La fraude sociale n’est pas un phénomène nouveau en France. De nombreux rapports parlementaires se sont penchés sur la question. Le magistrat Charles Prats a contribué à placer ce sujet au cœur de la campagne électorale, à tout le moins quand les médias de grand chemin délaissent leurs emballements aussi soudains que monomaniaques. Si dans ce domaine comme dans d’autres, la confrontation des arguments et des éléments de faits semble nécessaire pour s’approcher de la vérité, cela ne semble pas être de l’avis de tout le monde.
La fraude sociale en mode discret
En début d’année 2021, l’Observatoire du journalisme invitait ses lecteurs à sortir de l’oubli médiatique des événements quasiment passés sous silence. Parmi ceux-ci, nous soulignions qu’en dépit de la sortie en 2020 de l’essai de Charles Prats intitulé « Cartel des fraudes » et d’un rapport de la Cour des comptes sur la fraude sociale, rares ont été les médias à mentionner que lors du débat annuel au parlement sur le projet de loi sur le financement de la sécurité sociale 2021, aucun plan d’action ambitieux n’avait été discuté à ce sujet.
Avons-nous été entendus ? Quelques jours plus tard, M6 consacrait un reportage à la fraude sociale lors de l’émission Capital du 17 janvier. Une initiative louable que nous mentionnions par souci d’équité mais qui n’échappait pourtant pas à certaines critiques, en particulier les coupures au montage de l’intervention de Charles Prats dénoncées par celui-ci et sa brièveté.
Les fact checkers de BFMTV à la peine
En septembre 2021, lors d’un débat télévisé sur BFMTV, Éric Zemmour mentionnait les travaux de Charles Prats, et en particulier son chiffrage du nombre d’assurés sociaux. Derechef, l’équipe de Fact checking de la chaine entendait rétablir LA vérité en minorant les chiffres avancés par Éric Zemmour.
Gilles Clavreul réagissait de façon pour le moins inélégante sur Twitter en affirmant
Très bonne illustration du porte-à-faux sur lequel @ZemmourEric tombera : il croit les balivernes d’un mauvais fonctionnaire sur les fraudes sociales. Se laisser mener le bout du nez par des conseillers incompétents, ce n’est pas de bon augure pour un aspirant au pouvoir.
— Gilles CLAVREUL (@GillesClavreul) September 23, 2021
Cela amenait Charles Prats à lui répondre rapidement :
🔴 Gardez donc vos invectives pour vous. On peut débattre de tout. Sauf des chiffres : 67 millions d’habitants en France alors que nous prenons en charge 75,3 millions d’assurés sociaux (Cour des comptes 8/09/2020).
Avec mon exacte considération.
Charles Prats— Charles Prats 🇫🇷⚖️ (@CharlesPrats) September 23, 2021
Le magistrat donnait également une réponse sous forme de « fact checking » à l’équipe de fact checkers de BFMTV :
🔴 Fact checking des fact checkers #DebatBFMTV Il y a effectivement 400.000 attributions de numéros de sécu à des gens nés à l’étranger chaque année depuis dix ans. Ce sont les données officielles de la sécurité sociale (fichier SANDIA). 3,5 millions attribués entre 2011 et 2020.
— Charles Prats 🇫🇷⚖️ (@CharlesPrats) September 23, 2021
La sénatrice LR Valérie Boyer renchérissait :
Les différentes commissions d’enquêtes parlementaires démontrent que la fraude sociale pourrait atteindre entre 14 et 45 milliards d’euros. La cour des comptes ne pointe que la fraude détectée et dont le préjudice a été réparé. C’est la partie émergée de l’iceberg #DebatBFMTV
— Valérie Boyer (@valerieboyer13) September 23, 2021
Enquête administrative à l’encontre de Charles Prats
En dépit de la loi protégeant les lanceurs d’alerte, toutes les vérités, à tout le moins, toutes les révélations, ne semblent pas bonnes à dire, surtout quand celles-ci commencent à avoir un certain retentissement.
Le 21 octobre 2021, nous apprenions notamment par Le Figaro que Charles Prats faisait l’objet d’une enquête administrative, motivée par d’éventuels « manquements au devoir de réserve ».
Nous ne connaissons pas à ce jour les conclusions et les suites de cette enquête lancée par (ou avec l’aval) le ministre de la justice, Monsieur Dupont-Moretti. Charles Prats n’en dénonce pas moins une pression d’ordre politique.
Le Point censure Charles Prats sur Twitter
Un nouvel exemple nous montre que la dénonciation de la fraude sociale n’est décidemment pas un long fleuve tranquille.
Le 22 février 2022, l’hebdomadaire Le Point publiait un article consacré aux allégations de fraudes à l’immatriculation à la sécurité sociale par des personnes nées à l’étranger. Les affirmations selon lesquelles « le service qui attribue le numéro de sécurité sociale aux personnes nées hors de France laisserait passer des millions de faux documents » seraient selon les deux journalistes et auteurs de l’article un « mythe ».
Les fins limiers du Point sont allés pour leur enquête à ce sujet au service administratif national d’identification des assurés. Jusque-là, rien à dire, ils font un travail d’investigation et sortent de leur bureau, très bien. Cela se complique néanmoins quand le principal intéressé accusé de propager un « mythe » tente de répondre à ces accusations en faisant des commentaires sur le compte Twitter du Point. Ceux-ci sont de façon aussi rapide qu’incompréhensible supprimés.
Le 22 février, Charles Prats republie sur Twitter les tweets qu’il a écrit en réponse à l’article du Point sur le nombre de numéros de sécurité sociale. Cela l’amène à réagir :
🔴 Vous voulez voir un exemple de #censure par un grand journal comme @LePoint ? Voilà comment des journalistes empêchent leurs lecteurs d’avoir accès à la réaction de celui qu’ils mettent en cause ad hominem… Pas de pot c’est un peu voyant… Est-ce une pratique courante ? 🤔 https://t.co/8iicXobuaE pic.twitter.com/6eQJpa9TeL
— Charles Prats 🇫🇷⚖️ (@CharlesPrats) February 22, 2022
Décidément, la dénonciation de la fraude sociale est un exercice difficile pour certains médias de grand chemin. On se prend à suggérer aux écoles de journalisme de faire un focus un peu plus accentué sur un principe déontologique de base : le respect et l’expression des points de vue contradictoires. Le conflit russo-ukrainien pourrait aussi constituer un bon sujet d’exercice en ce sens.