Au-delà de ses outrances et de ses propos parfois contradictoires qui sont bien connus, le président américain bouscule sérieusement certains postulats des relations internationales.
L’anti-trumpisme de rigueur chez certains journalistes/animateurs de LCI les empêche de bien percevoir les bouleversements en cours. Dans ce contexte, les journalistes posent des questions, non pas pour piloter et faire progresser le débat, mais pour asséner leurs points de vue. Il reste alors l’image d’une cacophonie générale, fâcheuse pour une chaîne dont l’ambition serait de décrypter l’actualité internationale. Extraits et décryptage.
Trump artisan de la paix ? Impossible
Dans l’émission Le grand dossier du 24 juin : « Trump, la stratégie du coup de force », les intervenants renvoient l’image d’un président américain qui s’est fermement engagé pour un arrêt des hostilités que personne ne prévoyait si rapide, et qui a obtenu le résultat recherché.
Mais la journaliste Marie-Aline Méliyi qui anime l’émission a le plus grand mal à accepter les faits. Elle ouvre ainsi l’échange avec la correspondante LCI à Washington :
« On se demande vraiment à quoi joue le président américain qui semble vouloir imposer la paix seul dans son coin ? »
Ladite correspondante remet les choses à leur place. Elle explique ainsi que « Trump pèse de tout son poids pour le respect du cessez-le-feu », et qu’« il a ordonné au Premier ministre israélien de stopper ses frappes ». Elle ajoute :
« Ça a eu l’air de fonctionner parce que juste derrière Israël a annoncé qu’elle arrêterait d’attaquer. »
La journaliste ne tient pas compte de cette réponse et enchaîne avec le général Trinquand, expert en plateau et ancien chef de la mission militaire de l’ONU :
« Général Trinquand, la trêve n’a jamais commencé ? »
Mais elle est à nouveau contredite :
« Alors une trêve, il faut attendre 24 heures avant qu’elle soit appliquée, et on voit bien que le président Trump œuvre de tout son pouvoir pour la faire appliquer. »
André Kaspi, historien spécialiste des États-Unis, explique ensuite que la stratégie de Donald Trump est d’essayer d’imposer la paix, tout en laissant les États-Unis le plus possible en dehors du conflit et en évitant tout engagement qui ressemblerait au bourbier irakien.
Puisqu’elle ne peut contester les intentions, Marie-Aline Méliyi essaye alors de contester l’efficacité de l’action de Trump :
« Mais est-ce qu’il est encore crédible ? »
Face à cette question malveillante, André Kaspi est contraint de mettre les points sur les « i » :
« Oui, bien sûr qu’il est crédible ! Auprès des Israéliens il tient une place essentielle, et auprès des Iraniens je crois qu’il tient aussi une place essentielle, c’est-à-dire qu’il est le maître du jeu, mais le maître du jeu non seulement sur le terrain, mais aussi, je le rappelle, chez lui. »
Marie-Aline Méliyi se tourne ensuite vers Gwendoline Debono, grand reporter LCI, sans même s’embarrasser d’une question, mais en affirmant son propre point de vue :
« Il a quand même des conseillers spécialistes du Moyen-Orient et il n’écoute personne. »
Ce point de vue caricatural est largement relativisé par Gwendoline Debono :
« Si, il écoute quand même un peu, après la communication et la décision de cessez-le-feu, c’est vrai que c’est lui… Il a des conseillers, je pense qu’il écoute quand même, je pense qu’il est quand même briefé, après c’est vrai que c’est lui qui décide quand et comment. »
Artisan de la paix et leader tout-puissant de l’OTAN ? Inconcevable
Autre plateau, mais ambiance identique dans l’émission LCI midi du 25 juin : « Israël-Iran, un cessez-le-feu qui ne règle rien », animée par Christophe Moulin.
À l’image d’un Trump grand ordonnateur du cessez-le-feu, le sommet de l’OTAN ajoute celle d’un leader qui bouleverse les équilibres et exige des Européens des engagements, notamment budgétaires, en hausse. Il apparaît vite qu’il coûte à Christophe Moulin de reconnaître tant les succès que l’influence du président américain.
Benoist Bihan, historien militaire et spécialiste des questions stratégiques, développe ainsi sa vision de la séquence qui s’achève :
« Le but de Donald Trump n’était pas de mettre fin au programme nucléaire iranien, mais de mettre fin à la guerre, c’est-à-dire de mettre fin à cette séquence pour laquelle il n’avait pas d’intérêt à s’engager plus… Pour Trump, c’est une frappe gagnante, pas contre le programme nucléaire iranien, mais politiquement gagnante parce que d’une part, il est revenu au cœur du jeu au Moyen-Orient, qu’il a tordu le bras à Israël pour arrêter les hostilités, et qu’il a mis l’Iran devant sa faiblesse et son incapacité à s’opposer aux manœuvres militaires américaines. Donc Trump aujourd’hui c’est le gagnant, Netanyahu beaucoup moins, les Iraniens certainement pas. »
Christophe Moulins se garde de rebondir sur ce point de vue qui aurait pourtant mérité d’être approfondi, estimant sans doute que cette vision est trop favorable à Trump. Il préfère contester les dégâts causés aux installations iraniennes et s’adresse à Xavier de Giacomoni, éditorialiste international LCI :
« Hier Donald Trump félicitait les pilotes de ces B2… Mais de là à dire que tout a été détruit… Mais il le dit, il persiste, il signe, lui a été en profondeur, visiblement. »
Mais l’intéressé montre peu d’intérêt pour cette question qui est sans réponse à court terme, et il renvoie lui aussi une image de Trump manœuvrant pour la paix :
« Pour le moment on n’en sait rien, sur l’aspect exact de dresser les bilans il est beaucoup trop tôt… Mais une chose paraît évidente : il y a eu un deal entre Trump et Netanyahu ; je frappe Fordo comme tu me le demandes mais en revanche le lendemain, terminé, la partie est finie, vous rentrez tous à la maison dans vos casernes et vous arrêtez cette histoire qui menaçait chaque jour de déraper, il faut quand même s’en rendre compte, c’est très inflammable et ça pouvait très bien partir beaucoup plus loin même que ne le voulaient les Israéliens. »
Dans la séquence suivante, Christophe Moulin introduit le sommet de l’OTAN qui s’est tenu les 24 et 25 juin à La Haye :
« Donald Trump est arrivé triomphant, qu’on le veuille ou non, de ce succès, de cette guerre, et surtout de la fin de la guerre, il est arrivé en majesté, le tapis rouge lui a été déroulé… Je vous parlais de tapis rouge, je vous parlais d’arrangement, même les réunions ont été raccourcies dans le temps pour que le président américain garde toute sa concentration, et puis on a tout fait, notamment au niveau du secrétaire général de l’OTAN, on n’est même pas à l’époque des courbettes, là, franchement, on est tombé dans l’escarcelle des États-Unis. »
Là encore, les 2 correspondants présents à La Haye nuancent sérieusement cette vision simpliste et expliquent que Mark Rutte, l’auteur des courbettes, remplissait en fait parfaitement sa fonction :
Margot Haddad :
« La réalité… c’est que l’OTAN sans les États-Unis, ça ne tient pas à l’heure actuelle, donc en fait c’est juste un principe de réalité… Donc ce qu’essaye de faire Mark Rutte, c’est de la diplomatie, c’est-à-dire faire en sorte que Trump reste au centre du jeu, qu’il ne retire pas ses troupes. »
Grégory Philipps :
« Vous avez dit tout à l’heure que l’attitude de Mark Rutte était stupéfiante, mais en réalité elle n’est pas très surprenante. Le job qu’il essaye de faire aujourd’hui, c’est de convaincre Donald Trump de rester au sein de l’OTAN et donc de lui donner des gages d’engagement de la part des autres membres de l’alliance… Alors c’est de la diplomatie, c’est des courbettes, c’est de la politesse, à vous de juger, mais en tout cas l’objectif de Rutte c’est que ça se passe bien. »
Trump versatile
Toujours victime de son tropisme anti-Trump, Christophe Moulin se tourne alors vers un autre intervenant, le général Dominique Delort, ancien chef du centre opérationnel interarmées :
« Général, la diplomatie a bon dos, parce que l’on connaît un Trump versatile, donc ce n’est pas certain que cela fonctionne, et si cela fonctionne, jusqu’à quand ? »
L’intervenant élude cette question qui ne peut avoir de réponse et préfère souligner un autre aspect essentiel de la position américaine :
« Outre l’aspect financier, il fait un rappel terrible au président américain, en disant : “Attention à la bonne lecture de l’article 5 (du traité de l’OTAN) : oui il y a automaticité au soutien des autres pays si un pays est menacé par une puissance étrangère…” mais chaque État reste souverain sur les modes et le type de soutien à apporter au pays agressé. »
Beach Boys
Décidément peu suivi, Christophe Moulin abat sa dernière carte : « Alors on entend tout, on voit tout, on lit tout sur Trump, mais là vous n’êtes pas forcément prêts à ce qui va suivre », et il lance la diffusion d’une parodie guerrière d’une chanson des Beach Boys que Donald Trump a relayée sur le réseau Truth Social.
À la fin de la chansonnette, il se tourne vers ses intervenants :
« Vous me semblez atterré, mon cher Benoist Bihan. »
Mais ce dernier ne tombe pas dans le panneau de la moquerie facile et il relève le niveau du débat en se concentrant sur l’important :
« Eh bien, c’est-à-dire, la communication de Trump est toujours un petit peu particulière… Mais moi ce qui m’atterre, c’est le fait que les Européens ne comprennent toujours pas qu’il est temps de changer d’époque et de revenir dans l’histoire, c’est-à-dire que l’on ne pourra pas continuer à se cacher derrière les Américains, que ce soit Trump ou un autre président demain. »
Dans ces séquences, les journalistes montrent une faible capacité d’écoute et une attitude peu professionnelle envers les experts qu’ils ont invités. Selon les cas, cela pourra amuser ou indisposer le téléspectateur… ou l’inciter à fermer son poste.
Francesco