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Crise de Presstalis : grosses difficultés pour Canard PC, le 1 et bien d’autres titres

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27 mars 2018

Temps de lecture : 9 minutes
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Crise de Presstalis : grosses difficultés pour Canard PC, le 1 et bien d’autres titres

Temps de lecture : 9 minutes

Il n’y a pas que Minute ou Présent qui se retrouvent en très grande difficulté suite à la nouvelle crise de Presstalis et aux ponctions pratiquées sur les journaux, avec l’assentiment des gros titres qui n’en ont pas grand chose à faire des petits. Des titres plus mainstream, comme Le 1 ou spécialisés comme Canard PC, lancent un appel à leurs lecteurs et témoignent de très importantes difficultés.

Canard PC récolte plus de 160 000 € sur Ulule et devient mensuel pour espérer survivre

Le 10 jan­vi­er dernier le Canard PC lançait une cam­pagne de dons sur Ulule en lien avec ses dif­fi­cultés liées aux ponc­tions réal­isées par Presstal­is pour boucler ses fins de mois, au détri­ment des titres de presse. « Soyons clairs. Sauf peut-être pour quelques géants de la presse, être privé du jour au lende­main d’un quart de son chiffre d’affaires est un coup très dur. Pire : cette con­fis­ca­tion s’applique sur la péri­ode la plus impor­tante de l’année, celle sur laque­lle se font les béné­fices qui per­me­t­tent d’amortir les péri­odes plus creuses », explique Canard PC. Qui n’a guère de solu­tion : « nous avons bien sûr exam­iné les recours légaux con­tre cette déci­sion : ils sont faibles ou inap­plic­a­bles, Presstal­is s’étant placé sous la pro­tec­tion d’une con­cil­i­a­tion via le tri­bunal de com­merce ».

Le 9 févri­er, alors que les édi­teurs de presse savent qu’ils devront pay­er 2,25% sur leurs recettes pen­dant 5 ans, Canard PC se fait plus alar­mant : « pour sur­vivre à 2018 en con­tin­u­ant à exis­ter sur papi­er, nous allons devoir effectuer très rapi­de­ment une trans­for­ma­tion bru­tale du mag­a­zine et de son fonc­tion­nement. Pour cela, nous n’avons d’autre choix que de faire appel au sou­tien de tous ceux qui veu­lent pou­voir con­tin­uer à nous lire, lors d’une cam­pagne de finance­ment par­tic­i­patif sous la forme d’abonnements de sou­tien ». Le pre­mier pas est de pass­er Canard PC chez les MLP – où il faut pay­er, mais moins : 1% des recettes pen­dant 4 ans et demi pour sauver les ex-NMPP (Presstal­is).

Le 1er mars, Canard PC explique enfin sa trans­for­ma­tion : « Depuis sa créa­tion, notre mag­a­zine vit sur un équili­bre économique déli­cat : réalis­er peu de béné­fices à chaque paru­tion (parce que les coûts d’impression et de dis­tri­b­u­tion sont impor­tants), mais paraître sou­vent pour faire des petits ruis­seaux accu­mulés une riv­ière suff­isante. Cela nous rend très vul­nérables aux sec­ouss­es du réseau de dis­tri­b­u­tion mais surtout inca­pables d’absorber une hausse bru­tale des coûts même mod­érée en apparence ». Ce qui explique que le mag­a­zine a été heb­do­madaire pen­dant trois ans, puis bi-men­su­el depuis. Ce n’est pas le cas de l’autre titre édité par Presse Non Stop, Canard PC Hard­ware, trimestriel et bien ven­du – et tou­jours dis­tribué par les NMPP.

Mais c’est fini : « Pour être moins vul­nérable et mieux adap­té au futur tel qu’il se des­sine, il faut que le mag­a­zine sorte moins sou­vent (pour lim­iter ses coûts) mais vende mieux sur chaque numéro ». Résul­tat : Canard PC devient men­su­el, et « sera plus solide économique­ment ». Mais fait appel à ses lecteurs, d’abord parce que « les sommes qu’on nous prélève pour sauver Presstal­is sont trop impor­tantes : plus de 100 000 euros sur 4 ans, dont 40 000 rien que cette année », ensuite car il lui faut pro­longer les abon­nements exis­tants puisqu’il y aura moins de numéros. Lancée début mars, la cam­pagne de dons a quant à elle per­mis de récolter 167 921 €, signe d’un solide sou­tien des lecteurs, l’ob­jec­tif étant de réu­nir 100 000 €.

Sept éditeurs font entendre leur voix, dont Le 1 et So Foot

Face à la crise Presstal­is, sept édi­teurs (Le 1, Ebdo, So Foot, Soci­ety, Amer­i­ca, Philoso­phie mag­a­zine…) ont fait une con­tri­bu­tion com­mune, « sur la base d’une infor­ma­tion notoire­ment insuff­isante. Ni le rap­port Rameix, ni la sit­u­a­tion finan­cière de Presstal­is à la fin de l’année 2017, ni les détails du plan de redresse­ment présen­té le 31 jan­vi­er ne nous ont été trans­mis ». Les édi­teurs deman­dent « la sit­u­a­tion finan­cière détail­lée de Presstal­is, de la CDM, le plan de redresse­ment, les feuilles de cal­cul et hypothès­es de tra­vail ayant per­mis de le con­stru­ire, de même que des expli­ca­tions claires sur les raisons qui ont mené Presstal­is dans cette sit­u­a­tion finan­cière extrême », ain­si qu’un « tableau de bord trimestriel » pen­dant toute la durée du plan de sauvetage.

Surtout, ils deman­dent que led­it plan soit « réduit à six mois. Un délai qui per­me­t­tra de con­vo­quer des États généraux de la dis­tri­b­u­tion de la presse réu­nis­sant tous les acteurs de la fil­ière, y com­pris les dif­fuseurs. Ces États généraux sont le seul moyen de rétablir le lien de con­fi­ance qui doit unir édi­teurs, mes­sagerie et dif­fuseurs ».

Ils dénon­cent aus­si la « rup­ture d’é­gal­ité défini­tive » entre gros et petits édi­teurs, les pre­miers choi­sis­sant l’a­vance en compte courant pour pay­er leur con­tri­bu­tion à Presstal­is, les sec­onds étant ponc­tion­nés à hau­teur de 2,25% de leurs recettes pen­dant cinq ans (1% s’ils sont aux MLP) : « les édi­teurs optant pour l’ap­port en compte courant ne ver­raient pas leur compte de résul­tat impacté par la con­tri­bu­tion excep­tion­nelle. Le compte courant serait une créance rémunérée par des intérêts et ayant voca­tion à être rem­boursée. Pour les autres édi­teurs, il s’agit d’une charge et d’une perte défini­tive ».

Ils deman­dent l’ex­emp­tion de la con­tri­bu­tion aux édi­teurs de moins d’un mil­lion de chiffre d’af­faires, n’ayant pas dis­tribué de div­i­den­des sur les deux derniers exer­ci­ces, indépen­dants, c’est à dire « non con­trôlée par un groupe ou par une ou des personne(s) physique(s) ayant majori­taire­ment des intérêts hors presse », ou dont la tré­sorerie nette moyenne est inférieure à 2% du chiffre d’af­faire. Divers­es autres deman­des con­cer­nent les barèmes, les affac­turages, le refus du gel des trans­ferts (de Presstal­is vers les MLP) sur six mois, le refus de l’al­longe­ment des délais de paiements pour les édi­teurs en difficulté…

Les édi­teurs deman­dent surtout une réor­gan­i­sa­tion de la fil­ière, avec une logis­tique « en sit­u­a­tion de mono­pole con­sti­tué par le regroupe­ment de l’ensemble des déposi­taires issus de Presstal­is, MLP ou indépen­dants » pour le trans­port, la col­lecte et la destruc­tion des inven­dus, le sys­tème d’in­for­ma­tion unique ouvert et les flux financiers, et « une con­cur­rence plus ouverte entre plusieurs acteurs : MLP, Presstal­is et, demain, d’autres acteurs assur­ant avant tout une presta­tion de con­seil, de réglage, de pilotage logis­tique et de report­ing, avec une lib­erté com­plète de barèmes ».

Les grands oubliés du sauvetage de Presstalis : les kiosquiers

Depuis des années, les points de vente fer­ment par cen­taines, mais les titres de presse s’y empi­lent tout en se ven­dant de moins en moins. Les kiosquiers sont sou­vent les grands oubliés de l’af­faire Presstal­is. Vice en avait inter­viewé une en mai dernier – pas n’im­porte laque­lle, c’est Nel­ly Todde, la vice-prési­dente du syn­di­cat des kiosquiers et ten­an­cière du kiosque de Saint-Ger­main des Prés.

« Juste avant que je n’ar­rive dans ce méti­er, les kiosquiers gag­naient très très bien leur vie : les marchands de presse des Champs-Élysées pou­vaient rouler en Porsche ou en Fer­rari. Ils gag­naient peut-être 20 000 euros par mois ! C’est pour cela que per­son­ne ne s’embêtait à aller com­pren­dre com­ment fonc­tion­nait le sys­tème », se sou­vient-elle. Elle est arrivée dans le méti­er « au début des années 1980, j’ai fait des rem­place­ments d’été dans ce qu’on appelait à l’époque des bar­nums – des petites baraques en bois où on vendait les jour­naux ».

Mais on en est loin : les kiosques ont du dévelop­per des recettes hors press­es, sou­venirs, voire sand­wichs, pour s’en sor­tir. « Sur notre point de vente de Saint-Ger­main par exem­ple, la vente de la presse ne per­met de pay­er qu’un seul salaire et les charges sociales. On est trois à tra­vailler sur ce kiosque », explique-t-elle. Trois raisons expliquent pour elle la chute des ventes : inter­net, les gra­tu­its et les abon­nements à prix cassé : «Je trou­ve que c’est même la prin­ci­pale rai­son de la chute des ventes, ces offres avec des télévi­sions et des machines à laver en cadeaux », pré­cise Nel­ly Todde.

Qui met en cause directe­ment un mod­èle – notam­ment dans la presse mag­a­zine – où les édi­teurs se fichent de ven­dre et d’en­com­br­er kiosquiers et logis­ti­ciens, puisqu’ils ramassent la mise et bien plus avec les aides à la presse et la vente d’e­spaces pub­lic­i­taires. Plus le tirage est fort, plus il y a d’aides… et plus la pub coûte cher.

« Main­tenant, pour se met­tre en avant, les gros édi­teurs nous envoient des quan­tités exces­sives, des piles de 150 mag­a­zines. Comme ça, on est oblig­és de les met­tre à portée de main. Pour étouf­fer la con­cur­rence, c’est aus­si sim­ple que ça. Et le fait que ça ne se vende pas, ils s’en foutent : les aides de l’É­tat à la presse sont cal­culées en fonc­tion du tirage. Plus tu vas avoir un tirage impor­tant, plus les pages pub­lic­i­taires seront chères. Les édi­teurs pensent ces titres comme des pro­duits, comme s’ils vendaient des patates. Tous ces mag­a­zines […] j’en reçois 80, j’en vends deux. Mais ces titres, ils les ont déjà rentabil­isés dix fois avant qu’ils n’ar­rivent dans mon kiosque. La vente, ils s’en tapent ».

Résul­tat, les ventes se sont effon­drées, et les moyens des kiosquiers avec : « par exem­ple, je vendais 250 Monde par jour quand j’ai com­mencé Porte de Saint-Cloud. Aujour­d’hui j’en vends 100, et je suis à Saint-Ger­main ! Mes prédécesseurs devaient en ven­dre 500 ou 600, à l’époque. On a per­du 70 % des ventes : il n’y a aucun autre méti­er où, en si peu de temps, les gens sont passés de 20 000 à 1 500 euros par mois ».

Néan­moins, lors du plan de sauvage de Presstal­is, ni l’État, ni les grands édi­teurs n’ont cru bon (ou tout sim­ple­ment cor­rect) d’en­ten­dre les petits édi­teurs, pas plus que les kiosquiers, témoins au quo­ti­di­en de l’ef­fon­drement du sys­tème de la presse française. Mal­gré – et même à cause des sub­ven­tions et surtout de l’en­tre-soi entre les poli­tiques et les gros éditeurs.