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<span class="dquo">«</span> L’Ocean Viking aurait-il dû accoster ailleurs qu’en France ? » L’AFP Factuel entre sophisme et paralogisme

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29 novembre 2022

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | « L’Ocean Viking aurait-il dû accoster ailleurs qu’en France ? » L’AFP Factuel entre sophisme et paralogisme

« L’Ocean Viking aurait-il dû accoster ailleurs qu’en France ? » L’AFP Factuel entre sophisme et paralogisme

Temps de lecture : 7 minutes

Le débarquement à Toulon le 11 novembre de 234 clandestins à bord de l’Ocean Viking a fait l’objet de nombreux articles et reportages dans les médias. Le fait que le bateau de l’ONG ait parcouru des milliers de kilomètres à proximité des côtes maritimes d’autres pays avant d’arriver dans les eaux territoriales françaises a été abondamment commenté.

Sur Twit­ter, l’AFP Factuel pose le 21 novem­bre 2022 cette impor­tante ques­tion : « L’O­cean Viking aurait-il dû accoster ailleurs qu’en France ? ». L’agence de presse déroule dans un arti­cle paru sur le site de l’agence de presse un long exposé aboutis­sant à la con­clu­sion que ceux qui arguent du fait que le navire aurait dû accoster ailleurs qu’en France ont tort.

Prob­lème : le raison­nement de l’AFP Factuel pour par­venir à cette con­clu­sion cen­sée « débunker » des fake news de Damien Rieu et de Marine le Pen est tout sauf logique.

La question du port d’accostage de l’Ocean Viking

L’AFP Factuel résume de la façon suiv­ante l’article con­sacré à sa véri­fi­ca­tion des faits sur le lieu de débar­que­ment de l’O­cean Viking :

« Après trois semaines d’er­rance et de vives ten­sions poli­tiques fran­co-ital­i­ennes, l’O­cean Viking a finale­ment accosté le 11 novem­bre au port français de Toulon pour y faire débar­quer 234 migrants sauvés des eaux de la Méditer­ranée. Plusieurs per­son­nal­ités poli­tiques se sont exprimées à ce sujet, invo­quant régulière­ment des notions de port “sûr” et/ou “le plus proche” pour arguer du fait que le navire aurait dû accoster ailleurs qu’en France. Mais ces affir­ma­tions con­ti­en­nent plusieurs impré­ci­sions et inex­ac­ti­tudes. Si l’O­cean Viking a accosté loin des zones où les migrants avaient été sauvés, c’est parce qu’il n’a jamais reçu le feu vert de la Libye, Malte, ou l’I­tal­ie, comme l’a expliqué l’ONG SOS Méditer­ranée. Un accostage en Tunisie, comme l’a évo­qué la prési­dente du groupe RN à l’Assem­blée Marine Le Pen, était égale­ment impos­si­ble dans ce cas de fig­ure au vu du droit mar­itime inter­na­tion­al. De plus, la notion de port “le plus proche” n’ex­iste pas dans le droit, et si la notion de “lieu sûr” existe, elle est soumise à inter­pré­ta­tion, comme l’ont expliqué des experts des migra­tions inter­rogés par l’AFP ».

Le raisonnement de l’AFP

Il est impor­tant de repren­dre les dif­férentes étapes du raison­nement de l’AFP Factuel pour en com­pren­dre l’enchainement et en appréci­er la cohérence logique

1. Les deux États en charge des secours et de la recherche d’un lieu où accoster n’ont pas joué leur rôle

« En mer, les eaux sont partagées entre eaux nationales, proches des côtes des Etats, qui en sont donc respon­s­ables, et eaux inter­na­tionales, au large, dans lesquelles les pays ont défi­ni des zones placées sous la respon­s­abil­ité d’un Etat don­né, chargé de coor­don­ner les sec­ours et iden­ti­fi­er un lieu où accoster après sauve­tage (…) Au regard de ces textes, dans le cas de l’O­cean Viking, les choses sont très claires: le navire ayant réal­isé ses sauve­tages dans les eaux dépen­dant de la Libye et de Malte, coor­don­ner les sec­ours et assign­er un lieu de débar­que­ment était de la respon­s­abil­ité de Tripoli et La Valette. Or SOS Méditer­ranée, qui opère l’O­cean Viking, assure n’avoir jamais reçu aucune réponse de leur part ».

2. Les recherches d’un port où accoster ont échouées

- « Ce jour­nal de bord mon­tre par exem­ple que le navire a envoyé le 27 octo­bre une demande d’i­den­ti­fi­ca­tion d’un port où accoster au cen­tre de coor­di­na­tion ital­ien, avec ceux de Malte et Tripoli et les autorités mar­itimes de Norvège (État qui abrite son pavil­lon) en copie. Cepen­dant, ni les autorités libyennes, ni les autorités mal­tais­es n’ont répondu ».

- « Ce jour­nal de bord mon­tre aus­si qu’en­tre le 22 octo­bre et le 10 novem­bre, le navire a envoyé près d’une cinquan­taine de deman­des pour être autorisé à accoster dans un port sûr (“request for a place of safe­ty”), avant de finale­ment être autorisé à débar­quer dans le port français de Toulon le 11 novembre ».

- « Débar­quer en Tunisie aurait pu être pos­si­ble si la Libye ou Malte s’é­taient coor­don­nées en ce sens avec Tunis, mais ces deux Etats respon­s­ables sem­blent en l’oc­cur­rence n’avoir jamais don­né à l’O­cean Viking le nom d’un port sus­cep­ti­ble de l’accueillir ».

- « Mais la Libye (…) “n’est pas en mesure d’of­frir un lieu sûr”, “ne nous a pas répon­du” sur ce point, pas plus que Malte, rap­porte M. Lauth ».

3. Le débarquement en Tunisie était impossible car la Libye ou Malte ne se sont pas coordonnées en ce sens avec Tunis

- « Con­traire­ment à ce que dis­ent Marine Le Pen et Damien Rieu, il n’y avait donc juridique­ment pas pos­si­bil­ité d’ac­coster en Tunisie pour l’O­cean Viking en octo­bre » car « débar­quer en Tunisie aurait pu être pos­si­ble si la Libye ou Malte s’é­taient coor­don­nées en ce sens avec Tunis, mais ces deux Etats respon­s­ables sem­blent en l’oc­cur­rence n’avoir jamais don­né à l’O­cean Viking le nom d’un port sus­cep­ti­ble de l’accueillir ».

4. Le débarquement a eu lieu en France grâce à l’accord des autorités

- « D’où une pre­mière demande de l’ONG adressée le 27 octo­bre à l’I­tal­ie pour qu’elle se charge d’i­den­ti­fi­er un port où accoster. Puis, sans réponse favor­able, des deman­des envoyées à la France, l’Es­pagne et la Grèce les 5 et 6 novem­bre, et à la France et l’I­tal­ie encore du 7 au 9 novem­bre, avant le feu vert français du 10, mon­tre le car­net de bord du navire ».

AFP Factuel : sophisme ou paralogisme ?

Dans un fil sur Twit­ter, Damien Rieu indique à par­tir d’un arti­cle de Ruben Puli­do paru dans La Gac­eta de la Iberos­fera deux ports en par­ti­c­uli­er où l’Ocean Viking aurait pu au cours de son long périple débarquer :

- Sfax en Tunisie, le bateau ayant été à un moment don­né à 110 milles nau­tiques de ses côtes ;

- Malte, le bateau ayant été à un moment don­né à 56,2 miles nau­tiques de ses côtes.

S’agissant du rôle des Etats au regard du droit mar­itime, l’AFP Factuel se garde bien de soulign­er que si les autorités libyennes et mal­tais­es ne se sont pas coor­don­nées pour laiss­er accoster l’Ocean Viking en Tunisie, bien que ce bateau ait été très proche des côtes de ce pays, elles ne se sont pas davan­tage « coor­don­nées » avec les autorités français­es pour le laiss­er accoster en France.

S’agissant du port de débar­que­ment, l’article de l’AFP Factuel men­tionne que l’ONG a demandé à la France, à l’Es­pagne et à l’Italie l’autorisation de débar­quer les migrants. Pour quelle rai­son cette demande n’a‑t-elle pas été faite auprès des autorités tunisi­enne, la Tunisie béné­fi­ciant par ailleurs de sub­sides de l’Union Européenne pour retenir les migrants et éviter que des bateaux clan­des­tins par­tent de ses côtes ? N’était-il pas impor­tant d’envoyer un sig­nal aux passeurs et autres trafi­quants d’êtres humains sur le fait qu’il ne suf­fit pas de met­tre en mer des bateaux clan­des­tins pour qu’ils arrivent en Europe, au prix par­fois de noy­ades en haute mer ?

Les argu­ments dévelop­pés par l’AFP Factuel dans son arti­cle ne per­me­t­tent aucune­ment de d’écarter qu’effectivement, l’O­cean Viking aurait dû accoster ailleurs qu’en France. L’Ocean Viking n’a pas pu accoster dans un port plus proche que Toulon, faute des autori­sa­tions néces­saires. Seul le gou­verne­ment français a capit­ulé dans la par­tie de bras de fer avec SOS Méditer­ranée, l’agence de voy­ages de clan­des­tins bien con­nue des passeurs.

L’Ocean Viking aurait pu accoster ailleurs que sur les côtes français­es, si tant est que toutes les démarch­es et pres­sions diplo­ma­tiques aient été exer­cées pour qu’il ramène les migrants là d’où ils n’auraient jamais dû par­tir : l’Afrique. Mais ce serait là enfrein­dre un tabou imposé par le lob­by immi­gra­tionniste en Méditer­ranée centrale.

L’AFP Factuel a‑t-il fait une erreur de raison­nement ou sa ques­tion ini­tiale était-elle sim­ple­ment et volon­taire­ment mal posée ? Cha­cun en jugera, mais nous avons un peu notre idée…

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