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France 5 contre la fabrique du mensonge. Épisode 1, le Brexit

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2 août 2019

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Veille médias | France 5 contre la fabrique du mensonge. Épisode 1, le Brexit

France 5 contre la fabrique du mensonge. Épisode 1, le Brexit

Temps de lecture : 6 minutes

Première diffusion le 15/04/2019

Un média d’État décide de consacrer une série de reportages à des infox supposées emblématiques de la manipulation de l’information, cela interpelle. Et traduit une évolution dangereuse : nous sommes passés d’une époque où Serge Halimi dénonçait justement les médias comme des chiens de garde à une époque où ces derniers prétendent définir ce qui est le vrai. La série de France 5 ne manque pas d’y contribuer. La « fabrique du mensonge » vue par les fabricants quotidiens d’informations au minimum très orientées, épisode 1, diffusée le 31 mars 2019.

Infox, le nouveau nom de la vieille propagande

Les infox, ce sont tou­jours celles des autres, bien enten­du. Pour l’heure, France 5 ne se préoc­cupe plus de la manière dont l’annulation du référen­dum de 2005 a été ven­due aux Français par les médias, ne rap­pelle pas non plus ce que furent des infox comme Timisoara, les exac­tions serbes au Koso­vo, les armes de destruc­tion mas­sives présen­tées à l’ONU par un secré­taire d’État améri­cain, la pro­pa­gande pour le tabac, l’affaire Théo ou encore les retombées de l’accident nucléaire de Tch­er­nobyl qui furent stop­pées à la fron­tière de l’est. Aucun effort n’est fait pour revenir aux sources de la notion d’infox.

L’infox, sans cesse présen­tée comme un phénomène nou­veau, en par­ti­c­uli­er dès le générique de la série de France 5, qui oppose claire­ment la fig­ure du méchant Pou­tine à celle du gen­til Macron, est en réal­ité une chose très anci­enne, entre pro­pa­gande et fauss­es infor­ma­tions. Déjà, en 1914, l’on affir­mait que les balles alle­man­des ne tuaient pas… Non seule­ment, ces infox ont con­stam­ment existé mais elles ont été et sont en pre­mier lieu le fait de cette même presse qui pré­tend les dénon­cer. Un exem­ple de plus : durant plus de deux ans, les médias français et européistes de l’UE ont sans cesse lais­sé enten­dre que Don­ald Trump était une mar­i­on­nette russe. Une fois ce soupçon, sou­vent présen­té comme une cer­ti­tude, retombé comme un souf­flé, qu’arriva-t-il ? Une brève dépêche pour le sig­naler, et puis plus rien. Quel média offi­ciel aurait le courage de men­er une enquête appro­fondie sur la façon dont les dénon­ci­a­teurs de fake news, dont France 5, ont con­tribué à la prop­a­ga­tion de celle-ci, y com­pris sur les réseaux soci­aux. Aucun, évidem­ment. Pour ce faire, il faudrait qu’ils cessent d’être des médias à sens unique.

Le Brexit : référendum, mensonges et réseaux sociaux

Choisir le Brex­it comme pre­mier exem­ple d’une manip­u­la­tion des foules par des infox qui seraient de nature à con­tre­car­rer la démoc­ra­tie (au sens où l’entendent les médias offi­ciels), est révéla­teur. Le Brex­it reste en tra­vers de la gorge des ten­ants de l’idéologie au pou­voir : l’UE, si tu y entres c’est pour l’éternité. D’ailleurs, il y a quelque chose de sur­prenant à juste­ment ne pas pou­voir aisé­ment quit­ter une struc­ture : quelles sont ces struc­tures qui ne lais­sent pas par­tir leurs mem­bres ou bien font vrai­ment tout pour les retenir et les hum­i­li­er ? Des sectes ?

Alors, le Brex­it ver­sion « La fab­rique du men­songe » sur France 5 ? En pre­mier lieu, la drama­ti­sa­tion du ton, de la musique. Ensuite, le résul­tat du référen­dum sur le Brex­it aurait été hal­lu­ci­nant pour les européens, un séisme. Mais pas vrai­ment un vote. Présen­ta­tion de France 5 en intro­duc­tion du reportage : « Le Brex­it, his­toire d’une manip­u­la­tion de l’opinion qui s’est con­stru­ite sur une fausse infor­ma­tion ». Out­re le fait de pren­dre les citoyens bri­tan­niques pour des imbé­ciles heureux décul­turés et de mépris­er le peu­ple, ce genre de phrase mon­tre le niveau de con­struc­tion idéologique auquel ont recours les « chiens de garde » (Serge Hal­i­mi) du régime offi­ciel. L’information en ques­tion : économiser 350 mil­lions de livres par semaine. Vrai, pas vrai ? Les citoyens ne sont plus capa­bles de faire la part du vrai ? Si tel est le cas, quel est la respon­s­abil­ité de ces mêmes médias offi­ciels dans cet état de fait : pourquoi ne parvi­en­nent-ils pas à éclair­er nos con­sciences ? Peut-être n’est-ce tout sim­ple­ment pas leur objec­tif ? En tout cas, le Brex­it ? « L’un des plus gros séismes poli­tiques du 21e siè­cle ». Rien que cela. Au fait, les ten­ants du « oui » util­i­saient les mêmes « ficelles » émo­tion­nelles mais France 5 ne s’intéresse pas à celles-là. C’est que le Brex­it, c’est mal. A aucun moment France 5 ne s’interroge sur les raisons pro­fondes qui peu­vent pouss­er les peu­ples européens à ne plus croire en l’UE. Tout serait dû à la masse des tweets dont 75 % seraient alors « aux mains des par­ti­sans du leave ». Une chose oubliée des jour­nal­istes : l’immense majorité des européens et des bri­tan­niques n’a cure de Twit­ter, qu’ils n’utilisent pas et dont les buzz ne vien­nent pas jusqu’à eux. Twit­ter est un out­il des « élites », les pop­u­la­tions s’en moquent. Par con­tre, quand Boris John­son s’en empare, alors les médias offi­ciels « se sai­sis­sent de la fausse infor­ma­tion ». Notons que le jour­nal­iste qui présente le reportage indique que « les par­ti­sans du Brex­it mentent éhon­té­ment », avec « un regard nar­quois ». Il s’agit sans aucun doute d’un fait jour­nal­is­tique. Le leave aurait changé les règles poli­tiques en mis­ant sur les émo­tions… rien de nou­veau en réalité.

France 5 diffuse une infox en fin de reportage

Le lende­main de la vic­toire du camp du leave, « le leader de l’extrême droite, Nigel Farage recon­naît que le chiffre des 350 mil­lions don­nées par le Roy­aume Uni chaque semaine à l’UE est faux ». Regarder le reportage juste après 19’35 mon­tr­era à qui le souhaite que ce n’est absol­u­ment pas ce que dit Farage. Il dit qu’il ne peut pas garan­tir que cet argent ira au sys­tème de ser­vice social bri­tan­nique, con­traire­ment à ce que la cam­pagne promet­tait. Il ne con­tred­it pas le chiffre mais se posi­tionne poli­tique­ment face aux autres vain­queurs du Brex­it, mieux placés que lui en ce jour de vic­toire. Ain­si, France 5 propage (volon­taire­ment ?) l’infox d’un Farage ayant « recon­nu que le chiffre était faux ».

France 5 et sa « fab­rique du men­songe », dès cet épisode 1, pré­tend mon­tr­er que des hommes poli­tiques ayant des con­vic­tions et visant à gag­n­er un référen­dum utilisent tous les out­ils à leur dis­po­si­tion, tant les médias que la tech­nolo­gie ou bien les bus et les tracts. Et… donc ? Les hommes poli­tiques défendus quo­ti­di­en­nement par nos médias offi­ciels ne pra­tiquent-ils pas la même chose depuis des années ? Au fond, pour France 5, quand les idées qui gag­nent sont des idées advers­es, il y a eu infox, sinon tout est nor­mal. Cela s’appelle la déon­tolo­gie à la sauce France 5, un plat de moins en moins goûté semble-t-il.