Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Le magazine Elle et le néo-féminisme castrateur

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

16 avril 2023

Temps de lecture : 5 minutes
Accueil | Veille médias | Le magazine Elle et le néo-féminisme castrateur

Le magazine Elle et le néo-féminisme castrateur

Temps de lecture : 5 minutes

Nous parlons peu de la presse féminine, pourtant très lue et bien dans l’ambiance libérale libertaire du moment. Nous publions avec gourmandise une tribune de David L’Épée, essayiste suisse, collaborateur de la revue Éléments, rédacteur en chef de la revue Krisis, parue sur son blog, toujours intéressant et parfois décoiffant.

Chéri.e, j’ai déconstruit les gosses !

Vous avez don­né nais­sance à un enfant doté d’un pénis et vous craignez qu’il ne s’agisse d’un garçon ou, pire, d’un homme en puis­sance, for­cé­ment macho et dom­i­na­teur ? Il existe une solu­tion. C’est dans le dernier numéro de « Elle ».

J’ai une pas­sion coupable, qui vire sou­vent à l’ob­ses­sion : je lis tout ce qui me passe sous les yeux. Je fais des revues de presse à peu près depuis que je sais lire et je suis assez sem­blable à la vision que Hegel se fai­sait de l’homme mod­erne pour qui, écrivait-il, la lec­ture des gazettes fait office de prière mati­nale. Bref, je lis beau­coup, partout et un peu de tout. Il arrive pour­tant, les journées n’ayant que vingt-qua­tre heures, que cer­tains titres de presse échap­pent à mes radars, ce qui n’est pas très grave car je peux compter sur un solide réseau d’amis et de cor­re­spon­dants qui m’en­voient quo­ti­di­en­nement des arti­cles pêchés çà et là. Je remer­cie donc aujour­d’hui mon amie Anaïs, qui a attiré mon atten­tion sur un arti­cle paru le 16 mars dans le mag­a­zine Elle dont je ne suis, vous vous en doutez, pas tout à fait le cœur de cible.

Un déclencheur : l’af­faire Vin­cent Cassel

L’ar­ti­cle en ques­tion, signé Flo­rence Trédez, est inti­t­ulé « Tu seras fémin­iste, mon fils » . Il se veut une réponse aux récentes déc­la­ra­tions de Vin­cent Cas­sel qui, pour rap­pel, avait tenu le 17 févri­er dernier les pro­pos suiv­ants dans un entre­tien accordé au Guardian  :

« C’est presque hon­teux d’être un homme de nos jours. Vous devez être plus féminin, plus vul­nérable. Mais si les hommes devi­en­nent trop vul­nérables et trop féminins, je pense qu’il va y avoir un problème. »

Il y a quelques années encore ces quelques phras­es anodines n’au­raient sans doute pas retenu l’at­ten­tion out­re mesure mais aujour­d’hui elles ont sus­cité une vaste polémique, déchainant tweets rageurs, insultes en ligne, déc­la­ra­tions d’ac­teurs se désol­i­darisant de leur con­frère (Charles Berling notam­ment), réac­tions fémin­istes agres­sives dans les médias et la blo­gosphère, etc. « Des pro­pos qui passent mal » com­mente le site Au féminin tan­dis que le site Mad­moizelle explique que « les pro­pos du comé­di­en sont révéla­teurs du chemin qu’il reste encore à par­courir » (pour aller où ?). Sur le média en ligne Ter­ra Fem­i­na, le jour­nal­iste Clé­ment Arbrun, qui voit dans les déc­la­ra­tions de Cas­sel une forme de « tox­i­c­ité per­verse » et une « log­or­rhée d’un autre temps », ne cache pas sa con­ster­na­tion : « Pas très mod­erne tout ça. On se demande ce qu’ont tous les mecs quin­quas avec ce fan­tasme qu’est le “déclin de la mas­culin­ité”. […] En vérité, on peut voir là une réac­tion typ­ique de mec dépassé par l’évo­lu­tion des mentalités. »

La palme de l’indig­na­tion revient toute­fois sans con­teste (et sans grande sur­prise) aux Inrocks , qui qual­i­fient Cas­sel de « Mon­sieur Jour­dain tran­quille de la beauferie », les quelques phras­es incrim­inées rel­e­vant selon le jour­nal­iste d’« une somme d’idées arriérées sur les hommes, les femmes », d’« une enfilade de per­les pépouzes, de clichés réacs et bon­hommes, de préjugés ridicules à la grand-papa », sa réflex­ion se lim­i­tant à un « argu­ment de base du Français moyen macho qui s’ig­nore […] plus proche des Brèves de comp­toir de Jean-Marie Gou­rio que de Judith But­ler », et de con­clure : « On reste pan­tois devant tant de puéril­ité sere­ine. » J’avoue pour ma part être resté pan­tois devant ce déluge de pro­pos méprisants (mât­inés, comme tou­jours dans cette presse-là, d’un cer­tain mépris de classe) et n’avoir pas bien com­pris ce qui jus­ti­fi­ait, dans ces quelques mots de l’ac­teur français, un tel défer­lement de fureur expi­a­toire. À tel point que je me suis penché moi-même sur cette polémique, dont j’ai fait le point de départ d’un long arti­cle de fond inti­t­ulé « A la recherche de l’homme décon­stru­it », que vous pour­rez décou­vrir d’i­ci une semaine ou deux dans le prochain numéro de Kri­sis à paraître.

Mais revenons à cet arti­cle d’Elle . La jour­nal­iste nous met en garde con­tre les « mas­culin­istes », qui sem­blent être partout à l’af­fût, prêts à per­ver­tir nos petites têtes blondes pour en faire d’af­freux petits phal­locrates en herbe. « Les mas­cus sont bien par­mi nous ! » nous met-elle en garde, nous aler­tant con­tre « leur insi­dieux pou­voir de manip­u­la­tion de l’opin­ion publique par les réseaux soci­aux ». La preuve de leur influ­ence ? « Le rap­port annuel du Haut Con­seil à l’é­gal­ité entre les femmes et les hommes sur l’é­tat du sex­isme en France n’a ras­suré per­son­ne : les jeunes généra­tions sont plus sex­istes que leurs aînés. » Avec tout le battage fémin­iste auquel on a droit depuis quinze ou vingt ans, c’est tout de même bal­lot d’en arriv­er là ! À croire que lorsqu’elle dépasse un cer­tain dosage, la pro­pa­gande a ten­dance à invers­er ses effets et à se retourn­er con­tre elle-même…

La suite sur partager.io/publication/aufildelepee/