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Trump contre les médias et le « Deep State »

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5 mars 2017

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Trump contre les médias et le « Deep State »

Trump contre les médias et le « Deep State »

Temps de lecture : 7 minutes

Si Trump est bien élu et demeure populaire il n’a pas encore réussi son OPA hostile sur le pays et en particulier ses élites et les médias. Reprenons.

Le Vice-prési­dent Pence l’a dit le 23 févri­er : « Avec la vic­toire de Trump, il ne s’agit pas du gou­verne­ment de l’élite, par les médias, pour l’establishment… mais de celui du peu­ple, par le peu­ple pour le peu­ple ». Le match ne fait que com­mencer. D’un côté, l’homme du « nation­al­isme économique », de l’autre une « grande coali­tion glob­al­iste » droite-gauche, inten­sé­ment active, encore furieuse de l’échec des Clin­ton, mais dont le plan pour l’impeach­ment de Trump se déroule par étapes.

Dans la pre­mière phase (suiv­ant l’élection) les médias ont resservi les argu­ments de la cam­pagne élec­torale : Trump n’est pas sérieux, il n’est pas éduqué, il n’est pas com­pé­tent, il est Mus­soli­ni ressus­cité, ses cel­lules gris­es dégénèrent sous l’attaque de mal­adies vénéri­ennes con­tac­tées dans sa folle jeunesse, c’est un sup­pôt de Pou­tine, etc.

La deux­ième phase, celle de la con­tre-révo­lu­tion, a pour objet d’empêcher Trump de réus­sir en deux ans le redresse­ment économique, devenir pop­u­laire, et trans­former le pays selon ses vœux. Ce que Rea­gan avait pu faire, dans un autre cadre idéologique. Or, on con­state déjà l’immense effet bour­si­er pro­duit par l’élection de Trump : dopé par l’espoir de réformes fis­cales comme de grands travaux d’infrastructures, le pays con­nait une crois­sance phénomé­nale des indices bour­siers (con­séc­u­tive­ment la plus longue depuis 1992), avec plus de trois mille mil­liards de dol­lars de plus-val­ue. Et le dernier sondage du Wall Street Jour­nal mon­tre que davan­tage d’américains voient l’avenir avec espoir.

Le « Deep State » contre Trump

Les médias ignorent délibéré­ment ces faits, pour se con­cen­tr­er sur la dis­tri­b­u­tion des mes­sages émis par le « Deep State », prin­ci­pal grossiste en dés­in­for­ma­tion (le terme, inven­té par Glenn Green­wald, et vul­gar­isé par Breibart News, désigne le monde non-élu du ren­seigne­ment, comme celui de la bureau­cratie, qui ali­mente les médias en « révéla­tions »). Il ne s’agit plus à ce stade de mon­tr­er que Trump est morale­ment dépravé, mais de le camper en traître potentiel.

Ain­si, au 2 févri­er, le site The Fed­er­al­ist avait den­ti­fié seize manœu­vres « clas­siques », assis­es sur de vrais men­songes mas­sive­ment cliqués et recliqués. Éro­sion… Mais les « fake news » ont évolué depuis, pas­sant de la par­ti­san­ner­ie à la désta­bil­i­sa­tion gou­verne­men­tale ou con­sti­tu­tion­nelle… Les fuites, d’une inten­sité sans précé­dent, seraient pas­si­bles de pour­suites, selon Politi­co. Elles ont deux effets : D’abord rap­pel­er aux homo­logues étrangers de Trump son inca­pac­ité à préserv­er la con­fi­den­tial­ité de leurs dis­cus­sions diplo­ma­tiques, donc son incom­pé­tence. Ensuite, « nixonis­er » le prési­dent en le ren­dant paranoïaque…

On atteint main­tenant la troisième phase, qui con­siste à chang­er la Con­sti­tu­tion sans le dire. Deux objec­tifs : rogn­er juridique­ment les pou­voirs prési­den­tiels (espérant en final dépos­er Trump)… et met­tre en place un « shad­ow cab­i­net » qui se gref­fera sur un min­istère déjà com­posé des représen­tants du com­plexe mil­i­taro indus­triel. Tran­si­tion en souplesse…

Première manche à l’Etat profond

Ici, la con­tre-révo­lu­tion du Deep State a mar­qué des points majeurs.

D’abord en éjec­tant le con­seiller pour la sécu­rité nationale Fly­nn, grâce à des fuites sur ses con­ver­sa­tions, avant sa prise de fonc­tion offi­cielle, avec l’ambassadeur russe… Fly­nn était en effet l’ennemi numéro un : rus­sophile, issu lui-même du ren­seigne­ment mil­i­taire, il tra­vail­lait de sur­croît sur un plan de mise au pas des ser­vices de ren­seigne­ment. Il a donc été sor­ti. Étape stricte­ment intéri­maire, selon le con­ser­va­teur Patrick Buchanan, Trump étant la cible d’un coup d’état ram­pant. En atten­dant, ce dernier est encer­clé par des con­seillers mil­i­taires exclu­sive­ment anti-russes…

Une deux­ième « cat­a­stro­phe » a décrédi­bil­isé Trump : le gel par des « petits juges » de son ordon­nance sur l’interruption tem­po­raire de l’immigration en prove­nance de sept pays du Proche-Ori­ent… ce qui a des réper­cus­sions con­sti­tu­tion­nelles con­sid­érables : non seule­ment quant à l’autonomie de la fonc­tion prési­den­tielle en matière de sécu­rité nationale et inter­na­tionale, mais aus­si sur l’extension inat­ten­due et inédite des pro­tec­tions de la con­sti­tu­tion améri­caine aux étrangers non-rési­dents. Trump pré­pare donc un nou­veau décret… déjà freiné par une nou­velle fuite por­tant sur un doc­u­ment pro­duit par un « ana­lyste » du Home­land Secu­ri­ty qui sem­ble invalid­er la rai­son d’être géo­graphique du décret, ce qui va rou­vrir la con­tes­ta­tion judiciaire…

Cabinet fantôme

Restait à met­tre en place le « Shad­ow Cab­i­net », ani­mé par les séna­teurs répub­li­cains McCain et Gra­ham. Ain­si, pen­dant que Trump envoy­ait ses min­istres à la Con­férence de Munich afin de poli­ment admon­ester Lavrov, McCain s’y rendait aus­si, en com­mis­saire poli­tique, pour insul­ter (sans le citer) son prési­dent sur un sol étranger. Puis McCain est allé, sans prévenir, semer ses graines en Syrie, comme il l’avait fait un mois aupar­a­vant dans les pays baltes. Gra­ham, de son côté, a régulière­ment médi­atisé l’actuelle enquête par­lemen­taire sur les ingérences russ­es dans l’élection de Trump. CNN a invité le cou­ple d’électrons libres le 1er mars pour une émis­sion en pub­lic d’une heure, qui aura lieu… le lende­main du dis­cours général du Prési­dent Trump aux deux cham­bres par­lemen­taires réu­nies en congrès.

Au milieu du gué ?

Trump sem­ble cepen­dant remon­ter la pente.

Il a repris le dossier médias en main, suite aux cafouil­lages naïfs de son équipe. Après avoir humil­ié avec mesquiner­ie les grands médias en les ostracisant, il est passé au grand style en ten­ant une con­férence de presse sur­prise le 17 févri­er, dans laque­lle il a pris les ques­tions des médias hos­tiles, tout en les lam­i­nant. Un tour de force qui a ras­suré sa base…

Le lende­main il s’est ren­du en Floride afin de désign­er offi­cielle­ment comme enne­mi du peu­ple, devant 10 000 sup­port­ers, son « oppo­si­tion » (les médias menteurs)… tout en rap­pelant les échéances de son pro­gramme. Une man­i­fes­ta­tion de force qui rap­pelle à l’ordre des répub­li­cains du Con­grès ten­tés de le saboter …

Puis, dans son dis­cours du 24 févri­er, il a repris le con­trôle du lob­by con­ser­va­teur du puis­sant CPAC (Con­ser­v­a­tive Polit­i­cal Action Con­fer­ence), tout en démolis­sant les médias, ce qu’avait fait la veille son con­seiller stratégique, Steve Ban­non, qui expli­quait : « nous avons trois objec­tifs : la sou­veraineté… le nation­al­isme économique… et enfin la décon­struc­tion de l’état admin­is­tratif… Les grands médias, glob­al­istes cor­po­rat­ifs, représen­tent l’opposition… ils haïssent nos idées… si vous imag­inez qu’ils vont vous ren­dre aisé­ment votre pays… vous vous trompez ! la guerre va s’intensifier, juste­ment parce que nous tenons nos promess­es

Les médias et l’effet boomerang

Il en résulte que la plu­part des sondages con­sid­èrent main­tenant que les médias, trop durs avec Trump, sont syn­onymes de « fake news ». Trump a certes récem­ment per­du des pio­ns au prof­it des bel­li­cistes mais il a réus­si sa dia­boli­sa­tion des médias… qui com­men­cent à avoir physique­ment peur de lui. Ou qui per­dent con­trôle, comme Mika Brzezin­s­ki qui reproche, micros ouverts, à Trump de vol­er à la presse son tra­vail : celui de con­trôler ce que les gens pensent.

Trump, optant pour la ligne dure, sem­ble vouloir se con­tenter de sa base élec­torale. Ici, la com­men­ta­trice con­ser­va­trice Scot­tie Nell Hugh­es apporte le même jour une pré­ci­sion impor­tante sur RT Amer­i­ca : «On ne sait pas si Trump se représen­tera [en 2020]… Hors de tout stéréo­type politi­cien, Trump se focalise unique­ment sur la réal­i­sa­tion immé­di­ate de ses promess­es, pas sur une com­péti­tion élec­torale en vue de se faire réélire. Aus­si la pop­u­lar­ité, les sondages, ne sont pas son prob­lème. C’est toute la dif­férence… »

Quand l’État profond contre-attaque

Cela suf­fi­ra-t-il ? Le 28 févri­er le Prési­dent a cru tri­om­pher lors de son dis­cours devant les deux cham­bres réu­nies en con­grès, l’ensemble des médias con­clu­ant comme CNN que ce jour là Trump était « devenu » prési­dent. C’était sans compter la céré­monie du lende­main, organ­isée par Dana Bash (tou­jours CNN) en l’honneur des enne­mis jurés de Trump, les séna­teurs répub­li­cains McCain et Gra­ham, lesquels ont servi de loco­mo­tive à écoute et ampli­fi­ca­tion pour que Bash puisse livr­er la « fuite » du Wash­ing­ton Post sur les liens du min­istre de la jus­tice, Jeff Ses­sions avec l’ambassadeur russe. L’affaire, reprise en boucle dans les 48 heures suiv­antes, se com­plète d’autres « fuites » sur les mêmes rela­tions sup­posées coupables entretenues par le gen­dre de Trump avec le même ambassadeur.

Les démoc­rates deman­dent main­tenant la tête de Ses­sions, dernier homme-lige et sou­tien des pre­miers jours de Trump, ouverte­ment favor­able à une détente avec Pou­tine, une poli­tique forte sur les ques­tions migra­toires et… l’élimination des migrants illé­gaux des les listes électorales.

Crédit pho­to : Gage Skid­more via Wiki­me­dia (cc)