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Populisme, frontières : Nicolas Truong et Le Monde, pris à contre-pied

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21 mars 2020

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Populisme, frontières : Nicolas Truong et Le Monde, pris à contre-pied

Populisme, frontières : Nicolas Truong et Le Monde, pris à contre-pied

Temps de lecture : 7 minutes

L’un des journalistes attitrés du Monde affectés au combat contre la droite dite radicale, Nicolas Truong, et son quotidien ont montré combien ils ont du flair en publiant, le 6 mars 2020, en plein essor de la crise mondiale du coronavirus, une tribune destinée à fustiger « les polémistes de la mouvance souverainiste et identitaire ». Depuis, ces frontières si peu aimées sont redevenues une évidence pour tout un chacun. Lecture.

Le titre : « Il s’érige con­tre la « dic­tature » de la « bien-pen­sance » : l’essor du nation­al-pop­ulisme intel­lectuel et médi­a­tique »
Accroche : « Dans la presse comme dans les médias audio­vi­suels, les polémistes de la mou­vance sou­verain­iste et iden­ti­taire s’imposent, fustigeant le « droit-de‑l’hommisme » des élites. Rééquili­brage idéologique ou nou­velle hégé­monie culturelle ? »
Illus­tra­tion : une trentaine de têtes de Zemmour.
Sur­prise : c’est un arti­cle d’un jour­nal­iste du Monde et pour­tant il paraît dans la rubrique « idées ». Autrement dit, un jour­nal­iste du Monde donne son opin­ion dans les pages du Monde, et même dans les pages qu’il dirige. Peut-être une façon élé­gante de sig­naler qu’il en est de même dans l’ensemble des pages de ce quo­ti­di­en, en réalité ?

Nicolas Truong voit une « offensive idéologique »

« La France sem­ble saisie par l’essor du nation­al-pop­ulisme médi­a­tique. Il ne se passe pas un trimestre sans qu’une mai­son d’édition pub­lie un ouvrage con­tre la « dic­tature » de la « bien-pen­sance » pro­gres­siste. Pas un mois sans qu’un polémiste fustige le « droit-de‑l’hommisme » des élites. Pas une semaine sans qu’un heb­do­madaire raille la « tyran­nie de la repen­tance » ou les « idiots utiles » du com­mu­nau­tarisme et de « l’islamo-gauchisme ». Pas une émis­sion de débat sans que soit dénon­cée l’emprise du « poli­tique­ment cor­rect » ou les dérives du « fémin­isme vic­ti­maire ». Pas un jour sans que des « chaînes infos » imposent des prob­lé­ma­tiques à sens unique. »

Si tel est le cas, nous sommes heureux d’informer l’auteur que cette sit­u­a­tion est celle vécue par les opposants intel­lectuels du Monde depuis 40 ans. Ce qui n’a pas sem­blé embêter les jour­nal­istes du quotidien.

C’est que, croit savoir Truong, le nation­al-pop­ulisme « se répand à l’envi sur les ondes et les écrans, pas unique­ment sur des sta­tions d’extrême droite, mais aus­si dans cer­taines émis­sions de BFM-TV, CNews ou LCI. Cette pen­sée de la « nou­velle droite », à L’Incorrect, men­su­el proche de Mar­i­on Maréchal Le Pen, ou à Causeur, média à la tonal­ité nation­al-sou­verain­iste » (pas de définition ?).

Nou­velle droite, nation­al­isme, présence du nom Le Pen (sans doute Truong aimerait-il que son patronyme soit accom­pa­g­né d’un nom qu’il aurait offi­cielle­ment aban­don­né ?), des repères en somme. Notons qu’il y aurait aus­si Valeurs Actuelles, Le Point, Le Figaro, Mar­i­anne… et « bien d’autres ». Peut-être même toute la presse sauf Le Monde, qui sait ?

Heureuse­ment Pierre Rosan­val­lon, sans doute peu soupçonnable d’engagement idéologique mar­qué (cha­cun aura remar­qué l’ironie du pro­pos), vient à la rescousse : « Ce pop­ulisme intel­lectuel et médi­a­tique n’a pas d’organe offi­ciel et n’est pas directe­ment asso­cié à un pro­jet poli­tique, mais se dif­fuse large­ment dans tout l’espace pub­lic », pour­suit l’historien ». Truong cite aus­si Lin­den­berg inven­teur du mythe des « néo-réacs ».

Alors ? Qui sont les nationaux-pop­ulistes ? Ou nationaux-sou­verain­istes ? Enfin, toutes ces for­mules des­tinées à rap­pel­er un autre nation­al quelque chose, comme si de rien n’était ?

« Forgée par le philosophe Pierre-André Taguieff, la notion de Nou­veau Nation­al-Pop­ulisme (CNRS Edi­tions, 2012), qui désigne « la forme prise par la dém­a­gogie dans les sociétés con­tem­po­raines » lorsque « la dimen­sion nation­al­iste » s’avère « cen­trale », pour­rait s’appliquer. C’est « une dénom­i­na­tion pos­si­ble » du phénomène, assure Clé­ment Vik­torovitch, qui enseigne la rhé­torique à Sci­ences Po et tient une chronique télévi­suelle dans l’émission Clique sur Canal+ »

Vik­torovitch et Clique, le lecteur peine à imag­in­er que ce ne soit pas un trait d’humour, coquin de Truong. Le jour­nal­iste cite aus­si Jean-François Kahn, pour qui les nationaux-pop­ulistes seraient des « néo­fas­cistes ».

La revue Élé­ments et son rédac­teur en chef, François Bous­quet, ain­si que la Nou­velle Librairie dont Bous­quet est le gérant sont par­ti­c­ulière­ment prisés de Truong, jour­nal­iste qui sem­ble trou­ver anor­mal qu’une revue soit sous-titré « Pour la civil­i­sa­tion européenne ». Un titre comme « élé­ments pour la civil­i­sa­tion africaine » ne l’échauderait sans doute pas. Il égrène d’ailleurs tout ce qui lui paraît anor­mal, comme par exem­ple un arti­cle sur « le roman­tisme fas­ciste » qu’il n’a pas lu, sans quoi il saurait qu’il s’agit en fait d’une recen­sion d’un ouvrage por­tant ce titre, ou encore une série de noms de per­son­nes qui sem­blent trop s’approcher des méchants : Bastié, Devec­chio, Polony, Gauchet, Guil­luy, Jérôme Sainte-Marie, Jacques Jul­liard, Michel Onfray… Le Monde aurait bien aimé sem­ble-t-il un cor­don san­i­taire con­tre un virus qui n’existe pas, bien peu de temps avant qu’un virus bien réel et bien dan­gereux ne nous tombe dessus.

Mais la sit­u­a­tion est encore pire, assure Truong :

« Autre indi­ca­teur de la sor­tie du ghet­to : une légiti­ma­tion poli­tique qui vient du som­met de l’État. Du prési­dent de la République lui-même, qui accor­da, le 31 octo­bre 2019, un entre­tien à Valeurs actuelles sur la ques­tion migra­toire où Emmanuel Macron désigna les représen­tants des asso­ci­a­tions de défense des migrants comme des « droits-de‑l’hommistes la main sur le cœur ». Un adoube­ment venu égale­ment de cer­tains mem­bres du gou­verne­ment qui, à l’image de Mar­lène Schi­ap­pa, s’empresse de débat­tre avec Eric Zem­mour, polémiste deux fois con­damné pour provo­ca­tion à la haine raciale, dans l’émission « Face à l’info », le 10 févri­er, sur CNews, où celui-ci l’exhorta notam­ment « à aller voir dans cer­taines régions de France si le « grand rem­place­ment » n’existe pas ».

Ce prési­dent que Le Monde a tant con­tribué à faire élire ne choisit pas bien ses pages. Quant aux min­istres LREM, ils devraient bien le savoir tout de même que les lieux de la lib­erté d’expression sont déter­minés par Le Monde ! Depuis le temps…

En pas­sant, Truong sig­nale que Valeurs Actuelles est « con­nu » pour ses cou­ver­tures, entre autres, sur « le phil­an­thrope George Soros ». Phil­an­thrope, il fal­lait oser.

Il y a bien une sorte de com­plot mais il ne vient pas d’où l’on pense :

« Le nation­al-pop­ulisme médi­a­tique réem­ploie et détourne ain­si la rhé­torique de l’antitotalitarisme. Tout est qual­i­fié de « total­i­taire » : le fémin­isme, l’écologie ou les minorités. La façon de dis­qual­i­fi­er la jeune mil­i­tante écol­o­giste sué­doise Gre­ta Thun­berg est, à cet égard, éclairante. Car l’icône mon­di­ale de 17 ans n’est pas seule­ment cri­tiquée pour ses idées, elle est ren­voyée à son total­i­tarisme sup­posé : « Tous les enfants ont du génie sauf Gre­ta Thun­berg. Je la sens fanatisée », déclare Jérôme Béglé, directeur adjoint de la rédac­tion du Point (CNews, 23 sep­tem­bre) ; son « idéolo­gie » est « d’essence total­i­taire », renchérit, sur le même plateau, Ivan Rioufol, chroniqueur au Figaro, alors que le directeur des rédac­tions du quo­ti­di­en, Alex­is Brézet, con­sid­ère quant à lui sur LCI : « On a con­nu, à l’époque de Mao, les gardes rouges qui dénonçaient leurs par­ents. Là, on a une généra­tion de gardes verts. »

C’est que l’extrême droite mène la France et les médias par le bout du nez métapoli­tique, approchant ain­si du pou­voir… En vrai, c’est par « haine de la démoc­ra­tie », référence à Jacques Ran­cière, lequel est un bon intel­lectuel puisqu’il est de gauche.

Cerise sur le gâteau :

« Une idéolo­gie, qui, comme le dis­ait Han­nah Arendt, con­siste à soumet­tre la réal­ité à la logique d’une idée. Et à voir le monde en noir et blanc, de part et d’autre d’une fron­tière qui sépare les bons et les méchants ».

On croirait une descrip­tion des arti­cles du Monde.

Ceci dit, n’ayons pas peur : « L’emprise du nation­al-pop­ulisme médi­a­tique n’est pas une fatal­ité ». Il faut cepen­dant se méfi­er car « elle pour­rait bien être un jour le pro­gramme poli­tique d’un pou­voir bien réel. » Encore un peu de « matin brun » qui approche en somme. Au fait, Le Monde, cela fait com­bi­en de fois que vous pub­liez le même article ?