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Kretinsky, ce que je veux faire avec le quotidien Le Monde

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6 novembre 2018

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Veille médias | Kretinsky, ce que je veux faire avec le quotidien Le Monde

Kretinsky, ce que je veux faire avec le quotidien Le Monde

Temps de lecture : 6 minutes

Dans un long entretien du 3 novembre 2018 au quotidien économique Les Échos, Daniel Kretinsky a précisé une partie de ses intentions futures pour le secteur des médias en France. Avec un maniement remarquable de la langue de bois et un joli sens de l’ellipse.

Une plate forme de départ conséquente

Mar­i­anne, Elle, France Dimanche, Pub­lic, Télé 7 jours, voilà quelques un des titres tombés dans son escar­celle en 2017, le pre­mier racheté à Chaise­martin, les autres au groupe Lagardère. Nous vous présen­tions un peu l’acheteur en mai 2018 :

« Qui con­nais­sait Daniel Kretinsky en France avant le print­emps 2018 ? Sans doute quelques spé­cial­istes de l’énergie, le domaine où l’oligarque tchèque a bâti sa for­tune. Son irrup­tion en France en avril 2018 rachetant l’édition française de Elle et l’hebdomadaire Mar­i­anne, le place dans une posi­tion priv­ilégiée dans le monde médi­a­tique français.
Dans son édi­tion du 5 jan­vi­er 2018, le mag­a­zine améri­cain Forbes estime la for­tune du tchèque à 2,6 mil­liards de dol­lars. À tra­vers prin­ci­pale­ment le groupe EPH, spé­cial­isé dans la pro­duc­tion et le trans­port d’énergie en Europe cen­trale et quelques autres pays. Le coup de génie de Kretinsky fût sans doute de racheter à vil prix des cen­trales à char­bon et à lig­nite dont per­son­ne ne voulait. La déci­sion alle­mande d’abandonner le nucléaire a ren­du indis­pens­ables ces cen­trales dans la péri­ode de tran­si­tion énergé­tique des­tinée à dur­er. En 2016 Kretinsky vend 31% d’EPH au groupe aus­tralien Mac­quar­ie Infra­struc­tures pour 1,6 mil­liards de dol­lars, con­ser­vant la majorité du capital.
En 2013 Kretinsky rachète avec le slo­vaque Patrick Tkak la co-entre­prise tchèque du groupe suisse Ringi­er-Axel Springer. La prise com­porte – out­re des radios et des sites inter­net – le quo­ti­di­en pop­u­laire Blesk, le tabloïd Aha, le mag­a­zine Reflex et des titres cen­trés sur les sports mécaniques. Le groupe revendique plus de trois mil­lions de lecteurs dans un pays de dix mil­lions d’habitants. Kretinsky devient aus­si pro­prié­taire (en même temps ?) du pre­mier dif­fuseur de presse et de livres en Tchèquie ain­si que de deux imprimeries…
En par­al­lèle Kretinsky est copro­prié­taire d’un des clubs de foot­ball les plus célèbres de son pays, le Spar­ta de Prague, un bon moyen d’influence politique…
DK (c’est son surnom dans son groupe), est divor­cé, père d’un enfant et vivrait avec la fille de Petr Keller, l’homme le plus riche du pays (DK fig­ure à la cinquième place du classe­ment). Son empire médi­a­tique tchèque est géré par une proche, Libuse Smu­cle­rovà, plus con­nue dans son pays pour être la com­pagne du gar­di­en de but de l’équipe tchèque de hock­ey sur glace, le sport national. »

Kretinsky et Le Monde  

L’homme d’affaires tchèque sem­ble (ou feint) d’être désolé des fuites qui ont per­mis d’apprendre son entrée au Monde (tous les textes en italiques ci-après sont des extraits de l’entretien, les inter-titres sont de notre rédaction) :

« Je regrette de ne pas avoir eu plus de temps pour com­mu­ni­quer pro­pre­ment. D’au­tant plus qu’il y a eu beau­coup d’inex­ac­ti­tudes dans la manière dont ont par­fois été présen­tées les choses… On a dit des choses par­fois blessantes car fauss­es, sur moi. On m’a présen­té comme un agent des intérêts Russ­es, ce qui est com­plète­ment infondé… Moins grave­ment mais mal­gré tout aus­si infondée est l’idée que nous inve­stiri­ons dans Le Monde parce que nous voudri­ons par­ticiper à la pri­vati­sa­tion d’Engie. Là encore, c’est faux »

La presse un « engagement citoyen »

« Ce n’est pas un investisse­ment économique pour moi, c’est plutôt un engage­ment citoyen. Je con­sid­ère que la presse est essen­tielle pour la préser­va­tion des valeurs tra­di­tion­nelles de la démoc­ra­tie libérale… Aujour­d’hui, les gens qui s’in­for­ment unique­ment par le numérique ne sont pas assez armés pour com­pren­dre dans leur com­plex­ité les enjeux socié­taux, économiques, poli­tiques. Le rôle de la presse pour cela est essen­tiel à mes yeux. »

Une ligne éditoriale « indépendante »

Ques­tion­né sur la ligne édi­to­ri­ale idéale :

« C’est peut-être celle des « Échos » (sourire). Non franche­ment, ce n’est pas mon rôle de me pronon­cer là-dessus. Cette ques­tion de la ligne édi­to­ri­ale n’a rien à voir avec les investisse­ments que l’on fait : chaque rédac­tion est indépen­dante et chaque média a son esprit, ses valeurs, son audi­ence et il faut les respecter. Mes idées per­son­nelles n’ont pas à inter­fér­er dans la ligne des jour­naux. »

Amour de la France et lutte contre les GAFA

« D’abord je suis très fran­cophile. Le français, c’est d’ailleurs ma pre­mière langue étrangère. J’aime votre pays et votre cul­ture. Ensuite, je pense que les médias ont un com­bat à men­er sur la régu­la­tion des Gafa. Cer­tains exer­cent une con­cur­rence sauvage aux médias stan­dards et d’autres captent beau­coup trop de la valeur. » 

Qui le pousse à racheter les parts de Pigasse et plus si affinités

« … sachez que nous sommes très con­fort­a­bles avec 49 % des parts de Matthieu Pigasse dans Le Monde. Main­tenant si demain il devait céder l’in­té­gral­ité de sa part, bien sûr qu’on regarderait, mais cela n’est pas son inten­tion aujour­d’hui à ma connaissance. »

Mais, par­lant des parts du groupe Prisa (groupe espag­nol qui détient 15% des parts du jour­nal) ou de Xavier Niel :

« Si un action­naire sort, bien sûr, par déf­i­ni­tion, nous regarde­ri­ons puisque nous sommes déjà action­naire de cette entre­prise. Mais c’est une spécu­la­tion aujourd’hui »

En étant réservé sur le droit de regard du pôle d’indépendance du Monde

« Très sincère­ment, aujour­d’hui nous sommes dans une sit­u­a­tion où le cap­i­tal du Monde va être moins con­cen­tré puisqu’il y a un nou­v­el action­naire qui arrive. Et qu’en plus il n’ex­iste aucun con­flit d’in­térêts dans nos activ­ités en France. Au sein d’un jour­nal, la plu­ral­ité affaib­lit les action­naires… Il me sem­blerait donc plus logique de pos­er cette ques­tion d’un droit d’a­gré­ment si un seul investis­seur devait pren­dre la total­ité du « Monde », notam­ment s’il se trou­vait en posi­tion de con­flit d’in­térêts potentiel »

Une solide langue de bois et des poches profondes

Daniel Kretinsky, libéral bon teint, n’a pas oublié les leçons de feue la République tchèque com­mu­niste. Il manie une admirable langue de bois et l’art de ne pas répon­dre aux ques­tions ou d’y répon­dre d’une manière telle que l’interprétation reste large. Il affec­tionne les for­mules vagues, « engage­ment citoyen », mais refuse net­te­ment de s’engager sur les pro­tec­tions que pour­rait deman­der le pôle d’indépendance du Monde. Tout en se lais­sant totale lib­erté de racheter tout ou par­tie des parts qui viendraient sur le marché. Ses « idées per­son­nelles ne doivent pas inter­fér­er dans la ligne des jour­naux » mais il veut « préserv­er les valeurs tra­di­tion­nelles de la démoc­ra­tie libérale ». Autrement dit il vote pour un statu-quo macro­com­pat­i­ble et le main­tien d’une ligne libérale lib­er­taire pro­tégeant aus­si bien les grandes entre­pris­es que les béné­fi­ci­aires du lib­er­tarisme sociétal.

Si les moti­va­tions réelles des investisse­ments de Kretinsky dans les médias en France restent obscures, il pré­cise que son groupe « génère 700 mil­lions d’euros de cash par an », de quoi nour­rir bien des ambitions

L’entretien com­plet des Échos a été réal­isé par Fabi­enne Schmitt, Nico­las Bar­ré et Véronique Le Bil­lon. Il est con­sultable en s’inscrivant sur le site du quo­ti­di­en économique.