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Accueil | Dossiers | Dossier : Le Pape François et la nouvelle stratégie médiatique du Vatican

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29 avril 2014

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Dossiers | Dossier : Le Pape François et la nouvelle stratégie médiatique du Vatican

Dossier : Le Pape François et la nouvelle stratégie médiatique du Vatican

Temps de lecture : 9 minutes

« Frères et sœurs, bonsoir ! » Lorsque, le 13 Mars 2013, Jorge Mario Bergoglio s’est présenté aux fidèles par cette salutation aussi informelle lancée depuis le balcon de Saint-Pierre, le monde entier s’est rendu compte que quelque chose avait changé au Vatican.

Son tra­vail d’é­vangéli­sa­tion avait amené Karol Wojty­la à davan­tage par­courir le monde que tous les précé­dents papes réu­nis (plus de 170 vis­ites dans 129 pays). Il était le Pape du voy­age. Ancien préfet de la Con­gré­ga­tion pour la Doc­trine de la Foi, Joseph Ratzinger avait la garde de la doc­trine. Il était le Pape théolo­gien. Bergoglio, lui, appa­raît d’ores et déjà comme le Pape de la communication.

En quelques mois de pon­tif­i­cat de François Pre­mier, les fidèles ont réal­isé qu’il était désor­mais pos­si­ble de recevoir chez soi un coup de télé­phone du chef de l’Église catholique ou de faire un « self­ie » avec lui et de le poster sur Insta­gram. C’est une révo­lu­tion. Le Pape est soudain devenu plus « acces­si­ble ». Les grandes moments de cette révo­lu­tion sont bien con­nus : coups de télé­phone à des incon­nus, Ford Focus sans escorte, sac noir sous le bras en grim­pant dans l’avion, déci­sion de ne pas démé­nag­er dans le Palais apos­tolique, lavage des pieds de deux jeunes filles musul­manes, let­tre au fon­da­teur du quo­ti­di­en La Repub­bli­ca, Euge­nio Scal­fari, etc. Tels sont les quelques exem­ples d’une toute nou­velle façon de faire et d’abor­der la mis­sion spir­ituelle du Saint Père.

Selon le Père Anto­nio Spadaro, rédac­teur en chef de Civil­i­sa­tion catholique, le mag­a­zine des Jésuites, « le Pape François, en fait, plutôt que de “com­mu­ni­quer”, crée des “événe­ments de com­mu­ni­ca­tion”, dans lesquels ceux qui reçoivent son mes­sage sont active­ment impliqués ».

Si la dynamique uni­di­rec­tion­nelle du mes­sage religieux, lequel passe du clergé aux fidèles selon un rap­port de pou­voir tou­jours clair et bien défi­ni, peut sem­bler remise en cause par cette nou­velle manière de faire, celle-ci sem­ble en tout cas porter ses fruits, au moins du point de vue de la pop­u­lar­ité du sou­verain pon­tife. Des sta­tis­tiques récentes mon­trent en effet que Bergoglio plaît énor­mé­ment, et même aux Améri­cains, le peu­ple pour­tant le moins « papiste » de l’his­toire, qui a tou­jours eu les plus grandes dif­fi­cultés à com­pren­dre le catholi­cisme tra­di­tion­nel, ses rit­uels et son lan­gage. La « Per­e­stroï­ka » de Bergoglio sem­ble donc plutôt bien fonctionner.

La communication : un défi pour l’Église

Dossier : Le Pape François et la nouvelle stratégie médiatique du Vatican

Dossier : Le Pape François et la nou­velle stratégie médi­a­tique du Vatican

Le rap­port de l’Église actuelle avec les médias a été défi­ni par le décret Inter Mir­i­fi­ca, datant de 1963. Celui-ci stip­ule que la télévi­sion, la radio, les jour­naux, « s’ils sont bien util­isés, peu­vent fournir de grands avan­tages pour l’hu­man­ité, parce qu’ils con­tribuent grande­ment à enrichir l’e­sprit, ain­si qu’à dif­fuser et con­solid­er le roy­aume de Dieu ». Une leçon que le Pape François garde à l’e­sprit, de sorte que, célébrant le 50e anniver­saire du doc­u­ment, il a évo­qué ce décret en par­lant d’un texte mon­trant à quel point l’Église était atten­tive à « la com­mu­ni­ca­tion et à ses instru­ments, dans une optique d’é­vangéli­sa­tion ». Dans le même temps, Bergoglio a déclaré que les hommes et les femmes d’au­jour­d’hui sont « par­fois un peu déçus par un chris­tian­isme qui leur paraît stérile, peinant à com­mu­ni­quer de façon sig­ni­fica­tive ce qui donne le sens pro­fond de la foi ». Tout cela, dit-il, « néces­site une for­ma­tion appro­fondie et qual­i­fiée des prêtres, religieux, religieuses et laïcs dans le domaine de la com­mu­ni­ca­tion ». En bref, la com­mu­ni­ca­tion appa­raît comme un défi cen­tral pour l’avenir de l’Église. Une grande part de l’action du nou­veau Pape peut ain­si s’expliquer à la lumière de cet enjeu.

Humil­ité osten­ta­toire, rejet des pail­lettes, recherche de la sim­plic­ité à tout prix… tout indique chez le Pape une volon­té de don­ner une cer­taine col­oration à l’ac­tu­al­ité, comme si François se voulait en quelque sorte le Pape de l’après-crise économique. Dans une Europe où l’opinion publique se mon­tre de plus en plus méfi­ante vis-à-vis de la « caste » des dirigeants, Bergoglio sem­ble vrai­ment avoir saisi l’e­sprit du temps en se présen­tant paré des ver­tus de la sobriété.

Annoncer le message de Jésus dans les médias

Pour le théolo­gien argentin Jorge Oester­held, cette nou­velle com­mu­ni­ca­tion du Pape n’est cepen­dant pas super­fi­cielle et dés­in­car­née mais se trou­ve au con­traire pro­fondé­ment enrac­inée dans son pro­pre mes­sage religieux et philosophique. Et de citer les paroles du Pape à Rio de Janeiro: « Dieu est réel et se man­i­feste dans “l’aujourd’hui” (…). “L’aujourd’hui” est le plus proche de l’é­ter­nité, plus encore, “l’aujourd’hui” est l’étincelle d’é­ter­nité. Dans “l’aujourd’hui” se joue la vie éter­nelle ». Ain­si, pour Oester­held « lorsque nous sommes atten­tifs à “l’aujourd’hui” de nos vies, de nos sociétés, de nos com­mu­nautés ecclésiales, nous ne sommes pas en train de nous dis­traire dans l’anec­do­tique ou le super­fi­ciel, nous recher­chons pour notre temps et notre réal­ité la présence vive de Dieu. Annon­cer le mes­sage de Jésus dans les médias ne con­siste pas à chercher dans le passé des phras­es ou images qui éclairent le présent, mais se plonger dans le présent pour y ren­con­tr­er Dieu proche qui marche à nos côtés ».

L’image de la spontanéité…

En ce qui con­cerne les réseaux soci­aux, là encore, le Pape frappe fort. Son compte Twit­ter @pontifex en neuf langues a dépassé à l’heure actuelle les 5 mil­lions de « fol­low­ers »… À ce pro­pos, le Père Fed­eri­co Lom­bar­di, porte-parole du Vat­i­can, a notam­ment déclaré : « Avec son style de vie très sim­ple, le Pape n’est pas un grand util­isa­teur de nou­velles tech­nolo­gies et pour­tant sa prédi­ca­tion est par­ti­c­ulière­ment adap­tée pour être relancée par tweets ». Une sit­u­a­tion qui ne manque pas de soulever cer­taines inter­ro­ga­tions : à un moment où plusieurs intel­lectuels, jour­nal­istes et soci­o­logues se penchent sur les effets négat­ifs de Twit­ter sur la cul­ture, celui qui devrait être le por­teur du mes­sage le plus élevé serait ain­si, lui-même, par­faite­ment en phase avec la dic­tature des 140 caractères ?

Twitter @pontifex

Quoiqu’il en soit, là encore, le mécan­isme fonc­tionne, grâce à l’im­age d’une cer­taine spon­tanéité remar­qué immé­di­ate­ment par les ini­tiés. « Le corps ne ment pas. Je repense notam­ment au moment où il a pris dans ses bras un nou­veau-né : en une frac­tion de sec­onde, j’ai été con­va­in­cue que cet homme est par­faite­ment authen­tique », déclarait ain­si Lorel­la Zanar­do, auteur du doc­u­men­taire Le corps des femmes. Gior­gio Gori, ancien directeur de la chaîne de télévi­sion berlus­coni­enne et ex « spin doc­tor » de Mat­teo Ren­zi, déclarait de son côté : « Je ne pense pas que Kennedy, Mar­tin Luther King ou Per­ti­ni ont eu des agences de com­mu­ni­ca­tion der­rière eux. Le charisme ne se crée par arti­fi­cielle­ment ».

…ou une communication de pro ?

La com­mu­ni­ca­tion du Saint-Siège, si elle est puis­sante, est aus­si pass­able­ment « baroque ». Le Vat­i­can dis­pose en effet de six départe­ments dif­férents pour gér­er sa com­mu­ni­ca­tion : une agence de presse, un cen­tre de télévi­sion, Radio Vat­i­can, qui dif­fuse dans le monde entier, un jour­nal his­torique, L’Osser­va­tore Romano, un site inter­net et un Con­seil Pon­tif­i­cal pour les Com­mu­ni­ca­tions sociales qui exerce un rôle plus académique que poli­tique. Ces organ­ismes ont un grand degré d’au­tonomie qui les empêche ain­si de coopér­er les uns avec les autres, quand ils ne sont tout sim­ple­ment pas en con­cur­rence directe. La fig­ure de proue de ce labyrinthe com­mu­ni­ca­tion­nel est le père Fed­eri­co Lom­bar­di, un Jésuite qui, en 2006, est devenu le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, et qui est égale­ment le neveu de Ric­car­do Lom­bar­di, lui aus­si Jésuite et pro­pa­gan­diste infati­ga­ble surnom­mé « le micro­phone de Dieu ».

À la fin de l’an­née dernière, le représen­tant de la Com­mis­sion pon­tif­i­cale pour l’é­conomie, mise en place par le pape François, con­fi­ait ain­si que le Vat­i­can avait fait appel au cab­i­net McK­in­sey & Com­pa­ny pour mod­erniser cette com­mu­ni­ca­tion, et directe­ment con­seiller le Pape, le tout en étroite col­lab­o­ra­tion avec les dif­férents départe­ments con­cernés. Avec l’agence McK­in­sey & Com­pa­ny, on est assez loin de l’authenticité par­faite mais plus proche des véri­ta­bles « pros de l’image ». Le jour­nal­iste améri­cain Duff McDon­ald n’hésite pas à qual­i­fi­er cette agence de « pro­tag­o­niste le plus influ­ent des trans­for­ma­tions les plus impor­tantes du cap­i­tal­isme dans les cent dernières années ».

L’évangélisation adaptée à son époque ?

Quoi qu’il en soit, bien sûr, l’évolution actuelle de la com­mu­ni­ca­tion du Vat­i­can laisse plusieurs ques­tions en sus­pens : la solen­nité du rit­uel, la langue sacrée, une cer­taine aura de mys­tère con­sti­tu­ant le socle de l’Église seront-ils préservés ? Adopter de nou­veaux mod­èles de com­mu­ni­ca­tion ne revient-il pas à adopter, en plus du lan­gage, les valeurs du monde con­tem­po­rain ? Un mes­sage religieux peut-il indif­férem­ment utilis­er un out­il de com­mu­ni­ca­tion ou un autre ? La dimen­sion du sacré peut-elle sub­sis­ter sans une cer­taine dis­tance entre le clergé et ses ouailles ? À force de chercher des moyens plus effi­caces de dif­fuser une pen­sée pro­fonde ne risque-t-on pas de la diluer et de céder ain­si au super­fi­ciel ? Twit­ter, Insta­gram – comme dans le passé la télévi­sion ou à la radio – sont-ils util­isés par l’Église ou l’Église est-elle util­isée par eux ?

Ce n’est qu’en répon­dant à ces ques­tions que l’on saura bien­tôt si la nou­velle stratégie médi­a­tique du Pape François n’est qu’une com­mu­ni­ca­tion vide de sens ou une nou­velle évangéli­sa­tion adap­tée à son époque.

Crédit pho­to : catholi­cism via Flickr (cc)