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Les gilets jaunes dans les hebdomadaires. Première partie

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17 décembre 2018

Temps de lecture : 7 minutes
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Les gilets jaunes dans les hebdomadaires. Première partie

Temps de lecture : 7 minutes

Outre les rues de France et de Navarre, les gilets jaunes ont envahi plateaux de télévision, studios de radio, pages des quotidiens et des hebdomadaires. D’une certaine façon, ils ont permis à ces derniers, dont l’usuelle médiocrité, sauf exception, n’est plus à démontrer, de trouver des acheteurs. Que disent-ils des gilets jaunes, ces hebdos ? Tour de piste sur les deux premières semaines de décembre 2018.

L’Obs

Dans son édi­tion du 6 au 12 décem­bre, L’Obs à la cou­ver­ture tout de jaune vêtue accuse Macron de « faute fis­cale » au sujet de la non réac­ti­va­tion de l’ISF. Trois thèmes accom­pa­g­nent cette Une : « Où est passé l’argent ? » (pour­tant, au sein de la rédac­tion de L’Obs gauche caviar, on doit bien avoir une petite idée), « La ten­sion Macron-Philippe » et « L’analyse d’un con­flit inédit » (on lit trop peu de livres d’histoire con­sacrés aux Jacqueries à L’Obs). L’hebdomadaire note que « la fronde des gilets jaunes reste très pop­u­laire », mal­gré les vio­lences venues d’éléments extérieurs, car « les Français se révoltent par procu­ra­tion ». Il y a un « péché orig­inel » de Macron avec la sup­pres­sion de l’ISF. L’Obs a bien com­pris que la fronde est celle des « tra­vailleurs pau­vres », et que les choix poli­tiques de Macron sont liés à ses con­seillers « bril­lants tech­nocrates » mais sans liens avec le vrai peu­ple. L’hebdo en appelle à une « inflex­ion sociale » mal­gré l’obstacle de taille que représente « l’impératif de rigueur budgé­taire voulu par la droite du gou­verne­ment et exigé par Brux­elles ».

L’analyse en tant que telle se défend. Cepen­dant, L’Obs oublie un élé­ment impor­tant : l’hebdo a con­tribué, et même appelé, à faire élire tous les prési­dents qui ont mené des poli­tiques con­duisant à la sit­u­a­tion actuelle, et de même a soutenu le pro­jet brux­el­lois libéral cul­turel à l’origine de la rigueur en ques­tion. L’Obs au fond n’oublie qu’une chose : sa col­lab­o­ra­tion à la souf­france des class­es pop­u­laires. Dans son édi­tion du 13 au 19 décem­bre, L’Obs met les gilets jaunes au sec­ond plan de sa Une, insis­tant sur « La vérité sur les ali­ments bidons ». Pour les gilets jaunes, la ques­tion est celle du « réc­it d’un crash poli­tique ». Au bord du « précipice », « il l’a fait » nous dit l’hebdo. Fait quoi ? Infléchir sociale­ment sa poli­tique. Il en suff­i­sait de peu pour que L’Obs, sup­posé de gauche, se sat­is­fasse des annonces du prési­dent. Un grand arti­cle reprend la chronolo­gie des événe­ments, avec un ton volon­taire­ment dra­ma­tique, usant de mots liés au « trag­ique », et se félicite de « la vaste con­sul­ta­tion pop­u­laire à venir » ain­si que de l’attention nou­velle sup­posé­ment portée par le prési­dent aux corps inter­mé­di­aires « nég­ligés ». Pour L’Obs, tout ren­tre dans l’ordre et c’est bien.

Le Point

L’édition du 6 décem­bre titre sur « Les derniers jours du mod­èle Français », par-dessus la pho­togra­phie du buste de Mar­i­anne brisé à l’Arc de Tri­om­phe. L’hebdomadaire s’interroge aus­si sur « Ce qui coûte vrai­ment un pognon de dingue » et « Pourquoi Macron doit tout chang­er ». Comme pour L’Obs, l’observateur pou­vait imag­in­er plutôt une sorte de mea cul­pa du type : « Pourquoi diantre avons-nous fait élire Macron ? ». Mais non. D’ailleurs, dans les 55 pages de ce dossier, Le Point insiste sur les « agi­ta­teurs » qui attis­eraient la colère, de Mélen­chon à Todd en pas­sant par Ruf­fin ou Marine Le Pen, puis sur le fait que l’idée de « révolte des élites », issue des travaux main­tenant fort lus en France de Christo­pher Lasch, selon qui les « élites » font sociale­ment « séces­sion », serait plus que dis­cutable, tant la France ne serait pas « duelle » mais diverse. Glob­ale­ment, Macron est plutôt soutenu, même si les reven­di­ca­tions des gilets jaunes quant à l’impôt sont acceptables.

Le prési­dent serait plutôt vic­time de son entourage. Le Point, soucieux de ne pas trop égratign­er le prési­dent, pro­pose aus­si un reportage sur les casseurs du Puy-en-Velay, fief de Wauquiez, pos­si­ble adver­saire à venir de Macron. De quoi douter de Wauquiez. Un autre arti­cle s’inquiète des men­aces de mort proférées à l’encontre de députés et du chef de l’État. Le ton d’ensemble est à la défense du pou­voir en place, d’autant que les révoltes fis­cales ne sauraient être imputées au pou­voir actuel tant elles s’apparentent à une pas­sion française. Ce dernier point est une réal­ité his­torique peu dis­cutable. Son util­i­sa­tion ici éclaire cepen­dant sur le posi­tion­nement du Point. L’édition du 13 décem­bre titre d’ailleurs « La France face à son his­toire ». Out­re le fait d’insister sur « les vrais patrons » (deux proches con­seillers du prési­dent), Le Point s’inquiète de l’intervention d’un prési­dent qui sac­ri­fierait l’Europe aux gilets jaunes et ramèn­erait mal­heureuse­ment la France à son point de départ en ayant cédé. Il fal­lait oser. Pire, le fait d’avoir cédé mar­querait la fin de « la comète Macron » et aurait comme défaut d’ouvrir les vannes du pop­ulisme en Europe. C’est que selon Le Point, nous seri­ons au bord de la fail­lite, ce qui n’engage pour­tant pas l’hebdomadaire à s’interroger sur une chose sim­ple : la manière dont la richesse est répar­tie en France. Plus encore, de peur que de mau­vais­es idées se dévelop­pent, Le Point donne la parole à Nico­las Baverez afin que ce dernier explique com­bi­en « La décrois­sance n’est pas la solu­tion ». Au con­traire, décroître creuserait les iné­gal­ités. Au fond, Le Point a cru en Macron, puis a cru qu’il résoudrait la crise, puis a été déçu de tout ce qu’il aurait cédé. Car, au Point, ce qui prime c’est que cha­cun pour­suive la marche en cours dans le mur de Bruxelles.

L’Express

L’édition du 5 décem­bre titre sur « À quoi sert vrai­ment l’homéopathie ? », thème sans aucun doute fort louable dans la péri­ode que nous vivons à l’échelle mon­di­ale. Les gilets jaunes sont en cou­ver­ture mais en sec­ond plan, avec cette accroche : « Gilets jaunes, casseurs…Macron face au chaos poli­tique » accom­pa­g­née de la pho­to d’une voiture retournée et brûlant, un homme cagoulée à prox­im­ité. Pour l’hebdomadaire « Le prési­dent fait face à qua­tre crises. La pre­mière, c’est l’explosion de la frac­ture ter­ri­to­ri­ale ; la deux­ième, la remise en ques­tion de la démoc­ra­tie représen­ta­tive ; la troisième, celle du macro­nisme. Et la dernière, c’est celle du vide : face à lui, pas d’opposition crédi­ble ». Un angle de vue pour le moins… orig­i­nal, en ceci qu’il évac­ue allè­gre­ment la réal­ité : la souf­france pop­u­laire. À cette date, L’Express choisit d’insister sur le fait que des gilets jaunes dis­ent qu’ils revien­dront « avec des armes », ce qui sera le mantra du gou­verne­ment ces mêmes jours, armes dont quelques exem­plaires (marteaux, masques…) ont été exhibés ensuite par BFM, saisies dans une ou deux voitures. Pas de quoi ren­vers­er une République, et sans doute bien moins qu’un same­di soir nor­mal à Paris.

Reste que pour L’Express, le vrai risque serait dans la remise en cause de la légitim­ité du prési­dent élu. Il est vrai que L’Express, à l’instar de l’immense majorité des médias, a fait beau­coup en vue de cette élec­tion. L’édition du 12 décem­bre met Macron en cou­ver­ture, le vis­age soucieux, avec ce titre : « La haine anti Macron : d’où vient-elle ? Jusqu’où ira-t-elle ? ». C’est vrai cela, pourquoi tant de haine ? Quelqu’un voit-il une rai­son au fait de cette haine du peu­ple envers les « élites » ? Bien sûr, il y aurait le rôle manip­u­la­teur de Marine Le Pen, mais pas seule­ment. C’est surtout son impop­u­lar­ité, non pas liée à des faits réels, dit-on ici, mais à une « per­cep­tion » : Macron serait vu comme un « monar­que » enfer­mé dans ses cer­ti­tudes. Tout ne serait en réal­ité que ques­tion de posi­tion­nement, pas de poli­tique ni de pro­jet de société. Bien sûr, il y a les « petites phras­es », mais ce n’est pas vrai­ment suff­isant. Il faudrait sim­ple­ment qu’il sorte de sa « citadelle », avec un zeste de péd­a­gogie et de prox­im­ité. Le souci ne serait ain­si pas dans ce qui est joué mais dans la manière dont le rôle est joué. L’Express n’a tou­jours pas com­pris les raisins de la colère et les caus­es pro­fondes du divorce, autrement dit ce fait que les « élites » ne cessent juste­ment de jouer des rôles tan­dis que le peu­ple veut de la chair. L’hebdomadaire détaille les divers petits faits qui ont attisés la colère, depuis la vais­selle jusqu’à la piscine, mais ne pose pas non plus la ques­tion fon­da­men­tale : celle de la répar­ti­tion des richess­es. Une insis­tance aus­si, tou­jours la même : le prési­dent échouerait à cause de son entourage. A suivre…