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Marion Maréchal sur Le Monde par Lucie Soullier,  procès d’intention

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30 janvier 2019

Temps de lecture : 5 minutes
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Marion Maréchal sur Le Monde par Lucie Soullier, procès d’intention

Temps de lecture : 5 minutes

Comme tous les médias officiels, Le Monde revendique de ne pas publier des fake news/infox mais refuse également que l’on puisse trouver sa sémantique orientée. Pourtant le quotidien du soir quitte souvent le domaine des faits pour celui de l’interprétation. Un cas d’école, avec un article de Lucie Soullier sur Marion Maréchal publié le 23 janvier 2019. Décryptage.

Examen du titre et du chapeau

Le sujet est un des grands dadas du Monde : « l’extrême droite », sup­posée cette fois en la per­son­ne de Mar­i­on Maréchal. Le titre et le cha­peau choi­sis sont d’emblée ori­en­tés : « La vis­ite très remar­quée de la « retraitée » Mar­i­on Maréchal à Oxford.

Accueil­lie sous les huées des man­i­fes­tants antifas­cistes, alors qu’elle venait pren­dre la parole à l’association des étu­di­ants de l’université bri­tan­nique, l’ancienne députée FN a livré son analyse du mou­ve­ment des « gilets jaunes ». » Les guillemets à « retraitée » visent à met­tre en doute la parole et l’action du sujet de l’article, c’est du domaine du procès d’intention. Le cha­peau d’un arti­cle indique de quoi le papi­er va par­ler, tout en lais­sant enten­dre com­ment. Le Monde démarre sur « les huées des mil­i­tants antifas­cistes ». Deux remarques :

  1. La qual­ité « antifas­ciste » de mil­i­tants en action n’est jamais inter­rogée, mise en doute ou en per­spec­tive par le quo­ti­di­en. Le pré­sup­posé est qu’il s’agit d’un élé­ment d’un camp du bien. Ce qui revient à faire un autre procès d’intention à Mar­i­on Maréchal, sup­posée recon­naiss­able dans l’idéologie fas­ciste puisque des mil­i­tants sup­posé­ment antifas­cistes man­i­fes­tent con­tre elle.
  2. Une analyse des faits, hors des pages du Monde, con­duit à ce con­stat : il y avait sans doute quelques dizaines de mil­i­tants man­i­fes­tant con­tre Mar­i­on Maréchal, peut-être entre 20 et 30, d’après les pho­tos pub­liées juste­ment par Lucie Soul­li­er sur son compte twit­ter, pho­tos pour­tant pris­es selon un angle visant à accentuer l’effet foule. La salle était quant à elle comble.

Le corps du texte

Les deux pre­miers para­graphes insis­tent sur l’interprétation pro­posée dans le cha­peau en lieu et place d’une présen­ta­tion factuelle. Lucie Soul­li­er donne la parole à un homme de 22 ans, courageux puisque bat­tant le « bitume » sous une « neige qui tombe depuis des heures ». Out­re un vocab­u­laire poli­tique de haut vol (« Fuck » est-il écrit sur sa pan­car­te), le jeune homme a un mes­sage à faire pass­er, rap­porté par Lucie Soul­li­er : « Elle peut relook­er son nom comme elle le veut, on sait ce qu’il y a der­rière. Le fas­cisme ». C’est le jeune homme qui par­le, bien sûr, mais cha­cun com­prend que c’est ce que veut sig­ni­fi­er la journaliste.

  • Suit le pas­sage sur le nom : « Aujourd’hui dépar­tie de son tiret Le Pen, l’ancienne députée Front Nation­al… ». Tout est dans la façon de for­muler. Mar­i­on Maréchal ayant quit­té son anci­enne vie poli­tique, et donc ce qui fut son nom de femme poli­tique, au prof­it de son nom d’état civ­il, cette façon de com­mencer le para­graphe tient de la manip­u­la­tion sémantique.
  • Der­rière la ques­tion du nom, ce que veut affirmer non pas factuelle­ment mais de façon inter­pré­ta­tive Lucie Soul­li­er, c’est que Mar­i­on Maréchal ne serait pas en retraite de la vie poli­tique. Elle en voit pour preuve les mots de la direc­trice de l’ISSEP Lyon au sujet des Gilets Jaunes ou sa venue à Oxford, alors qu’il s’agit d’une invi­ta­tion devant un pub­lic majori­taire­ment étudiant.

Les gilets jaunes

Son dis­cours est donc… « poli­tique », et com­mence par une « cita­tion de de Gaulle ». Mar­i­on Maréchal traite du décalage qu’il y a entre les élites et le peu­ple, à par­tir de l’exemple des Gilets Jaunes. Elle y ver­rait des points com­muns avec les anglais ayant soutenu le brex­it, un moyen pour Soul­li­er d’indiquer que cela rejoindrait la con­cep­tion de Steve Ban­non. Il est intéres­sant de lire le pas­sage en entier, sans rien tronquer :

« Avant de pass­er au cœur du sujet : le mou­ve­ment des « gilets jaunes ». « Bien des mem­bres de l’élite, de notre prési­dent à nos min­istres ou jour­nal­istes (…) qual­i­fient les “gilets jaunes” de “trou­peau sauvage”, “peste”, “ploucs”, “racistes”, “anti­sémites”, “homo­phobes”, etc. », avance ain­si Mar­i­on Maréchal. Les mêmes mots, selon elle, ont été util­isés « pour décrire ceux qui ont soutenu le Brex­it ». Presque la même analyse que celle déroulée par Steve Ban­non en mars 2018, lorsque l’ancien con­seiller de Don­ald Trump exal­tait la foule du con­grès fron­tiste d’un « lais­sez-les vous appel­er racistes, xéno­phobes, islam­o­phobes. Portez-le comme un badge d’honneur ».

  • Lucie Soul­li­er grossit le trait dans sa volon­té d’assimiler Mar­i­on Maréchal et Ban­non, indi­quant que « comme lui », elle est « loin de renier le terme de pop­ulisme ». C’est-à-dire qu’en réal­ité elle a employé le terme lors de la con­férence. A ce compte-là aus­si, quiconque utilise ce voca­ble et ne le « renie » pas serait assim­i­l­able à Bannon.
  • La suite est du même tonneau :

« Le mou­ve­ment des “gilets jaunes” est la réponse des gens à ce sys­tème (…) qui prône l’immigration comme une oblig­a­tion morale » ou « la mon­di­al­i­sa­tion incon­trôlée comme un véhicule de prospérité », tance la con­ser­va­trice anti-pro­créa­tion médi­cale assistée (PMA) et anti-mariage pour tous, invo­quant des « principes hérités de notre civil­i­sa­tion chré­ti­enne et gré­co-romaine », avant de con­clure que « deux choses doivent être préservées : l’identité et la sou­veraineté ».

Les autres noms du Mal absolu en somme, du côté Monde.

  • Un Mal absolu rap­pelé par son tweet :

Notons que l’article utilise le mot « extrême-droite », comme il est d’usage en France, pour évo­quer toute pen­sée de droite en désac­cord avec la con­cep­tion du monde dom­i­nante dans les médias. Procès d’intention qui per­met d’éliminer l’adversaire du champ cul­turel et poli­tique. Est-ce encore du journalisme ?