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Du syndrome de la femme blanche disparue

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15 octobre 2021

Temps de lecture : 7 minutes
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Du syndrome de la femme blanche disparue

Temps de lecture : 7 minutes

Gabby Petito, jolie Américaine de 22 ans à la peau claire et aux longs cheveux blonds, a disparu au cours de l’été 2021 lors d’un voyage avec son fiancé à travers les États-Unis. Cette affaire a suscité beaucoup d’intérêt outre-Atlantique, mais aussi en France et nous allons voir pourquoi.

Qu’est-il arrivé à Gabby Petito ?

Après avoir tenu l’Amérique en haleine pen­dant plusieurs semaines, cette affaire a trou­vé une issue trag­ique le dimanche 19 sep­tem­bre avec la décou­verte du corps de la jeune femme dans un parc naturel du Wyoming près d’un endroit où le véhicule du cou­ple, un van con­ver­ti en camp­ing-car, avait été aperçu par des témoins. Les deux jeunes gens étaient par­tis le 2 juil­let de Floride, où ils résidaient, et Bri­an Laun­drie, le fiancé de Gab­by Peti­to, était ren­tré seul chez ses par­ents le 1er sep­tem­bre. Le 14 sep­tem­bre, les par­ents de la jeune fille avaient sig­nalé sa dis­pari­tion, leurs derniers con­tacts avec elle remon­tant à la fin du mois d’août et son fiancé refu­sant de dire où elle était.

La disparition de la jeune fille fait le buzz

L’in­for­tunée Gab­by Peti­to était une « influ­enceuse ». Son compte Insta­gram où elle pub­li­ait les pho­tos de son voy­age était suivi par 46 000 per­son­nes au moment de sa dis­pari­tion (ce qui est rel­a­tive­ment peu dans le monde des influ­enceurs). Par­mi les per­son­nes qui suiv­aient ses péré­gri­na­tions se trou­vaient d’autres influ­enceurs, telle la comé­di­enne Paris Cambpell, qui après sa dis­pari­tion pub­li­ait des vidéos sur la jeune femme sur son compte Tik­Tok suivi par 265 000 personnes.

« Sur les images partagées par le cou­ple sur les réseaux soci­aux, ils sont tout sourire, pieds nus dans un canyon ou obser­vant les roches ocres des parcs nationaux. », peut-on lire dans un arti­cle de Bre­it­bart News inti­t­ulé « La dis­pari­tion de Gab­by Peti­to a cap­tivé le monde entier. Pourquoi ? ».

« Selon Mme Camp­bell, le décalage entre la façon dont les gens “roman­cent” la vie de Peti­to sur la route et la “tragédie” de ce qui s’est passé a ali­men­té la fas­ci­na­tion. Mme Camp­bell a déclaré avoir gag­né plus de 100 000 fol­low­ers depuis qu’elle a com­mencé à ren­dre compte de l’affaire la semaine dernière. Jeu­di, le hash­tag #Gab­byPeti­to avait accu­mulé plus de 915 mil­lions de vues sur Tik­Tok. Camp­bell con­sacre plusieurs heures par jour à la pro­duc­tion de ses vidéos, ajoutant que c’est un com­men­taire d’un cousin Peti­to, l’exhortant à pour­suiv­re son tra­vail, qui lui a servi de moti­va­tion. “J’avais l’impression que c’était la bonne chose à faire », a‑t-elle déclaré. »

Le “syndrome de la femme blanche disparue”

C’est ain­si que plusieurs médias de gauche améri­cains se sont insurgés con­tre ce “buzz”, enten­dant par là dénon­cer une dis­pro­por­tion entre la cou­ver­ture dont a béné­fi­cié la dis­pari­tion de Gab­by Peti­to et celles de “per­son­nes de couleur”.

Ils ont pour l’occasion sor­ti du plac­ard le con­cept du “syn­drome de la femme blanche dis­parue” dont auraient été vic­times les médias améri­cains. De quoi s’ag­it-il ? Cela cor­re­spondrait à un biais sup­posé des médias qui auraient ten­dance à cou­vrir de manière dis­pro­por­tion­née les his­toires de dis­pari­tion impli­quant « des femmes blanch­es jeunes et jolies de classe moyenne supérieure » (dix­it Wikipé­dia). Selon le crim­i­no­logue Zach Som­mers auquel se réfère le site con­ser­va­teur Bre­it­bart dans l’article déjà cité plus haut, sur les arti­cles de la presse améri­caine qu’il a étudiés en s’intéressant à ce biais, 50 % des arti­cles con­cer­naient des dis­pari­tions de femmes blanch­es, alors que cette caté­gorie de per­son­nes ne représente que 30 % des disparitions.

On pour­rait d’ailleurs aus­si s’interroger, à pro­pos des États-Unis, sur l’existence d’un syn­drome de l’homme noir tué par un polici­er blanc, les blancs tués par la police améri­caine ne recueil­lant jamais un niveau d’attention médi­a­tique équiv­a­lent, quelle que soit la couleur de peau du policier.

Comment un concept forgé de toutes pièces aux États-Unis arrive en France

Comme point de départ, la pub­li­ca­tion dans le très “lib­er­al” (enten­dre par là équiv­a­lent du Monde) New York Times, le 22 sep­tem­bre, d’une tri­bune inti­t­ulée Gwen Ifill Was Right About ‘Miss­ing White Woman Syn­drome’ sous la sig­na­ture du jour­nal­iste afro-améri­cain et présen­ta­teur de Black News Chan­nel Charles M. Blow. Il fait référence, dans le titre et dans le corps de l’ar­ti­cle, à la jour­nal­iste afro-améri­caine Gwen Ifill, qui la pre­mière a créé cette expres­sion à l’oc­ca­sion de la “Uni­ty jour­nal­ists of col­or con­ven­tion” à Wash­ing­ton en 2004. Il a fal­lu quelques heures à peine pour que ce énième con­cept “woke” racial­iste tra­verse l’At­lan­tique et éclate dans le paysage médi­a­tique français.

À tout seigneur tout hon­neur, les pre­miers à se jeter sur l’os : France Inter le jour même, où l’on s’interroge (Sonia Dev­illers, Red­wane Tel­ha) sur le rôle joué par la couleur de peau de la vic­time après avoir longue­ment expliqué tout ce qui avait con­tribué à l’emballement des réseaux soci­aux et des médias. Cela n’empêche pas l’équipe de France Inter de con­clure : « Gab­by Peti­to n’aurait pas tant fait la Une si elle avait été un homme, si elle avait été noire ou lati­no. »

Dans les jours qui suiv­ent, le “syn­drome de la femme blanche dis­parue” est à la une de l’ac­tu­al­ité sur l’ensem­ble du ter­ri­toire. Ont embrayé Le Parisien (23 sep­tem­bre), Sud-Ouest (23 sep­tem­bre), Le Dauphiné Libéré (24 sep­tem­bre), Les DNA (24 sep­tem­bre), Le Bien Pub­lic (24 sep­tem­bre), Au Féminin (24 sep­tem­bre) où l’on nous sort un exem­ple français de priv­ilège blanc dans la cou­ver­ture médi­a­tique, celui de Del­phine Jubil­lar. Mais comme dans le cas de l’Américaine, le média français énumère les mul­ti­ples raisons qui fai­saient que cette affaire ne pou­vait qu’avoir un fort reten­tisse­ment médi­a­tique avant de con­clure lui aus­si… au “syn­drome de la femme blanche disparue”.

Le Parisien revient à la charge le 26 sep­tem­bre, à pro­pos de la très large cou­ver­ture médi­a­tique de la dis­pari­tion de Gab­by Peti­to, sur le fait que « cet emballe­ment serait surtout l’illustration d’une ten­dance prég­nante aux États-Unis, pop­u­lar­isée sous le terme de “syn­drome de la femme blanche dis­parue” (“miss­ing white woman syn­drome”). Selon cette théorie, les femmes blanch­es, jeunes et de classe moyenne supérieure béné­ficieraient d’une atten­tion médi­a­tique plus impor­tante que celle d’hommes ou de femmes non blanch­es et de classe sociale pop­u­laire. Un biais médi­a­tique auquel n’aurait pas échap­pé la jeune Gab­by ». Sauf qu’avant d’affirmer cela le même arti­cle explique longue­ment pourquoi « cette façon de racon­ter son voy­age sur les réseaux et d’en faire un réc­it engage for­cé­ment le pub­lic. L’histoire s’apparente à une fic­tion qui se tiendrait sous nos yeux », en insis­tant sur les élé­ments de cette trag­ique affaire qui avaient con­tribué à l’emballement médi­a­tique et qui n’étaient pas liés à la couleur de peau de la victime.

Charles M. Blow con­clut sa tri­bune ain­si :

« La façon dont nous appré­cions les choses peut être sub­tile et se man­i­fester à des endroits aux­quels nous ne nous atten­dons pas. Si vous con­sid­érez unique­ment les artistes européens comme des maîtres anciens et l’art africain et indigène comme prim­i­tif, cela aus­si fait par­tie du prob­lème. Si vous avez eu le cœur brisé lors de l’incendie de la cathé­drale Notre-Dame, mais que vous n’avez pas été ému – ni même con­scient – lorsqu’un incendie a rav­agé le plus ancien musée des sci­ences du Brésil (le pays qui compte la deux­ième plus grande pop­u­la­tion noire du monde), détru­isant une col­lec­tion irrem­plaçable amassée au fil des siè­cles, cela fait par­tie du prob­lème. La valeur que nous accor­dons aux cul­tures et aux pays d’origine est liée à la valeur que nous accor­dons aux per­son­nes. Si ce que vous appré­ciez le plus tend à être européen, alors les per­son­nes que vous appré­ciez le plus sont prob­a­ble­ment blanch­es. Démêlez cela. Déballez tout. Recom­mencez. L’égalité de per­cep­tion con­duira à l’égalité de traite­ment. C’est assez sim­ple, en fait. Nous ren­dons cela com­plexe pour mas­quer nos carences. »

La décon­struc­tion améri­caine woke dans toute sa splendeur…