrocks où il affirme que des personnalités d’extrême-droite se font de plus en plus présentes dans les médias, notamment sur internet. Il cite à ce titre des sites comme Boulevard Voltaire ou Atlantico, qui offrent des tribunes à Jean-Yves le Gallou, Bernard Lugan, Pierre Hillard ou encore Gilles-William Goldnadel ou Jean-Paul Gouréwitch. Des personnalités venant d’horizons politiques fort différents, voire contradictoires, ce qui n’empêchait pas Doucet d’estimer que « l’extrême-droite » faisait de « l’entrisme sur des sites d’infos », comme le faisait remarquer l’Ojim.
Début 2013, il publie dans la revue Charles un entretien avec Pierre Sidos, fondateur d’Occident, se réclamant du fascisme, et responsable de l’attentat du Petit-Clamart contre le général De Gaulle du 22 août 1962. Doucet est le seul journaliste auquel Pierre Sidos ait accepté de se confier.
Il est également l’un des seuls journalistes à rendre compte de la cérémonie des Bobards d’or, organisée par la Fondation Polémia en mars 2014, et qui prime les journalistes les plus malhonnêtes selon elle.
Enfin, le 29 janvier 2014, il s’en prend à Caroline Fourest dans un article étayé visant à contredire l’essayiste et journaliste omniprésente dans les médias français, qui venait alors de vertement critiquer l’émission de télévision Ce soir ou jamais de Frédéric Taddeï.
Parcours militant
Non renseigné
Sa nébuleuse
Dominique Albertini, journaliste à Libération, avec lequel il a écrit deux ouvrages.
Publications
- Histoire du Front National (avec Dominique Albertini), éditions Tallandier, 2013.
- La Fachosphère (avec Dominique Albertine), Flammarion, 2016
- La Jeunesse cachée de Marine Le Pen, La Tengo, 2017
- La Haine en ligne, Albin Michel, 2021
Ce qu’il gagne
Non renseigné.
Il l’a dit
« J’observe parfois des journalistes qui se drapent derrière une apparente neutralité et qui quelques minutes après la publication de leurs papiers laissent apparaître leurs convictions personnelles sans filtre sur leurs comptes Twitter. Aujourd’hui, la neutralité journalistique fait débat. En tout cas, elle n’est plus une aspiration communément partagée par la profession. Pour ma part, je pense que les journalistes ne sont pas condamnés à devenir des éditorialistes. », Marianne, 06/10/2020.
« Il y a une critique à l’extrême-gauche des médias, je ne vois pas pourquoi il n’y en aurait pas à l’extrême-droite, je pense que l’abus de critique ne nuit pas. […] Le problème de l’extrême-droite, c’est qu’ils ont l’impression que les journalistes obéissent, répondent, à des objectifs capitalistiques, etc., mais ça, c’est une vision un peu complotiste des médias. Au sein des médias vous avez des gens de gauche, des gens de droite, des gens du centre. Moi, je n’ai pas l’impression d’appartenir à une catégorie politique, il m’est arrivé de défendre Fdesouche qui a été injustement pris pour cible au moment de l’affaire Breivik. […] Je n’aime pas juger les gens moralement, j’essaye de faire mon travail de manière neutre, d’ailleurs j’ai arrêté de voter, justement parce que j’estime que la fonction de journaliste doit être une sorte de fonction sacerdotale »,entretien à TV Libertés, 16 mai 2014.
« Aujourd’hui il y a un discrédit (des médias, NDLR) vis à vis de l’opinion publique, c’est évident. Cela prouve qu’on doit se remettre en question, accepter la critique. Moi, j’ai une fois été critiqué par l’Ojim parce qu’ils estimaient que j’avais fait un article un peu réducteur, j’ai répondu sur Twitter qu’effectivement, l’article était un peu réducteur. Il faut savoir se remettre en question », entretien à TV Libertés, 16 mai 2014.
«Je travaille dans un journal qui s’appelle les Inrockuptibles, et qui a comme actionnaire Matthieu Pigasse. Ca fait trois ans que je suis aux Inrocks, je n’ai jamais vu Matthieu Pigasse, il n’est jamais venu à la rédaction, je peux vous l’assurer, il n’a jamais donné de directives. […] Cette vision fantasmée qui consiste à dire que les actionnaires ou les banquiers utiliseraient les médias à des fins politiques, ce n’est pas forcément vrai »,ibid.
« On peut être militant antifasciste et appartenir aux Anonymous. Informaticien, engagé politiquement depuis qu’il est lycéen, Gaëtan, 33 ans, est également l’un des membres du collectif Fafwatch ; lancé en 2011, ce site internet s’est fait connaître en diffusant les correspondances privées de militants d’extrême-droite […] En plus d’être un hacker, Gaëtan se révèle surtout un excellent “stalker” […] Des correspondances des membres de L’œuvre françaises et des photos les montrant aller en pèlerinage sur la tombe du maréchal Pétain sur l’île d’Yeu sont ainsi publiées sur plusieurs sites antifascistes et font ensuite l’objet d’un article dans L’Humanité », Les Inrocks, 16 avril 2012.
«C’est terrible à dire, mais les animateurs du site Fdesouche font partie des meilleurs journalistes de liens de France. Leur pratique de ce type de journalisme, tant vanté par les théoriciens de la profession mais jamais vraiment mis en place en France, est d’une précision et d’une exhaustivité étonnantes, si l’on met à part le biais idéologique.
Leur couverture de l’affaire DSK en liens, vidéos et sons renvoie par exemple toute la presse dans les cordes. Fdesouche a compris mieux que personne que le web est vaste, que le meilleur se trouve toujours ailleurs et que pour la première fois, Internet permet aux journalistes d’indiquer précisément leurs sources, laissant au lecteur la possibilité de jauger lui-même la pertinence de ces dernières », Slate, 3 août 2011.
«La presse procède avec Fdesouche comme Fdesouche procède avec elle : en isolant dans ces articles ‘“vu sur Fdesouche” les pires passages, les médias ne font que caricaturer la pensée développée, sans jamais chercher à la décortiquer ou à la comprendre. Fdesouche et la réacosphère sont ghettoïsés, rejetés aux marges de l’Internet, comme, dans la vraie vie, les immigrés qu’ils vilipendent. La censure des commentaires des sites de presse joue le rôle d’un périphérique de la bien-pensance », Slate, 3 août 2011.
« Considéré par certaines associations comme une allusion au salut nazi, la quenelle est devenue un geste pop symbolisant une forme d’insoumission au “système” politique et médiatique », Les Inrocks, 4 décembre 2012.
Ils l’ont dit
« Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est […] une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. […] Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même », Balzac — Illusions perdues (1837–1843).
« Le journalisme — à quelques honorables exceptions près — a cessé depuis longtemps d’être un métier (avec ses techniques et ses règles) pour devenir une simple manière de percevoir le monde (ou plus exactement d’adhérer à son cours supposé “naturel”). Il est donc inutile d’imaginer que les professionnels des médias mentiraient consciemment (sauf, bien sûr, dans le domaine réservé de l’économie où seuls des spin doctors sont autorisés à officier, éventuellement aidés par deux ou trois crétins sincères) ni même qu’ils devraient travailler à tout moment sous l’œil d’un quelconque Big Brother. A partir du moment où ils ont été sélectionnés sur leur profil (le néojournaliste doit être “ouvert”, “citoyen” et même capable d’une certaine autodérision), ils tendent en effet à dire et à faire tout ce que le système attend d’eux »,Jean-Claude Michéa, La Double Pensée, 2008.
Au sujet du fait que David Doucet qualifie TV Libertés et l’Ojim de médias d’extrême-droite : « C’est son (David Doucet, NDLR) point de vue, c’est son vocabulaire, pour ma part je considère que le mot extrême-droite est un mot de polémique, un mot diabolisant, ce n’est pas un mot objectif […] On considère que c’est un mot qui ne correspond pas à la réalité, puisqu’en fait les gens dont on prétend qu’ils ont des idées d’extrême-droite sont en fait des gens pas plus extrémistes que quiconque, mais qui sont des dissidents par rapport à la pensée dominante », Jean-Yves Le Gallou, 16 mai 2014, TV Libertés.
« Je crois que David Doucet était venu, lors de la disparition de Dominique Venner, il avait suivi la cérémonie d’hommage qui avait eu lieu. Il avait préparé un papier sur Dominique Venner. Je crois que le papier n’est pas paru. Tout simplement parce qu’il ne devait pas être dans la ligne éditoriale des Inrocks », Jean-Yves Le Gallou, ibid.
« L’article de Checknews a fait l’effet d’une bombe médiatique dans le milieu du journalisme parisien : la “ligue du LOL”, groupe Facebook privé lancé à la fin des années 2000 par Vincent Glad, s’est rendue responsable, depuis près de 10 ans, de nombreux faits de harcèlement, de propos racistes et misogynes », L’Express, 11/02/2019.
« “La découverte que des membres de la rédaction des Inrockuptibles ont appartenu à ce groupe a provoqué un vrai choc dans notre journal », la rédaction des Inrockuptibles au sujet de la ligue du LOL, dans un communiqué cosigné par Élisabeth Laborde, directrice de la publication et Jean-Marc Lalanne, directeur de la rédaction.
« Rien ne va plus dans le camp du Bien. Depuis quelques jours, un scandale visant le petit monde de la presse branchée, bien-pensante et so cool, des Inrocks à Libé en passant par Télérama, Slate ou le Tag Parfait, jette une lumière pour le moins inattendue sur les agissements de certains de ses membres que l’on aurait pourtant juré habités des pensées les plus progressistes et tolérantes », Causeur, 12/02/2019.
« L’affaire, par ailleurs sordide, prend un tour franchement amusant lorsqu’on s’aperçoit que certains loups de la meute se sont, comme le si bien-pensant rédacteur en chef des Inrocks David Doucet, spécialisés dans les leçons de morale et le décorticage des méfaits réels ou supposés du Front national. Ce n’est pas une nouveauté, depuis Tartuffe, que de s’apercevoir que les Tartuffe en tout genre et donneurs de leçon, distilleurs de morale, sont en général les plus mal placés pour le faire, mais il y a toujours quelque chose de savoureux à les prendre la main dans le pot de confiture », ibid.
« David Doucet, en l’occurrence, s’est fait un point d’honneur (si l’on peut dire) à pourfendre de façon systématique la « fachosphère », contre laquelle il s’anime avec ferveur et régularité, mobilisant toute l’énergie intacte de sa moraline de compétition. Ainsi a‑t-il publié en 2016 un ouvrage intitulé La fachosphère, comment l’extrême droite remporte la bataille du Net. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’un avis de connaisseur en matière de bataille du Net », ibid.
« C’est un garçon qui a très mal vécu ce qu’il s’est passé. Il m’a appelé et moi je laisse toujours une deuxième chance aux gens. Il a voulu me rencontrer et il m’a dit qu’il était en galère qu’il voulait me parler car tout le monde lui tourne le dos suite à ce canular. On l’a vu et il est en observateur chez nous, il est venu deux fois. Il n’est en aucun cas rédacteur en chef et n’a pas de CDI chez nous », Cyril Hanouna, 18 avril 2019, Gala.
Crédit photo : capture d’écran vidéo TV Libertés via Youtube