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Fabrice Fries, nouveau patron de l’AFP, un tueur… de profits ?

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26 avril 2018

Temps de lecture : 5 minutes
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Fabrice Fries, nouveau patron de l’AFP, un tueur… de profits ?

Temps de lecture : 5 minutes

Arrivé sans enthousiasme à la tête de l’AFP le 12 avril dernier (élu au 3e tour, bien qu’il soit le seul candidat) après le lâchage par l’Elysée de son prédécesseur Emmanuel Hoog, Fabrice Fries a eu des états de service pas si mirobolants que ça dans les boîtes du « privé » où il a exercé pendant 22 ans (Havas, Vivendi, Atos, Publicis…), révèle le Canard Enchaîné (18.04).

Emmanuel Hoog lâché par les pouvoirs publics

Emmanuel Hoog a en effet été aban­don­né par les représen­tants de l’E­tat après un trou de 4,8 mil­lions d’eu­ros en 2017 et 5 mil­lions en 2016. Mar­di 10 avril, lors du con­seil d’ad­min­is­tra­tion qui devait valid­er les comptes de l’AFP, la prési­dente de la com­mis­sion finan­cière de l’a­gence avait dressé un bilan cri­tique de la ges­tion d’Em­manuel Hoog, finale­ment infor­mé par le min­istère de la Cul­ture que l’E­tat ne sou­tiendrait pas sa réélec­tion. Il a alors jeté l’éponge.

Fries, un profil business aux résultats contrastés

Or, l’an­cien mag­is­trat à la cour des Comptes au pro­fil « très busi­ness » a fait (presque) aus­si bien. De 2008 à 2016 il a dirigé Pub­li­cis Con­sul­tants, l’an­ci­enne « Rolls du con­sult­ing ». Résul­tats peu mirobolants : un chiffre d’af­faires divisé par deux, passé de 88,2 à 36,8 mil­lions d’eu­ros et un déficit de 4,5 mil­lions d’euros.

Par­al­lèle­ment 230 des 400 salariés sont passés à la trappe, soit dans des fil­iales, soit à coups de départs volon­taires. Dans un secteur où l’en­tre­gent et les rela­tions per­son­nelles sont pour beau­coup dans l’ac­tiv­ité des entre­pris­es, appli­quer la recette clas­sique du man­age­ment « cost killer » (tueur de coûts) en faisant des plans soci­aux et de la fil­ial­i­sa­tion lorsque les chiffres ne sont pas au ren­dez-vous s’avère con­tre-pro­duc­tif : ce ne sont pas seule­ment des coûts salari­aux qui par­tent, mais des portes d’en­trée, des car­nets d’adresse, des cerveaux.

Néan­moins, mal­gré ce bilan médiocre, Pub­li­cis a payé fort cher son départ, selon l’au­dit du cab­i­net 3E en juin 2017 mené à la demande du comité d’en­tre­prise. Sur les six derniers mois, écarté avec un obscur titre de con­seiller, Fries a empoché 180 000 €, révèle l’heb­do­madaire satirique, ce à quoi s’a­joutent 360 000 € obtenus lors de sa trans­ac­tion de départ. Et la direc­tion a classé le dossier, ren­voy­ant les dif­fi­cultés à « la dégra­da­tion des activ­ités tra­di­tion­nelles de l’en­tre­prise, plutôt que du coût du départ des col­lab­o­ra­teurs, fussent-ils des dirigeants ».

Un ex– « Messier boy » issu d’une famille de la nomenklatura administrative française

Petit-fils de François Sey­doux, ambas­sadeur à Berlin sous De Gaulle et Ade­nauer, fils d’un pro­fesseur de médecine et d’une chercheuse au CNRS, Fab­rice Fries vient, selon ses pro­pres pro­pos, d’une « famille de servi­teurs de l’E­tat pour qui tra­vailler dans le privé, c’est déchoir ». Après être passé par le cur­sus clas­sique de la nomen­klatu­ra répub­li­caine (Hen­ri IV, Louis le Grand, Ulm, Sci­ences Po, ENA, la Cour des Comptes) puis avoir tra­vail­lé comme haut fonc­tion­naire européen, il est par­ti chez la Générale des Eaux en 1995 puis Havas où il s’oc­cupe de ven­dre le pôle pro­fes­sion­nel (presse et édi­tion) à un fonds d’in­vestisse­ment qui le découpe. Il se retrou­ve enfin chez Atos Ori­gin en 2004–2006, chargé des grands comptes et de la stratégie marchés.

Selon Le Lion Rugis­sant,  « fan-page des salariés du groupe Pub­li­cis » des­tinée à faire la lumière sur la réal­ité des pra­tiques sociales du groupe, « der­rière les pail­lettes », « Fries, ancien prési­dent de Pub­li­cis Con­sul­tants, ex Messier Boy, nou­veau prési­dent de l’AFP, énar­que, mag­is­trat de la cour des comptes et famille Sey­doux a couté très cher au groupe : d’abord par sa pas­siv­ité, puisqu’on peut affirmer qu’il a con­duit Pub­li­cis Con­sul­tants au naufrage, et ensuite par le traite­ment de favoritisme que Mau­rice Levy lui a tou­jours réservé, avec la com­plic­ité du DRH [directeur des ressources humaines] et du DAF [directeur admin­is­tratif et financier] en place. Arthur Sadoun, à sa nom­i­na­tion aura eu à faire le sale boulot que Mau­rice Levy refu­sait de faire : dégager le gref­fon ».

Application du principe de Peter

« Bref, le cas Fries témoigne comme beau­coup d’autres – Are­va est un bon exem­ple – du prob­lème de renou­velle­ment des élites en France », témoigne un ingénieur qui dirige une grosse PME dans les nou­velles tech­nolo­gies. « Et leur décon­nex­ion avec les valeurs qu’ils prô­nent comme le mérite et le prof­it. Que ça soit dans les admin­is­tra­tions où les grandes boîtes du CAC40 dirigées par des sor­tants des grandes écoles et dev­enues le pro­longe­ment de l’E­tat – même si l’élite con­tin­ue à appel­er cela le privé, un gars qui se révèle incom­pé­tent est pro­mu… voire recasé dans une fonc­tion de l’E­tat bien payée tout en con­tin­u­ant à don­ner des leçons de morale ». 

« Dans le vrai privé, les incom­pé­tents on les dégage », achève-t-il, en esti­mant que « les salariés et col­lab­o­ra­teurs de l’AFP ont du souci à se faire. Mais quand ça éclat­era, lui il rebondi­ra ailleurs ». Soit 1500 jour­nal­istes, 2400 col­lab­o­ra­teurs et un chiffres d’af­faires annuel de 300 mil­lions d’€ dont 131,5 mil­lions d’aides de l’E­tat en 2018 et 21,6 mil­lions d’abon­nements pour plus de 1100 ser­vices de l’E­tat, avec une « remise de quan­tité » de 20%. Car en France « l’indépen­dance » de l’AFP est une « mis­sion d’in­térêt général » payée par les con­tribuables. Ce qui ne favorise guère le renou­velle­ment des élites et la dis­pari­tion de l’en­tre soi politi­co-médi­a­tique. Un entre soi dont Fab­rice Fries est le pur produit.

Crédit pho­to : cap­ture d’écran vidéo MSLGroup. DR