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La revue de presse internationale de Thomas Cluzel sur France Culture : conformisme intégral

13 mars 2018

Temps de lecture : 10 minutes
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La revue de presse internationale de Thomas Cluzel sur France Culture : conformisme intégral

Temps de lecture : 10 minutes

Chaque jour de la semaine, France Culture propose en ses Matins une revue de presse internationale signée Thomas Cluzel. La semaine du 5 au 9 mars 2018, riche en événements importants, était une belle occasion de l’écouter. Plongée dans les eaux profondes du conformisme intégral.

L’émission dure 5 min­utes, s’intègre dans Les Matins de France Cul­ture, et se présente ain­si : « Panora­ma de la presse du monde entier autour d’une actu­al­ité, du lun­di au ven­dre­di dans les Matins de France Cul­ture ». Que ressort-il d’une écoute de trois des chroniques de la semaine ?

Lundi 5 mars 2018. Titre : Le message serait-il brouillé ?

Accroche : « Tan­dis qu’en Alle­magne le vote des soci­aux-démoc­rates ouvre la voie à la for­ma­tion d’un gou­verne­ment de coali­tion, en Ital­ie, la troisième économie de la zone euro va sans doute se retrou­ver sans gou­verne­ment pen­dant un moment ». La revue de presse, s’appuie sur The New Sci­en­tist, mag­a­zine sci­en­tifique heb­do­madaire inter­na­tion­al fondé en 1956, basé à Lon­dres, et pub­liant des arti­cles en langue anglaise. Une grande par­tie des arti­cles des­tinés à un vaste pub­lic qui parais­sent dans la presse général­iste s’appuie sur ce que pub­lie cet heb­do­madaire, très lu mais n’ayant pas de comité de lec­ture scientifique.

C’est un peu la « base de don­nées » général­iste qui irrigue les médias, le mag­a­zine agis­sant d’ailleurs comme une agence de presse sci­en­tifique en pro­posant des dépêch­es quo­ti­di­ennes. Thomas Cluzel, en ce lun­di matin 5 mars 2018, de retour de vacances, s’est intéressé aux infor­ma­tions issues de The New Sci­en­tist, non pas en lisant directe­ment l’hebdomadaire mais en feuil­letant les dernières infor­ma­tions de Cour­ri­er Inter­na­tion­al : « Avez-vous déjà enten­du les plantes par­ler ? Si vous vous promenez dans une forêt et que vous inspirez pro­fondé­ment alors, à défaut d’en­ten­dre des mots à pro­pre­ment par­ler, vous sen­tirez prob­a­ble­ment toute sorte de sub­stances chim­iques volatiles com­plex­es, que l’on peut con­sid­ér­er comme un lan­gage odor­ant, au sens où l’on peut dire que la plante qui libère l’une de ces sub­stances dans l’at­mo­sphère « par­le » et que celle qui la reçoit « écoute » et même lui « répond ». C’est ain­si, explique The New Sci­en­tist, que cer­taines plantes parvi­en­nent, notam­ment, à se prévenir les unes les autres en cas d’attaque immi­nente de par­a­sites ».

Le rap­port avec le souci du jour (le résul­tat des élec­tions ital­i­ennes) ? Actuelle­ment, la pol­lu­tion empêcherait la com­mu­ni­ca­tion entre plantes de se faire cor­recte­ment. Il en serait de même par ailleurs, selon Thomas Cluzel : « Et si j’ai choisi de vous par­ler, ce matin, des dan­gers du brouil­lage de la com­mu­ni­ca­tion, c’est parce qu’une fois encore l’ac­tu­al­ité sem­ble témoign­er de ce que poli­tiques et citoyens, eux non plus, ne se com­pren­nent plus ». Selon le chroniqueur, en Alle­magne, la coali­tion CDU/SPD per­met de redonner un gou­verne­ment au pays, même si des cri­tiques exis­tent au sein des deux par­tis, dans un con­texte où le par­lement est « men­acé » par 92 députés « d’extrême-droite ». Ce mot désig­nant en réal­ité tout ce qui en terme d’idées ne s’apparente pas à la CDU et au SPD brouille la pen­sée de Thomas Cluzel, lequel ne perçoit pas com­bi­en la démoc­ra­tie est sujette à cau­tion quand un tel gou­verne­ment est con­sti­tué par des par­tis devenus minori­taires et rejetés par une pop­u­la­tion alle­mande. Con­formisme de la pen­sée. Il en va de même au sujet d’une Ital­ie qui serait « ingou­vern­able ». Là aus­si, le peu­ple a « plébisc­ité les par­tis d’extrême droite et anti sys­tème », d’après Cluzel. Pas plus de ques­tion­nement sur le fait que cette « extrême droite » fan­tas­mée représente le peu­ple. Le prob­lème est autre et s’appelle « pop­ulisme », créa­teur de « con­fu­sion ». La sim­ple légitim­ité de la sou­veraineté pop­u­laire, la place de la ques­tion des migrants, celle de l’UE, dans cette élec­tion, rien de tout cela n’est évo­qué. Pour Cluzel, con­for­mé­ment à la doxa offi­cielle et dom­i­nante, le vote pop­u­laire « indésir­able » est un vote pop­uliste, illégitime par nature. Une chronique qui est un sym­bole de ce que sig­ni­fie le mot démoc­ra­tie dans les esprits médi­a­tiques officiels.

Mercredi 7 mars 2018. Titre : ça va, ça vient

Retour sur les élec­tions ital­i­ennes. Accroche : « En Ital­ie, deux options s’offrent au Mou­ve­ment Cinq Etoiles pour for­mer un gou­verne­ment : une alliance avec le Par­ti démoc­rate ou avec la Ligue d’extrême-droite. Ces deux for­ma­tions ont, déjà, rejeté un tel scé­nario. La démis­sion annon­cée de Mat­teo Ren­zi chang­era-t-elle la donne ? ».

Thomas Cluzel indique que « Le mou­ve­ment 5 étoiles est le grand vain­queur des élec­tions » (oubliant la Ligue) et surtout que le prin­ci­pal per­dant de ces élec­tions, Ren­zi, annonce sa démis­sion tout « en définis­sant la ligne poli­tique pour la lég­is­la­ture à venir ». C’est ce « va et vient » de Ren­zi qui intéresse Thomas Cluzel, plus que la réal­ité des résul­tats de la Ligue, out­re ceux du Mou­ve­ment 5 étoiles, et de la prob­lé­ma­tique numéro 1 de ces élec­tions, la pres­sion migra­toire sur l’Italie et l’Europe. Cluzel n’a pas d’oreilles pour enten­dre la sou­veraineté pop­u­laire, ni de micro pour en par­ler. Cette décidé­ment impor­tante ques­tion du « va et vient », Thomas Cluzel en repère une autre occur­rence du côté de Don­ald Trump, l’auditeur sen­tant immé­di­ate­ment à l’annonce de ce nom qu’il n’y aura pas de fra­ter­nité par­ti­c­ulière envers le prési­dent des États-Unis d’Amérique. Il s’agit d’un ancien con­seiller de cam­pagne de Trump, en con­flit juridique avec le président.

Cluzel cite ce con­seiller, lequel aurait indiqué que « Trump aurait fait quelque chose avec les Russ­es, mais qu’il n’en est pas sûr ». Une rumeur en somme, comme la plu­part de ce qui se dit au sujet du prési­dent améri­cain dans les médias français, un prési­dent que l’on qual­i­fi­ait partout de « fou » début 2018. La rumeur plutôt que l’information, par exem­ple au sujet du sou­tien pop­u­laire des améri­cains à Don­ald Trump, sa côte de pop­u­lar­ité ayant de quoi faire rêver n’importe quel prési­dent français depuis le Général. À ces infor­ma­tions, Cluzel préfère un « je ne suis pas sûr », lequel n’est d’évidence pas une fake news. Le chroniqueur de France Cul­ture, soucieux comme l’ensemble de ses con­frères, de mon­tr­er com­bi­en Trump serait incom­pé­tent évoque alors un autre « va et vient », le départ du « prin­ci­pal con­seiller économique de Trump », départ qui serait une con­séquence des annonces du prési­dent quant à l’acier et à l’aluminium. « Cette démis­sion est bel et bien un coup dur pour son admin­is­tra­tion, laque­lle aura du mal à s’en remet­tre » (c’est nous qui soulignons). Bien sûr, une semaine après une telle phrase, cha­cun peut voir que l’administration Trump s’est (évidem­ment) remise du départ d’un con­seiller économique mais il n’y a pas pour autant de fake news dans cette façon de présen­ter des faits. Un sim­ple réflexe pavlovien de plus.

Pour Cluzel, les men­aces ne sont pas minces : « Dif­fi­cile d’imag­in­er qu’en dehors de l’actuelle brigade des pom-pom girls pro­tec­tion­nistes du prési­dent, quelqu’un osera se porter volon­taire pour sup­port­er la déci­sion autode­struc­trice du prési­dent. Quoi qu’il en soit et comme on pou­vait s’y atten­dre, la nou­velle a aus­sitôt provo­qué une véri­ta­ble tem­pête de feu sur les marchés financiers, relève à nou­veau le quo­ti­di­en économique. Hier, d’Asie aux Etats-Unis, en pas­sant par l’Europe, les bours­es mon­di­ales ont fait le yoyo. Et puis surtout, cette nou­velle sec­ousse démon­tre à quel point la pres­sion monte, aujour­d’hui, autour de Don­ald Trump, prévient pour sa part Le Temps. Après avoir bran­di le spec­tre d’une guerre com­mer­ciale qu’il entrevoy­ait, sans doute, fraîche et joyeuse, le voilà à présent som­mé d’a­ban­don­ner son plan, aus­si bien par les parte­naires com­mer­ci­aux des Etats-Unis que par nom­bre de dirigeants répub­li­cains, à l’in­star de Paul Ryan (le prési­dent du Con­grès), lequel est lui-même mon­té aux bar­ri­cades. Ou quand avec sa guerre com­mer­ciale, Trump se tire une balle dans le pied ». L’auditeur de France Cul­ture n’est plus guère sur­pris de se voir annon­cer le chaos et la guerre mon­di­ale, il en entend par­ler toutes les semaines depuis tant d’années, depuis le référen­dum dan­gereux de 2005 à la men­ace atom­ique que ferait peser sur le monde la poli­tique nord-coréenne de Trump, en pas­sant par le Brex­it ou la famille Le Pen. Quant au choix du quo­ti­di­en suisse Le Temps – véri­ta­ble Polit­buro médi­a­tique — comme référence, nous ren­voyons à une chronique de notre con­frère Antipresse de décem­bre 2016 qui décor­tique ce journal.

La chronique de ce milieu de semaine se ter­mine sur l’évocation d’un assas­si­nat dont pour­rait être respon­s­able un état gou­verné par un autre « méchant », la Russie. Car dans la tête de Thomas Cluzel il en va comme dans toutes les têtes bien for­matées par cer­taines écoles de jour­nal­isme et de sci­ences poli­tiques français­es : il y a le Bien et il y a le Mal. Et cette grille d’analyse suf­fit pour com­pren­dre la com­plex­ité du monde et des personnes.

Vendredi 8 mars 2018. Titre : qu’y a‑t-il de plus stupéfiant ?

Fin de semaine, pata­tras ! Accroche : « Le prési­dent améri­cain Don­ald Trump a accep­té de par­ticiper à un som­met his­torique avec le leader nord-coréen Kim Jong-un. Un rebondisse­ment spec­tac­u­laire dans un des con­flits les plus épineux du globe ». Bien sûr, le rebondisse­ment n’est spec­tac­u­laire que pour les médias for­matés pen­sant le monde de façon binaire et imag­i­nant que des per­son­nal­ités poli­tiques telles que Trump, Pou­tine ou Kim Jong-un seraient des fous. En réal­ité, depuis l’accession de Trump à la prési­dence des États-Unis, et encore plus par­ti­c­ulière­ment depuis les derniers JO, des ana­lystes ont indiqué que les rela­tions entre la Corée du Nord et les États-Unis allaient con­naître un réchauffement.

Des médias tels que France Cul­ture con­sid­érant ces ana­lystes comme étant de droite rad­i­cale, autrement dit pen­sant sim­ple­ment autrement que la vision binaire dom­i­nante, délégitimés de ce fait, ils n’ont pas l’oreille de Thomas Cluzel. L’annonce d’une ren­con­tre, la pre­mière, entre les chefs d’État des deux pays n’est pas un mince événe­ment his­torique. Elle pour­rait être une étape dans la recom­po­si­tion en cours du monde, et un événe­ment fon­da­teur d’un nou­v­el équili­bre nucléaire mon­di­al. Pour­tant, la chronique de ce jour est illus­trée ain­si sur le site de France Culture :

Un choix d’illustration qui dit plus que de longs dis­cours. La presse offi­cielle, et Radio France en tête, annon­cent depuis des mois que les rela­tions Trump/Kim-Jong-un vont con­duire à la guerre nucléaire mon­di­ale car ces deux hommes seraient des fous. L’annonce d’une ren­con­tre à venir et donc d’un dia­logue paci­fique pour­rait con­duire à revoir cette per­cep­tion, il n’en est rien. Trump, Pou­tine et Kim-Jong-un sont derechef con­sid­érés comme des… psy­chopathes. Bien sûr, Thomas Cluzel ne parvient pas à imag­in­er que Trump veuille réelle­ment la paix et puisse être sain d’esprit, il indique donc que cette annonce est évidem­ment une façon de faire oubli­er « guerre com­mer­ciale, actrice porno et enquête russe », les deux derniers élé­ments étant indiqués sans esprit cri­tique et pris comme des faits. Ce qui n’est, à la date du 8 mars 2018, pour­tant pas le cas. Con­formisme et rumeurs, rien de neuf dans cette revue de presse. D’ailleurs, cette nou­velle n’est pas vrai­ment une bonne nou­velle : « On ne compte plus les exem­ples où Trump, après s’être pronon­cé un peu trop vite, a dû faire appel à ses con­seillers pour nous expli­quer qu’il ne pen­sait pas ce qu’il dis­ait. Or s’agis­sant de la Corée du Nord, dif­fi­cile de s’en­gager comme un idiot ou, pour le dire plus déli­cate­ment, par inad­ver­tance. Enfin, nous ne savons tou­jours pas ce que Kim Jong-un attend de nous. Et un som­met raté pour­rait déclencher de nou­velles escalades de part et d’autre, ce qui qui pour­rait nous con­duire à une sit­u­a­tion plus exécrable encore que celle dans laque­lle nous sommes actuelle­ment plongés ». Notons que la veille, le Prix 2018 du meilleur livre de géopoli­tique a été attribué à Juli­ette Moril­lot et Dori­an Mal­ovic pour La Corée du Nord en 100 ques­tions, un essai qui con­sid­ère juste­ment que les rela­tions entre les deux pays ne sont pas rela­tions irra­tionnelles, mais bien géopoli­tiques. Un ouvrage dont Le Temps ne par­lera pas et restera incon­nu du chroniqueur. Thomas Cluzel se tourne ensuite vers la Bir­manie et la manière dont les musul­mans de ce pays sont « con­sid­érés comme des sous-hommes », puis vers la Russie et sa sup­posée poli­tique d’empoisonnements et enfin la Syrie et son régime soutenu, juste­ment, par la Russie. La boucle est bouclée, con­formisme et vision binaire occi­den­tal­iste du monde, le sol­dat Cluzel mérite une médaille.

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