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CheckNews est-il un service de la police de la pensée ?

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14 août 2023

Temps de lecture : 6 minutes
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CheckNews est-il un service de la police de la pensée ?

Temps de lecture : 6 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 28 avril 2023

Chacun connaît Libération, le quotidien financé – tour à tour – par Édouard de Rothschild, puis par l’homme d’affaires Bruno Ledoux, puis par Patrick Drahi de SFR, enfin par le Tchèque Daniel Křetínský. Le quotidien dispose d’un service de « vérification » appelé CheckNews. Nous posons une question simple : ce service est-il un un auxiliaire de police ? Pour y répondre, nous étudierons un long article du quotidien, sur un bizarre « canal d’extrême droite » FR DETER.

FR DETER et ses suiveurs

Avouons-le de suite, nous igno­ri­ons tout du fil FR DETER sur Telegram avant l’article de Check­News sur Libéra­tion le 6 avril 2023. Il existe une foul­ti­tude de fils divers et var­iés sur les réseaux soci­aux et celui-ci comme les autres devait com­porter son lot de foldingues, de mythomanes, de jus­ticiers en cham­bre et de pseu­do ter­reurs act­ifs sur inter­net. Le fil a été fer­mé, ce n’est pas son con­tenu qui nous intéresse, mais la manière dont Check­News a suivi et traité l’affaire.

Présentation du fil

Pour Libéra­tion, le fil est « d’extrême-droite, prô­nant l’ultra-violence et relayant l’idéologie nazie ». Remar­quons que pour le quo­ti­di­en de Messieurs Drahi et Křetín­ský, le min­istre de l’Intérieur Gérard Dar­manin est présen­té comme proche de l’extrême-droite et ultra-vio­lent et que tout groupe à la droite de la branche cen­triste de LR est sus­pect de sym­pa­thies pro nazi, on est bien peu de choses.

Les cap­tures d’écran présen­tées repren­nent des échanges informels et insignifi­ants d’étudiants du mou­ve­ment La Cocarde, sans signe nazi ou autre.

Libé se met en cinq pour dénoncer avec minutie

La suite est plus intéres­sante, car l’article vise à iden­ti­fi­er des util­isa­teurs du fil, puis à les dénon­cer à leur employeur (ou leur école) en vue d’un aver­tisse­ment ou d’une mise à pied ou même d’un licen­ciement ou d’une exclu­sion. Prenons quelques exem­ples, les lignes en italiques sont des cita­tions de l’article.

Et d’un

« Guil­laume A., présent dans le sous-groupe «FR DETER» du Var, se présente comme mem­bre d’une équipe de «police sec­ours nuit» et indique qu’il opère au sein de «patrouilles anti-vio­lences urbaines». Un peu plus loin : « Une source poli­cière sur place indique «essay­er de démêler la sit­u­a­tion», tout en pré­cisant qu’il «sem­blerait que ce soit un polici­er adjoint». Encore plus loin, « La pré­fec­ture du Var, sol­lic­itée, ren­voie vers l’Intérieur. De nou­veau inter­rogé à ce sujet, l’entourage de Dar­manin indique cette fois qu’une enquête est en cours et ne veut faire aucun com­men­taire ». Enfin, « le par­quet de Paris con­firme que le «sig­nale­ment est en cours d’analyse au pôle nation­al de la lutte en ligne». Nous ignorons tout de Guil­laume A, mais nous con­sta­tons que Check News a con­tac­té pour le dénon­cer tour-à-tour :

  1. Une source policière
  2. La pré­fec­ture du Var
  3. Le Min­istère de l’Intérieur, au moins deux fois (« de nou­veau interrogé »).
  4. Le Par­quet de Paris

Si après cela Guil­laume A. « sig­nalé » ne se retrou­ve pas ou bien au cachot, ou bien licen­cié ou a min­i­ma au tri­bunal, c’est qu’il n’y a pas de jus­tice pour les dénonciateurs.

Et de deux

Prenons un sec­ond exem­ple, dans le monde du rug­by, cita­tion « Check­News a égale­ment relevé la présence d’un mineur évolu­ant dans la sec­tion asso­cia­tive d’un club de Top 14. Le club nous explique s’être entretenu avec le jeune garçon et sa famille. Pour sa défense, ce dernier explique avoir atter­ri con­tre son gré dans le canal Telegram, en recher­chant via Tik­Tok des ren­seigne­ments sur l’armée et le moyen de rejoin­dre l’équipe de rug­by de la Marine ».

Nous ne savons pas quelle grave men­ace représen­tait ce jeune homme. Nous con­sta­tons en toute can­deur que Check News a con­tac­té son club de rug­by pour le « met­tre en garde ». On peut sup­pos­er que le désir du garçon de rejoin­dre l’équipe de rug­by de la marine ne sera pas vrai­ment favorisé par la dénon­ci­a­tion. Mer­ci qui ?

Et de trois

Mais pour­suiv­ons nos cita­tions « Par­mi les jeunes, beau­coup affichent leurs ambi­tions de devenir mil­i­taire ou du moins leur pas­sion pour ce domaine. Dans les canaux, cer­tains arborent des pho­tos de sol­dats qui ne sont pas les leurs, d’autres ont sim­ple­ment fait des stages, à l’image de l’un d’eux qui affiche fière­ment sa «pré­pa­ra­tion Mil­i­taire Terre» de cinq jours. Un autre se dit être actuelle­ment élève en lycée mil­i­taire, dont la devise est vis­i­ble sur sa pho­to de pro­fil. Con­tac­tée, la direc­tion de l’établissement n’a pas don­né suite ». Relisez lente­ment la dernière phrase : con­tac­tée, la direc­tion de l’établissement n’a pas don­né suite… Ce qui veut dire :

1 Check News a recher­ché l’établissement, son télé­phone ou son mail ou son adresse.

2 Check News a dénon­cé l’élève par télé­phone, par mail ou par cour­ri­er ou par les trois.

Mal­heureuse­ment « la direc­tion de l’établissement n’a pas don­né suite » ; la police doit affron­ter par­fois cer­tains échecs.

Et de quatre

Pour­suiv­ons encore avec un autre exem­ple « Autre cas frap­pant, un polici­er munic­i­pal, qui avait affiché son prénom, sa ville et sa fonc­tion sur le sous-groupe Telegram du Val‑d’Oise. Il a été sus­pendu par son employeur suite aux révéla­tions. Con­tac­tée par Check­News, la mairie de Fran­conville, en Ile-de-France, a indiqué que la déci­sion avait été prise dès le lun­di 3 avril, «après avoir pris con­nais­sance de cette infor­ma­tion». L’information  trans­mise par Check News bien enten­du, mis­sion accom­plie pour Libéra­tion, pour­rait-on dire…

Et de cinq

Ter­mi­nons par un exem­ple de chas­se à l’homme dans le monde étu­di­ant : « Quid des ini­ti­a­teurs du canal ? Check­News n’a, pour l’heure, pas pu iden­ti­fi­er le prin­ci­pal gérant du canal. Chaque sous-groupe départe­men­tal était géré par une poignée d’administrateurs. L’un d’eux, étu­di­ant en école de com­merce, fait actuelle­ment l’objet d’une procé­dure dis­ci­plinaire de la part de son étab­lisse­ment, qui indique à Check­News pren­dre «le sujet très au sérieux ».

Pour que le sujet soit pris « très au sérieux », un jour­nal­iste de Check­News a dû pren­dre con­tact avec l’école de com­merce pour lui « sig­naler » qu’un vilain petit canard se trou­vait par­mi ses élèves. Un con­seil de dis­ci­pline extra­or­di­naire s’est réu­ni avec des sanc­tions pou­vant aller « jusqu’à son exclu­sion ». On n’est pas plus clair. Nous pour­rions trou­ver d’autres exem­ples du même style dans l’article et avec la même méthode :

  1. Iden­ti­fi­ca­tion du contrevenant
  2. Sig­nale­ment aux autorités con­cernées pour mesures à prendre
  3. Suivi pour appli­ca­tion de la sanction

Fer­mons le ban, la démon­stra­tion est faite, Check­News est une insti­tu­tion poli­cière. Pourquoi pas ? Il faut aus­si de la police dans une société. Mais dans ce cas il ne faut pas se pré­ten­dre jour­nal­iste, il faut ren­dre sa carte de presse, met­tre un joli uni­forme avec une cas­quette et assumer son rôle de flic de la pen­sée, joli méti­er qui a de l’avenir dit-on…